Arnaud Chneiweiss
Les systèmes de médiation – on peut aussi parler de règlement amiable des litiges – prennent une importance croissante en France et en Europe. Parce qu’ils sont plus souples, plus rapides, plus pragmatiques que nos tribunaux classiques, ils sont amenés à jouer pour résoudre des conflits dans une société française devenue si défiante, ainsi que le montre Arnaud Chneiweiss, président du Club des médiateurs et médiateur de l’assurance.
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La médiation de la consommation dans sa forme actuelle résulte d’une directive européenne de 2013, transposée en droit français en 2015.
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Que faut-il retenir de ces textes ? Trois idées :
- toute entreprise ayant affaire au grand public doit se doter d’un système de médiation. Ce dernier peut être créé au sein de l’entreprise (il y a par exemple un médiateur d’EDF, d’Engie, de la SNCF, du groupe La Poste…) ou il peut s’agir d’une médiation sectorielle (médiation du tourisme, du commerce et de la distribution, du notariat, des avocats, de l’assurance…) ;
- l’accès à ces médiations est gratuit pour le consommateur – c’est ce que prévoit la loi française ;
- la nomination des médiateurs – et éventuellement leur révocation – est effectuée par une Commission administrative indépendante, la Commission d’évaluation et de contrôle de la médiation de la consommation (CECMC).
Celle-ci est présidée par un conseiller d’État (Marc El Nouchi aujourd’hui) ; le vice-président est un magistrat de la Cour de cassation, et y siègent des représentants des consommateurs, du Medef et de la CPME, ainsi qu’un professeur spécialiste en droit de la consommation.
Quatre-vingt-deux médiateurs de la consommation sont aujourd’hui agréés par la CECMC pour couvrir autant que possible tous les secteurs d’activité économique. Le but est de régler les litiges de consommation de la vie courante. Ces médiateurs rendent compte à la CECMC de leur activité, notamment par un rapport annuel, et le Code de la consommation leur demande de faire des propositions pour améliorer les pratiques commerciales au vu de leurs constats. Les médiateurs doivent être indépendants, neutres, impartiaux.
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La loi du 23 mars 2019 de réforme pour la justice a imposé le recours préalable à une médiation ou à un conciliateur de justice en cas de litige dont l’enjeu est inférieur à 5000 euros. Autrement dit, le juge peut refuser de se saisir d’une affaire dont l’enjeu est inférieur à cette somme s’il ne constate pas qu’une tentative de médiation a déjà eu lieu. En 2019, le professeur de droit Xavier Lagarde commentait ainsi cette évolution cruciale : « Il semble que l’ambition de régler les litiges prenne aujourd’hui le pas sur l’application de la règle2 ». Lors d’une intervention consacrée aux politiques de l’amiable à la Cour d’appel de Paris en décembre dernier, la directrice des affaires civiles et du sceau du ministère de la Justice, Valérie Delnaud, a évoqué la possibilité que ce seuil soit remonté à 10 000 euros. Le but est bien sûr de désengorger les tribunaux.
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les « médiateurs institutionnels ». Ils exercent dans les ministères (Finances, Éducation nationale…), dans le cadre de dispositifs publics (médiateur du crédit, médiateur des entreprises) ou dans les institutions publiques (Caisse des dépôts et consignations, France Travail…). Ces médiateurs sont nommés par le ministre ou par le directeur général de l’institution dans laquelle ils exercent.
En janvier 2023, le ministre de la Justice, Éric Dupont-Moretti, a annoncé que l’un des principaux axes du « plan d’action pour la justice » serait le développement d’une « politique de l’amiable ». Il s’expliquait ainsi : « Aujourd’hui, 60% des décisions rendues par les tribunaux sont des décisions civiles. Pour favoriser une justice plus rapide et plus proche du citoyen, le plan d’action prévoit donc de développer une véritable politique de l’amiable pour une justice participative. Mon objectif est clair : réduire par deux les délais de nos procédures civiles d’ici 2027. Nous allons, tous ensemble, mettre au vert tous les feux de l’amiable. Si, depuis 1995, la volonté existe de développer une politique de l’amiable, les nouveaux modes amiables de règlement des différends impliqueront une révolution culturelle pour le monde judiciaire ».
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Il est probable que les missions des médiations continueront de s’étendre au cours des prochaines années. Tout y concourt, que ce soit la volonté européenne (actualisation de la directive existante élargissant les domaines de la médiation de la consommation) ou nationale (afin de désengorger les tribunaux). Il est donc important que les différents mondes (magistrats, avocats, médiateurs agréés) apprennent à mieux se connaître et à se faire confiance, car ils contribuent tous à la résolution des conflits dans une société française devenue si défiante.
Du même auteur
Environnement
Schiste noir
Arnaud Chneiweiss
08/02/2016
Connu / https://tools.immae.eu/Shaarli/ind1ju?0UbYOQ
Ndlr : dénoncer mais en se démarquant de JLL ACT
Éclairage MARL
Fabrice Vert, Premier Vice-président au tribunal judiciaire de Paris - Vice-président de GEMME France - membre du syndicat Unité Magistrats
Michèle Guillaume-Hofnung, Professeure émérite des facultés de droit, Directrice de l'Institut de Médiation Guillaume-Hofnung (IMGH) Présidente d’honneur des Médiateurs diplômés de Paris2 Panthéon-Assas MDPA
Selon le rapport sur la justice du XXIe siècle, seulement 1 % des affaires judiciaires font l’objet d’une médiation. Le défi de la politique nationale de l’amiable, annoncée le 13 janvier dernier par le garde des Sceaux, va consister précisément à sortir la médiation de cette confidentialité. Fabrice Vert, Premier Vice-président au tribunal judiciaire de Paris et Michèle Guillaume-Hofnung, Professeure émérite des facultés de droit, estiment qu’il faut agir sur la confiance, ce qui passe en particulier par la déontologie et la formation.
