Clés : solidarité , racisme , extrême droite
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il ne suffit pas d’activer le clivage de classe pour que le clivage racial perde, automatiquement, de sa vigueur. Dit autrement : désigner des ennemis de classe (riches, patrons, gouvernants, etc.) peut avoir une vertu stratégique en soi, mais n’empêchera pas nécessairement la constitution, en parallèle, de boucs émissaires racialisés (immigrés, musulmans, minorités, etc.). L’hostilité n’est pas un jeu à somme nulle, et les rapports de pouvoir ne fonctionnent pas comme des vases communicants. Parce qu’ils ont chacun leur part d’autonomie, il apparaît crucial de lutter contre le racisme de front, et non simplement en espérant que (faire) regarder ailleurs suffira.
Le travail comme dignité sociale
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les électeurs du RN ne s’éloignent pas de la gauche uniquement dans leur rapport à l’immigration et aux minorités ethno-raciales. Y compris sur des enjeux plus spécifiquement relatifs aux rapports entre classes sociales, cet électorat présente beaucoup d’attitudes qu’on pourrait qualifier de « workfaristes ». Le terme de workfare, venu des États-Unis, mais qui a essaimé depuis, permet de qualifier la « nouvelle norme de la mise au travail » qui « oblige les allocataires de l’aide sociale à travailler pour percevoir leur allocation » (Simonet, 2020 ; voir aussi Barbier, 2008). Désignant un ensemble de réformes du système d’assistance [6], la notion renvoie plus largement à une rhétorique et à une pensée « habituellement associées au répertoire libéral de protection sociale, qui dénoncent les effets désincitatifs des prestations sociales » (Palier, 2008), accompagnant le tournant rigoriste dans le contrôle des chômeurs et des pauvres (Vivès et al, 2023 ; Duvoux, 2012).
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sentiment que les chômeurs « trouveraient plus facilement du travail s’ils le voulaient vraiment » (Ifop, 2023) et que ceux « n’étant pas dans une recherche active d’emploi devraient perdre leur indemnité » (Haute, Le Lann, Touzet, 2024). Au sein de cet électorat se côtoient ainsi des demandes de politiques sociales et de redistribution (taxation des plus riches par exemple) et des positionnements plutôt « de droite » lorsqu’il s’agit de se prononcer sur le contrôle des prestations sociales, sur la liberté patronale de licencier ou sur l’hostilité aux syndicats (Le Lann, 2024). Là encore, la conscience d’antagonismes vis-à-vis du « haut » de l’espace social n’empêche aucunement l’entretien d’hostilités ou de mises à distance vis-à-vis du « bas » – ce que le sociologue Olivier Schwartz (2009) a justement qualifié de « conscience sociale triangulaire ».
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revers d’une forte valorisation du travail, qui devient d’autant plus vive lorsque les emplois stables se font de plus en plus rares. Le sentiment que l’économie est en déclin et qu’il « n’y en aura pas pour tout le monde » se superpose à des univers symboliques où, comme l’a analysé Benoît Coquard, se répète que celui « qui ne travaille pas ne vaut rien » (Coquard, 2019, p. 66). La mise à distance des « chômeurs » et des « assistés » permet de se placer soi-même du côté, digne socialement, des travailleurs.
Dans certaines parties de l’électorat lepéniste, la question fiscale est aussi particulièrement saillante (Marchand-Lagier, 2017), structurée par la conviction de faire partie des groupes à qui l’on « prend beaucoup » et qui n’ont en retour « droit à rien », quand d’autres reçoivent des aides « sans rien faire ». L’impôt est ainsi perçu comme une aumône (Palheta, 2024, p. 100) faite à des personnes qui ne la méritent pas. Selon les segments électoraux concernés, le chômage peut donc susciter tantôt de la peur (la crainte sourde de se retrouver soi-même sans emploi), tantôt de la colère (vis-à-vis des « profiteurs » du système de redistribution étatique) – et, dans les deux cas, de la défiance vis-à-vis des groupes jugés insuffisamment « productifs » (Feher, 2024) [7].
