Cette méthode, loin d'être une nouveauté, puise ses racines dans l'Antiquité grecque. Aujourd'hui, elle se réinvente comme un outil pour revitaliser nos systèmes démocratiques
Ibrahima Malick Thioune | Publication 08/09/2024
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Fondements et Limites des Systèmes Électoraux
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L'Élection : Une méthode de sélection non neutre
... biais ... en dépit de leur légitimité apparente, favorisent la concentration du pouvoir entre les mains des élites, renforcent la polarisation politique et encouragent la personnalisation du pouvoir. Elles tendent à détourner la démocratie de son essence première, qui est de garantir une participation égale et active de tous les citoyens au processus décisionnel. -
Les Limites du système représentatif
... délégation de pouvoir ... permet de gérer la complexité des sociétés modernes, elle présente néanmoins des défauts structurels.
Tout d'abord, elle crée une distance entre les gouvernés et les gouvernants. Une fois élus, les représentants jouissent d'une autonomie relative dans la prise de décisions, ce qui peut les amener à privilégier leurs propres intérêts, ou ceux de leurs soutiens financiers, plutôt que l’intérêt général
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ne permet pas une implication continue des citoyens dans les affaires publiques. Nombreux sont ceux qui se sentent dépossédés de leur pouvoir une fois les élections passées, laissant les représentants agir sans contrôle effectif de la base électorale
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crise de légitimité. La montée de l'abstention et la défiance croissante à l’égard des élites politiques illustrent une rupture entre les citoyens et leurs représentants. Les populations perçoivent de plus en plus les institutions démocratiques comme déconnectées de leurs préoccupations, et la représentativité des élus comme insuffisante pour garantir une véritable démocratie.
Ces constats justifient la nécessité de repenser les modalités de la représentation politique. Le tirage au sort, en se positionnant comme une alternative à l’élection
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Tirage au Sort : Une voie pour réenchanter la démocratie
- Le Tirage au Sort : fondements historiques et avantages théoriques
... - Applications contemporaines et défis pratiques
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L’intégration du tirage au sort dans les démocraties modernes se fait principalement par le biais de jurys citoyens ou d'assemblées délibératives. Ces expériences, menées dans plusieurs pays, montrent que le tirage au sort peut enrichir le débat public et renforcer la légitimité des décisions politiques. En France, par exemple, la Convention Citoyenne pour le Climat a réuni 150 citoyens tirés au sort pour formuler des propositions sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre. En Irlande, la Citizens' Assembly a contribué à des réformes constitutionnelles majeures, notamment sur la légalisation du mariage pour tous.
Cependant, la mise en œuvre pratique du tirage au sort présente plusieurs défis logistiques
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Vers une démocratie hybride
Face à la crise de représentativité et aux défaillances des systèmes électoraux traditionnels, le tirage au sort apparaît comme une alternative crédible pour réenchanter la démocratie. En permettant une représentation plus équitable, en réduisant les biais électoraux et en neutralisant les conflits d’intérêts, cette méthode offre une voie pour revitaliser la participation citoyenne et restaurer la confiance dans les institutions démocratiques. Cependant, pour que le tirage au sort devienne une solution viable et légitime, il doit être mis en œuvre de manière réfléchie, en tenant compte des défis logistiques et des perceptions publiques.
Plutôt que de remplacer entièrement les élections, le tirage au sort pourrait être intégré dans un système hybride, où il compléterait les mécanismes électoraux traditionnels. Cette complémentarité permettrait de profiter des avantages des deux méthodes : l’élection pour la légitimité populaire et le tirage au sort pour la diversité et l’impartialité. Ainsi, la démocratie, dans sa quête d’inclusion et de justice, pourrait renouer avec ses principes fondateurs tout en s’adaptant aux exigences du monde moderne.
Ce modèle de démocratie hybride, en s’appuyant sur des dispositifs délibératifs et participatifs, offre une réponse innovante aux insuffisances de la démocratie représentative. Il montre qu’il est possible de repenser la gouvernance politique en associant les citoyens de manière plus directe aux processus décisionnels, ouvrant ainsi la voie à une forme de démocratie plus authentique et plus inclusive.
Billet de blog 7 mai 2025
Ce que les succès (et les critiques) de la France Insoumise révèlent de la situation / Samuel Hayat
Chargé de recherche CNRS, CEVIPOF
Abonné·e de Mediapart
L’émission Complément d’enquête consacrée à LFI est discutable, mais elle nous informe sur les partis, la représentation politique et le charisme. Plutôt que d'accuser LFI d'être une meute et Mélenchon d'être un gourou, il faudrait se demander pourquoi ces formes de militantisme sont adaptées tant au présidentialisme de la Ve République qu’aux logiques médiatiques et aux mutations de l’engagement.
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LFI réussit là où les autres partis échouent : elle obtient des succès électoraux répétés, a fait apparaître une nouvelle génération de cadres, avec de multiples noms désormais connus et reconnus médiatiquement, ce qui n’est le cas d’aucune autre formation politique à gauche. Dans la situation présente, qu’on le veuille ou non, LFI semble la seule vraie machine efficace à gauche, en tout cas sur la scène politique nationale. Bien sûr, l’efficacité n’est pas un but en soi, mais c’est un élément central pour la gauche électorale, celle qui vise la prise du pouvoir par les urnes.
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auparavant les partis, Parti socialiste en tête, formaient leurs cadres par le militantisme, en particulier syndical. Une carrière militante à gauche commençait dès le lycée (FIDL, UNL) puis à l’université (UNEF-ID). Il y avait du militantisme jeune (MJS), de l'action locale, des débats, des courants. Dans l’appareil, on montait progressivement, à la suite d’une série d’épreuves qui créaient des rapports de concurrence, de camaraderie, une structure idéologique, des réseaux.
