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Municipales de 2026 : la mue « communaliste » paradoxale de LFI - 20 avril 2025 à 09h19 / Mathieu Dejean | Mediapart
Le mouvement de Jean-Luc Mélenchon se revendique du communalisme en vue des municipales de 2026. Un concept rattaché à l’histoire de la Commune de 1871 et qui parle aux sensibilités radicales. Mais sa version insoumise est loin de correspondre à l’idée de ses principaux inspirateurs.
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LFI revendique désormais un « nouveau communalisme insoumis », a priori loin de la tradition jacobine et centralisatrice qui fait encore le cœur de son identité.
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réaffirme la commune comme premier échelon de la démocratie pour un pouvoir démocratique
s’exerçant au plus près des besoins des habitant·es. Nous voulons restaurer la démocratie communale et tourner le dos à la dépolitisation de la fonction d’élu·e local·e, transformé·e en gestionnaire de l’austérité
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En 2020, le mouvement mélenchoniste avait choisi dans la plupart des cas de soutenir des initiatives citoyennes en se mettant en retrait. Sa nouvelle ligne pour 2026 consiste à mettre au contraire en avant l’étiquette insoumise, sans perdre de vue les relations déjà nouées à la base, au-delà du parti.
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Antoine Salles-Papou, un des artisans de cette mue, auteur d’un livre sur les communes – Les Communes libres (Éditions 2031, 2020) – et d’un texte consacré à cette question dans la revue du Parti de gauche (PG), L’Intérêt général.
https://blogs.mediapart.fr/antoine-sallespapou/blog/240225/pour-un-communalisme-de-la-revolution-citoyenne
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S’il n’a jamais fait grand cas des élections municipales, Jean-Luc Mélenchon organise depuis 2012 des marches pour la VIe République tous les 18 mars, jour anniversaire du déclenchement de la Commune de Paris en 1871. Il y a donc une logique à ce que, après dix ans d’existence, le mouvement qu’il a cofondé puise son inspiration dans cette expérience, quitte à faire quelques entorses à l’histoire en matière de vision politique et de radicalité.
« Les expériences communalistes, comme la Commune de Paris et la révolution sociale espagnole de 1936, ont en commun de comprendre le processus révolutionnaire non pas comme conquête de l’appareil d’État, comme dans la tradition léniniste, mais comme création de nouvelles institutions populaires d’autogouvernement à l’échelle communale, explique David Hamou, sociologue à l’université Paris-Nanterre et auteur d’une thèse sur l’expérience municipaliste de Barcelone en commun de 2015 à 2023. Il ne s’agit donc pas de voir la conquête du pouvoir municipal comme une première étape de la conquête du pouvoir d’État, mais d’abolir la souveraineté étatique en la remplaçant par l’auto-organisation communale et le fédéralisme. »
« C’était l’idée d’une République organisée sur la base des assemblées communales législatives permettant à tous les citoyens de participer directement à la fabrique de la loi. Ledru-Rollin avait notamment appelé sa brochure “Plus de président, plus de représentant !” », confirme le sociologue Pierre Sauvêtre, auteur d’un livre sur le théoricien américain Murray Bookchin, qui a ravivé l’idée communaliste dans les années 1970.
Après la Commune de Paris, le communiste libertaire Gustave Lefrançais définissait le communalisme, en 1874, « comme la “double suppression du gouvernement dans l’ordre politique et du salariat dans l’ordre économique” et ambitionnait de substituer à l’action gouvernementale la “participation directe de tous les intéressés à la gestion de la chose publique” », détaille Pierre Sauvêtre.
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sans perdre de vue la prise de pouvoir national, qui reste la matrice du mouvement mélenchoniste. ... respecter une votation sur leur révocation « dans le cas où 10 % du corps électoral signe une pétition vérifiée le demandant
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la comparaison a donc des limites : « Tout le gouvernement représentatif et la souveraineté de l’État demeurent intacts, donc ce néomunicipalisme, qui est en fait la stratégie véritable de LFI, n’est pas contradictoire et ne l’amènera pas à remettre en question la tradition “jacobine” à l’échelle nationale », analyse Pierre Sauvêtre.
Attirer les radicalités, éroder le capitalisme
Cette bifurcation dans l’histoire insoumise a été saluée par plusieurs député·es, ex-député·es ou responsables locaux de LFI. C’est le cas de François Piquemal, ancien porte-parole de Droit au logement (DAL) devenu député de Toulouse (Haute-Garonne), où il s’est déclaré candidat aux municipales. « À titre personnel je me reconnais totalement dans le communalisme, étant entré en politique par des mouvements qui s’en revendiquaient », explique-t-il.