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concurrences entre les groupes sociaux (notamment populaires) et contribué au développement d’attitudes workfare en leur sein.
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« Workfare chauvinism » : le mérite et l’héritage
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C’est lorsque la critique de l’« assistanat » se racialise qu’elle se politise de la façon la plus intense, augmentant sa propension à se traduire en vote pour l’extrême droite. Cette racialisation de l’assistanat constitue un ressort crucial du vote RN.
Des faits à défaire
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les recherches sur cet électorat montrent aussi que des demandes de redistribution persistent en son sein, s’accompagnant d’un « attachement à l’État » (Spire, 2018) et tout particulièrement aux services publics.
Il n’en reste pas moins que les tendances esquissées ici doivent être regardées en face. La centralité du racisme dans la fabrique des préférences électorales pour l’extrême droite est régulièrement euphémisée, on le sait, dans l’espace public, intellectuel et politique. Mais sa reconnaissance ne doit pas non plus faire oublier qu’y compris sur le versant des rapports de classe, les électeurs du RN sont loin de partager des visions du monde qui les porteraient naturellement vers la gauche.
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analyser avec réalisme une situation politique ne signifie en rien qu’il faille s’y résoudre
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Le racisme et la critique de l’assistanat sont des phénomènes diffus et présents dans toute la société, non réductibles aux seuls électorats de l’extrême droite. La gauche a donc un intérêt plus large – et vital politiquement – à défaire ces visions du monde et les sociodicées qui leur sont rattachées [11].
Dossier(s) :
Ce que l’extrême droite fait au monde
1,09 k abonnés - 7+ - 268 vues - 0 commentaire MANUFACTURE DES TABACS
Une conférence proposée par Mathieu Fleurance, fondateur du collectif travailler moins, dans le cadre de la Caravane contre-croissance : ni une conférence, ni une table ronde mais une succession en trois blocs de trois courtes conférences, organisée par la Maison commune de la décroissance (MCD) https://ladecroissance.xyz
2:18 terminer ACT
Publié Il y a 2 jours • 49 vues - 7+
C’est un échange-type que l’on entend souvent, très souvent, en début de semaine. Question : “comment ça va ?” Réponse : “comme un lundi”. Comme un lundi, ça veut dire, bon pas trop. Comme un jour où l’on repart pour une semaine de travail.
Ah le travail. La musique populaire est remplie d’airs sur le travail. “Le travail, c’est la santé”, oui “mais rien faire c’est la conserver”, selon Henri Salvador. Au “je ne veux pas travailler” de Guillaume Appolinaire, mis en chanson par Pink Martini, répond le “Faut que je travaille” de Princess Erika. Pas plus convaincu que ça.
“Vous ne détestez pas le lundi, vous détestez la domination au travail” : c’est le titre du dernier essai de Nicolas Framont, sociologue, rédacteur en chef de Frustration Magazine et auteur de “Parasites”, édité, comme ce dernier ouvrages, par Les liens qui libèrent. Pourquoi le mal-être au travail s’amplifie-t-il ? Jusqu’où le gouvernement et le patronat iront-ils pour décourager les arrêts maladie, les ruptures conventionnelles et les démissions, qui symbolisent une sorte de défiance vis-à-vis du salariat, très perceptible chez les plus jeunes. La valeur travail est-elle vraiment ancrée au sein des classes populaires ? Et le “droit à la paresse” n’est-il pas une revendication de bobos déconnectés ? Entretien avec Théophile Kouamouo.
Visibilité Publique
Publié originellement 26/10/2024 - Catégorie Actualité & Politique
Licence Inconnu - Langue Français
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*Tr.: ... souffrance au travail ... typologie du chef ... chef bureaucratique ... obéir ... chef tyranique ... la droite est anti-humaniste ... valeur travail, terme bourgeois ...
Économie Analyse - 83 commentaires
Derrière l’éloge appuyé du président de la République à la « valeur travail » pour justifier de nouvelles mesures répressives contre les chômeurs et les retraités se cache en réalité la volonté appuyée de soumettre le monde du travail à la logique de marché.