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Médiation et conciliation : modes premiers de règlement des litiges ? https://www.labase-lextenso.fr/gazette-du-palais/GPL222e8 Tel est le titre d’un article de la première présidente Chantal Arens et de la professeure de droit Natalie Fricéro publié le 25 avril 2015 par la Gazette du palais
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La confiance ne se décrète pas
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Le rapport n° 3696 de la délégation pour l’Union Européenne de l’Assemblée Nationale « La médiation, un nouvel espace de justice en Europe » présenté en février 2007 par le député Jacques Floch, et le rapport « célérité et qualité de la justice, la médiation une autre voie » issu du groupe de travail sur la médiation, installé par le premier président de la cour d’appel de Paris, Jean-Claude Magendie le 11 février 2008.
Leurs explications sur les difficultés d’implantation de la médiation restent pertinentes.
Tout d’abord, en premier lieu, la médiation et les modes amiables dans le domaine judiciaire ne doivent pas être présentés comme de la déjudiciarisation ou un moyen de réduire les stocks, mais comme un enrichissement de la réponse judiciaire et une chance supplémentaire offerte aux justiciables de nouer ou renouer un dialogue et de les aider à résoudre leur litige.
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La fragilité de l’identité du cœur de la profession – la médiation – affaiblit grandement l’image du médiateur. Si on ne connaît pas la médiation comment faire confiance au médiateur ?
Il faut ensuite que la profession donne des garanties de sérieux. L’exercice s’avère délicat dans la mesure où il ne faut pas scléroser la profession par un carcan inadapté
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La médiation activité du médiateur, se présente de manière très précise et très identifiable. Elle est un processus et non pas une procédure fut-elle allégée. Elle repose sur la liberté des médiés et du médiateur. Ainsi l’expression médiation obligatoire installe un oxymore létal
... L’expression information obligatoire sur la médiation serait à la fois plus exacte et pédagogique ... ce qui est sa fonction première de créer ou de recréer le lien ... confidentiel
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Le médiateur ... un tiers impartial indépendant et neutre ... Le tiers se définit par son extériorité. Le « médiateur maison » est certainement respectable mais il lui manque l’extériorité
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L’impartialité est la qualité du médiateur à l’égard des personnes. Le médiateur doit veiller à ne pas se laisser influencer par des antipathies ou des sympathies. Il est inévitable pour un être humain d’en ressentir, mais un médiateur doit savoir les repérer et se réajuster.
La neutralité est la qualité du médiateur à l’égard des résultats de la médiation. Il doit se garder de faire prévaloir sa solution. Il doit respecter la solution des médiés. La médiation est une maïeutique, le médiateur peut trouver que le résultat dont les médiés ont accouché n’est pas celui escompté mais c’est leur résultat. Seule une objection d’ordre public justifierait de déroger à l’absolue neutralité. La neutralité du médiateur est garante de la nature éthique du processus de médiation. La médiation est un processus de communication éthique. Le médiateur garantit l’égale dignité de la parole de chacun. C’est tout mais c’est essentiel. Cela requiert de la part du médiateur beaucoup d’énergie. Il consacre son énergie à garantir le cadre.
L’indépendance du médiateur constitue elle aussi une source importante et particulièrement exigeante de confiance. Elle s’apprécie bien sûr à l’égard des médiés mais aussi à l’égard de possibles partenaires encombrants. Les attentes explicites ou implicites des financeurs de dispositifs de médiation ou des prescripteurs de médiations pèsent parfois lourdement sur les médiateurs. Les médiés lorsqu’ils le perçoivent peuvent perdre confiance.
Le métier de médiateur n’est donc pas simple, difficile de s’affirmer « médiateur naturel » ou de se croire comme Monsieur Jourdain « médiateur sans le savoir ». La maxime « la formation avant toute chose » a guidé les pionniers de la médiation. La création de la première formation à la médiation en 1987 dans le cadre de Droit de l’Homme et Solidarité DHS proposait un parcours en deux ans. Une première année enseignait un socle généraliste de 180 heures. Une deuxième année 180 heures fournissait les compléments de spécialisation dans les secteurs que nous avions identifiés comme les secteurs d’avenir.
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principes fondamentaux de la médiation, des éléments de psychologie, de sociologie, de droit et bien sûr beaucoup de mises en situations pratiques
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Une des missions du futur conseil national de la médiation
... entre dans sa mission selon la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire de proposer un recueil de déontologie applicable à la pratique de la médiation, des référentiels nationaux de formation des médiateurs et de faire toute recommandation sur la formation
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Ndlr :
- on retrouve la neutralité POSTULAT avec ses limites
- Et est-ce pertinent de lier la médiation à la justice ? Questionner ACT