Au début des années 2000, il avait rejoint Les Motivés, un collectif de militantes et militants associatifs et du monde de la culture qui avait obtenu 12,5 % des suffrages exprimés aux municipales de 2001. « Un petit exploit étant donné la mainmise du Parti socialiste à l’époque », commente-t-il. Fin mars, il a reçu en meeting à Toulouse Ada Colau, l’ex-maire de Barcelone élue sous les couleurs de Barcelone en commun (Barcelona en Comú) de 2015 à 2019, dans la foulée du mouvement des Indignés – un autre exemple récent de « communalisme » et une source d’inspiration à ses yeux.
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Le « nouveau communalisme insoumis » mêle donc plusieurs expériences récentes et passées sans coïncider parfaitement avec aucune d’entre elles. « L’élargissement de LFI ces dernières années fait que des cultures politiques différentes s’y côtoient. Ce qu’on essaie de faire, c’est de les articuler », plaide François Piquemal.
L’utilisation du mot, chargé d’histoire, peut aussi servir plusieurs objectifs. « Cette idée d’autonomie politique d’un peuple qui prend activement en main l’élaboration des règles de la vie collective n’est, à l’évidence, pas le projet de LFI, mais le terme de communalisme, parce qu’il renvoie à l’imaginaire assez unanimement valorisé à gauche de la Commune de 1871, est un bon attracteur des sensibilités radicales », avance Pierre Sauvêtre. Il pourrait aussi avoir pour but de ringardiser ou de désarmer les listes « participatives et citoyennes » qui cherchent à émerger.
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« Dans un contexte où tant le marché capitaliste que la souveraineté étatique semblent incapables de faire face aux grands défis – écologiques, démocratiques, sociaux – de notre temps, l’espace local apparaît comme lieu d’un possible renouveau citoyen, fondé sur l’intervention permanente de chacun dans les affaires publiques de la cité », constate ainsi David Hamou.
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« Cette revendication peut traduire une certaine rupture avec la voie populiste qui a longtemps été celle de LFI, ou s’inscrire au contraire dans ce qui a été identifié par diverses études sociologiques sur LFI comme une stratégie d’affichage d’une composante “mouvementiste” qui ne se traduit pas toujours en actes. La question de l’articulation entre les candidatures insoumises et les plateformes municipalistes citoyennes liées aux mouvements sociaux apportera sans doute la réponse à cette question », suggère David Hamou.
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16 décembre 2020 https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/161220/eroder-le-capitalisme-la-strategie-posthume-d-erik-olin-wright
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« le pouvoir du peuple ne peut pas se déléguer sans se détruire » et tient la « démocratie représentative » pour une « contradiction dans les termes ».
Pour y parvenir, Bookchin croit en la patience révolutionnaire, rappelant qu’il aura fallu près d’un siècle de maturation pour mettre en mouvement la révolution russe, et refuse l’idée d’une nécessité historique : la société est devenue bourgeoise, mais il aurait pu en être autrement.
Murray Bookchin (1921-2006) écologiste libertaire américain (Photo par Luisa Michel – CC BY-SA 4.0)
Ce passage en revue de l’éco-anarchisme (qui gagnerait et mériterait d’être complété par les pensées d’écoféministes) nous rappelle l’impossibilité d’un renversement écologique dans le cadre capitaliste, comme en témoigne le développement de mots creux, vains et réformiste, que Patrick Chastenet cite (« développement durable », « croissance verte » « transition »).
Il nous prévient également que l’absence d’un changement radical amènera sans doute les élites actuelles à gérer les catastrophes écologiques à venir de manière punitive ou fascisante, comme le laisse penser les réactions étatiques à la pandémie de covid-19. Bernard Charbonneau anticipant que si on la laisse faire, la bourgeoisie tentera de sauver l’espèce « au prix d’une aggravation de la pollution fondamentale, la disparition de l’égalité et de la liberté, car cette société sera aussi autoritaire, contraignante, qu’oligarchique ». Elle permet aussi, notamment via Bookchin, de sortir des conceptions droitières de l’écologie, en vogue en ce moment, qui masquant la responsabilité du capitalisme préfère s’en prendre à la démographie, dissimulant souvent mal des pensées profondément racistes.