Or ce modèle s’est effondré, car il reposait sur un afflux constant de militant-es, d’adhérent-es, qui s’est tari partout. Par conséquent, le PS (et dans une moindre mesure les Ecologistes et Parti communiste français) est devenu un parti de cadres, voire un parti-cartel tenu par des élu-es, sans base active, sans militantisme jeunesse, sans cadres formé-es ayant une légitimité locale et une habitude du débat d'idées et du travail militant.
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LFI semble avoir réussi à constituer une direction politique fonctionnelle ? Parce que ce mouvement l’a créée de toutes pièces, par en haut, sans s’en remettre au lent travail de construction d’une carrière militante. En quittant le PS, Jean-Luc Mélenchon a rompu non seulement avec un parti, mais bien avec la forme-parti, telle qu’héritée de la longue histoire de la social-démocratie, avec sa base militante de masse, ses débats, ses courants, sa démocratie interne. Il a choisi plutôt un modèle inspiré du léninisme, tel que développé dans Que faire ? (1902). Il s'agit de construire non pas un parti démocratique, mais une avant-garde de révolutionnaires professionnel-les, et à côté, subordonné à cette avant-garde, un mouvement de masse sans pouvoir propre, mais mobilisable.
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En 2016, il dissout de son propre chef le Front de gauche et crée LFI, un mouvement « gazeux », sans adhérent-es, mais avec des « soutiens » collectés sur Internet, structuré en petits groupes dénués de pouvoir. Officiellement, il s’agit d’incarner la révolution citoyenne, ce qui veut dire s’écarter des références de la gauche – mais le but est surtout d’éviter de voir renaître baronnies et luttes de courants qui avaient grevé le PS, et de mettre au pas une gauche radicale trop plurielle.
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Le ralliement du Parti ouvrier indépendant, héritier du lambertisme, resté à l’écart du Front de gauche, avec ses militant-es bien formé-es, ses réseaux syndicaux et son habitus léniniste, qui se met au service de la dynamique insoumise sans trop demander en échange, achève de structurer la FI, et de l'autonomiser de ses soutiens trop indépendants, comme les petits mouvements de gauche radicale qui forment Ensemble !
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le prix à payer, pour exister quand même, c'est de faire du scandale, du bruit, de diviser. Mais chaque scandale, non seulement permet de gagner en visibilité et de déterminer l'agenda, mais renforce aussi l'unité, car on est ensemble, contre le reste du monde qui nous diabolise.
Et paradoxalement, faire du scandale sur des sujets vraiment politiques, cela permet aussi, parfois, de parler du fond. Car oui, faire du bruit en parlant de Gaza, des retraites ou des ultrariches, c'est bien plus important, politique et, au final, mobilisateur, que le spectacle des divisions entre pro et anti NFP au prochain congrès du Parti socialiste.
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permet à LFI de fonctionner en interne comme un parti révolutionnaire, ultra-hiérarchisé, au service d’une grande cause. C’est tout de même étonnant, étant donné que ce mouvement n'a rien de révolutionnaire dans ses objectifs. C'est du léninisme organisationnel, mais au service d'un projet social-démocrate, avec une doctrine très légère, et changeante selon les volontés de Mélenchon et de sa garde rapprochée. Cette combinaison entre la radicalité de la posture, la verticalité de l’organisation, et le pragmatisme du programme, a été une grande force en 2017 et en 2022. Cela ne veut pas dire que LFI a raison de garder cette structure, ni qu'ils vont gagner en 2027. Mais au moins cette entreprise politique veut dire quelque chose et semble à la hauteur des enjeux électoraux. Alors que les vieux partis, PS en tête, paraissent immanquablement à contretemps.
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Il existe sûrement une voie pour renouveler un militantisme de terrain, horizontal, divers et démocratique ; mais la pression que met la centralité de l’épreuve électorale, et la force qu’y confère l’unité stratégique, fût-elle autoritaire, rend cette voie plus longue très coûteuse, sûrement trop, face à l’urgence des combats pour la paix, contre le changement climatique, contre le fascisme. Peu de personnes sérieusement engagées à gauche n’oseraient prendre le risque de casser un appareil qui fonctionne pour en reconstruire patiemment, par en bas, un nouveau. Ce que révèle, peut-être contre la volonté de ses auteur-es, l’émission Complément d’enquête, c’est que LFI constitue encore le principal pôle structurant à gauche sur la scène politique nationale.
Samuel Hayat, chercheur en science politique
Addendum: ce billet a été composé à partir d'un fil Bluesky, donc c'est un peu décousu. Il est le fait d'un non spécialiste de LFI. Pour des analyses bien plus approfondies, on peut aller lire les travaux de Manuel Cervera-Marzal, notamment son livre Le populisme de gauche. Sociologie de la France insoumise, La Découverte, 2021, ainsi que ceux de Rémi Lefebvre. Il y a aussi des thèses, notamment celles de Virginie Tisserant sur les partis-mouvements en France et en Espagne, Arthur Groz sur les carrières militantes à LFI, Podemos et Syriza, Laura Chazel sur le populisme de gauche à Podemos et LFI, et des travaux plus anciens sur la gauche radicale, comme la thèse de Romain Mathieu sur PG, NPA et PCF Je ne les ai pas lues mais on me les a signalées. D'autres thèses sont en cours. C'est l'occasion de saluer le travail abattu par les jeunes chercheurs et jeunes chercheuses, dans des conditions toujours plus difficiles.
Le fil en question : https://bsky.app/profile/samuelhayat.bsky.social/post/3loj2wh2lac23
Ndlr : CORROBORE EN TOUS POINTS MES POINTS DE VUE... Valoriser ACT