Des hommes portent des sacs de farine, à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, le 22 juillet 2025 ©AFP
Hier, l’ONU a accusé Israël d’avoir tué plus de 1000 personnes venant chercher de l’aide humanitaire à Gaza en deux mois.
Gaza est devenu un territoire où la guerre se mène aussi par la privation. Plus de deux millions de civils y vivent sans électricité, sans accès régulier à l’eau potable, et avec moins de 10 % du volume humanitaire nécessaire pour survivre, selon l’ONU. La famine fait rage. Les hôpitaux, ciblés ou débordés, s’effondrent. Les ONG, entravées par les deux camps, sont à bout.
En plus des frappes, le gouvernement israélien verrouille tout avec un blocus renforcé, soumettant chaque convoi humanitaire à une série de contrôles qui transforment l’urgence en labyrinthe bureaucratique, et la survie en négociation. Le Hamas, de son côté, oriente la distribution de l’aide à des fins politiques. Cette double emprise transforme l’action humanitaire en instrument de guerre. L’aide devient un levier de pression ; son absence, une stratégie.
Le droit humanitaire mis à mal depuis 2008
Sommes-nous en train d’assister à un tournant ? Ce n’est pas nouveau à Gaza. Depuis 2008, les conflits successifs ont mis à mal le droit humanitaire. Mais cet été marque une rupture. Les Nations unies, l’Organisation mondiale de la Santé, le Comité international de la Croix-Rouge ou encore Médecins sans frontières ne parlent plus seulement de difficultés, mais d’obstruction systématique. Et ce glissement n’est pas cantonné à l’enclave palestinienne.
De l’Éthiopie au Yémen, de l’Ukraine à la Syrie, l’aide humanitaire est de plus en plus soumise à des logiques de guerre. Même les principes du droit humanitaire – la neutralité, l’impartialité, l’accès inconditionnel – semblent remis en cause. Les ONG sont perçues comme suspectes, les journalistes comme indésirables.
À Gaza, la presse internationale est bannie. Lundi, des journalistes de l’AFP ont publié une lettre pour alerter sur la situation de leurs collègues privés, entre autres, d’eau et de nourriture. Cette alerte, lancée après la mort de plus de 200 journalistes depuis octobre, montre que l’information, elle aussi, est devenue un champ de bataille. Ces évolutions traduisent une tendance lourde : la guerre ne se limite plus aux combats sur le terrain, elle s’exerce aussi dans la gestion ou le blocage de l’aide, et transforme la misère en arme.
Inaction générale
Comment réagissent les grandes puissances ? Leurs réactions sont révélatrices. Hier, la France a appelé à un “cessez-le-feu immédiat” à Gaza, et exigé – je cite – un « accès de la presse pour montrer ce qu’il s’y passe ». Mais son alignement diplomatique avec Israël limite sa capacité d’action. L’Union européenne en appelle au droit international, mais reste sans leviers. Les États-Unis, alliés d’Israël, déplorent la situation humanitaire tout en continuant leurs livraisons d’armes. L’ONU, paralysée par les divisions du Conseil de sécurité, assiste impuissante à l’érosion de ses propres principes fondateurs. Et dans cette inaction générale, les acteurs humanitaires doivent naviguer entre menaces armées, sanctions financières et surveillance numérique. À Gaza comme ailleurs, ils deviennent les prisonniers d’un monde où la souffrance des civils n’est plus un scandale absolu, mais un outil.
L’interrogation est donc majeure : sommes-nous en train d’assister à une bascule historique où le droit humanitaire, formalisé au 20e siècle pour limiter les souffrances en temps de guerre, devient dépassé ? En tout cas, dans les ruines de Rafah, dans les hôpitaux sans morphine, dans les appels à l’aide restés sans réponse, c’est une certaine idée de la guerre – et de l’humanité – qui vacille. Gaza n’est plus seulement une tragédie. C’est une ignominie. Celle d’un monde où l’on tue en silence, en coupant l’eau, l’aide, l’image. Et où sauver des vies devient plus que jamais un acte de résistance morale et politique.
À écouter
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Clés : Monde Info Géopolitique Bande de Gaza Conflit israélo-palestinien Hamas Benyamin Nétanyahou