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opération de communication basée sur un mot-valise ... cette insistance n’est pas nouvelle ... justifier un durcissement de l’accès aux indemnités chômage ... une baisse des cotisations salariales ou une subvention publique aux bas salaires pour éviter de relever les salaires.
La « valeur travail » est donc mobilisée pour justifier d’abord des politiques de déconstruction de l’État social
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l’utilisation de la valeur travail par les néolibéraux et les conservateurs est plus que problématique.
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c’est David Ricardo qui en fait le fondement de son économie politique en considérant que la valeur d’échange des marchandises traduit en réalité la valeur du travail incorporée dans ces marchandises. Dans cette vision, c’est le travail qui détermine la valeur et c’est la valeur qui détermine les prix.
Mais, à partir de la fin du XIXe siècle, une autre vision se développe avec l’école néoclassique. Elle considère que la valeur ne trouve pas sa source dans le travail, mais dans les prix, autrement dit dans l’équilibre entre l’offre et la demande ... Alfred Marshall ... utilité marginale ... Dans le cadre de la valeur travail, le produit financier n’est qu’une avance sur la valeur créée à venir par le travail, c’est un « capital fictif », comme le dit Marx. Pour les marginalistes, au contraire, si la demande de produits financiers crée un marché, alors elle crée une valeur
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Toutes les politiques menées depuis trois décennies visent à créer de la valeur par le marché et non par le travail ... la réforme du marché du travail qui a été soutenue par Emmanuel Macron, ministre de l’économie de François Hollande, puis complétée par Emmanuel Macron, président de la République en fin de quinquennat ... la fiscalité des revenus du capital
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Le cœur du discours économique d’Emmanuel Macron, c’est l’innovation privée réalisée par des entrepreneurs. Pour lui, en accord avec l’école néo-schumpétérienne de Philippe Aghion, c’est là précisément la source de la richesse des sociétés ... « licornes », ces start-up valorisées un milliard de dollars en Bourse, est un démenti cinglant de toute forme de croyance dans le travail comme source de la valeur. ... lors de la présentation du plan « France 2030 » durant laquelle il a fait l’éloge de la coopération entre la finance, les grandes entreprises, l’État, mais jamais les travailleurs ... la révolution néolibérale vise à soumettre la société à la logique marginaliste, et Emmanuel Macron en est le représentant le plus convaincu.
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à la fin des années 1960, le néo-ricardien Piero Sraffa a résolu le « problème de la transformation » expliquant la traduction de la valeur travail en prix.
Mais en réalité, la valeur travail a été abandonnée parce qu’elle est explosive socialement. Car si toute richesse provient du travail, alors comment expliquer le profit et son accaparement par le détenteur du capital ?
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Marx allait rapidement dynamiter les non-dits de la vision de Ricardo ... le capital est capable de saisir une part du travail, et donc de la valeur, pour l’accumuler et se rendre en apparence indispensable aux travailleurs sous la forme de l’emploi ... la valeur est un rapport social. Et c’est ce rapport de domination sociale qui impose sa loi par le biais des « nécessités économiques ». C’est ce que Marx appelle le « fétichisme de la marchandise »
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La seule vraie conséquence de la valeur travail est, en réalité, le socialisme. Mais en la fétichisant et en la confondant avec la valeur d’échange, on a fait de cette notion une arme politique du conservatisme social qu’incarne de plus en plus Emmanuel Macron. Et c’est pour cette raison qu’il a eu recours à cette aberration apparente d’utiliser la valeur travail pour renforcer l’exploitation du travail.
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Emmanuel Macron a pu encore dérouler des contre-vérités ou de vraies-fausses annonces ... selon la Dares, l’institut statistique du ministère du travail lui-même ... il existe un emploi disponible pour environ treize chômeurs
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le seul vainqueur à ce petit jeu, c’est le système social existant. Autrement dit, l’exploitation.