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Patrick Chastenet, Les racines libertaires de l’écologie politique (2023), L’Echappée, coll. Le Pas de Côté, 20 euros, 240 pages
Rob Grams
Ndlr : donne une vision didactique de cette idéologie. Approfondir car déplacer le "pouvoir" vers le bas résoud-il le pb de notre rapport à lui ? ACT
Enquête — Politique - Durée de lecture : 10 minutes - Politique Culture et idées
La planification écologique s’est imposée dans le paysage politique jusqu’à Emmanuel Macron, qui se l’est appropriée dans l’entre-deux-tours de la présidentielle. Retour sur un concept clé qui pousse aussi l’écologie politique à réinterroger son rapport à l’État.
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nommer sous peu son ou sa Première ministre. D’après l’Élysée, il ou elle se verra « chargée de la planification écologique » : une formule soustraite à son adversaire de gauche, Jean-Luc Mélenchon, qui en a fait un étendard depuis plus d’une décennie. Même si les contours de la planification souhaitée par le président de la République restent flous, elle pourrait entraîner un bouleversement en profondeur de l’appareil d’État. Investi officiellement samedi 7 mai, Emmanuel Macron a de nouveau insisté sur sa volonté de « planifier » en faisant « le serment à la jeunesse de léguer une planète plus vivable ».
« C’est une victoire idéologique pour la France insoumise, clame Martine Billard. Emmanuel Macron est rattrapé par la réalité. Face à la gravité du réchauffement climatique, il n’a plus d’autre choix »
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Dès 2009, cette historique du parti de gauche avait déposé une proposition de loi sur le sujet alors qu’elle était encore députée Les Verts à l’Assemblée nationale. Cosignée par Noël Mamère et Yves Cochet, ce texte voulait « instaurer le plan écologique de la Nation », créer « un commissariat à la Planification écologique » et « organiser des conférences de participation populaire » pour construire démocratiquement le projet.
La planification est plus qu’une méthode : il s’agit d’éclairer l’avenir, de se donner des objectifs chiffrés à tenir et d’organiser avec les territoires la transition écologique dans tous les secteurs : énergie, finance, aménagement du territoire, agriculture, etc.
En 2008, alors qu’il était encore au Parti socialiste (PS), Jean-Luc Mélenchon portait déjà lui aussi cette idée. « Le programme socialiste doit être celui du retour de l’État redistributeur, stratège, protecteur, organisateur du temps long », plaidait-il dans le cadre d’une motion. En parallèle, les intellectuels proches de l’écosocialisme comme Michael Löwy participaient à la diffusion de ce concept dans le milieu universitaire.
« Un mot “obus” pour produire de la conflictualité »
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Corinne Morel Darleux, l’une de ses plus proches camarades de l’époque. ... Chez les écolos, on se déchirait : « On me traitait d’étatiste », se souvient Martine Billard. « Nous sommes plutôt issus d’une tradition libertaire et régionaliste, héritière de Mai 68, confirme Noël Mamère. Une partie des pionniers de l’écologie politique, comme Ivan Illich, Jacques Ellul ou Murray Bookchin se sont construits contre l’État, son dirigisme et son centralisme. » « Historiquement, les plans, ce n’est pas trop notre truc », concède, aussi, Alain Coulombel, actuel porte-parole d’Europe Écologie-Les Verts.
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Jean-Luc Mélenchon (à droite) avec l’ingénieur spécialiste des éoliennes marines, Bertrand Alessandrini, le 14 janvier 2022, au large de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique). © Stéphane Burlot/Reporterre
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le chercheur Dominique Plihon dans une note d’Attac ... sociologue Razmig Keucheyan, la planification écologique est le seul moyen pour imposer un contrôle public du crédit et de l’investissement, arrêter le financement des industries polluantes et organiser leur fermeture, tout en accompagnant massivement les investissements dans la transition écologique. « Jusqu’ici, la planification a été productiviste. La planification écologique, elle, doit organiser la décroissance de l’utilisation des ressources naturelles », écrit-il dans le Monde diplomatique.
... Naomi Klein ... réapprendre à planifier nos économies en fonction de nos priorités collectives et non plus des critères de rentabilité ... Cyrille Cormier, l’auteur du livre Climat, la démission permanente (Utopia, 2020)
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Martine Billard ... la planification n’est pas simplement une refonte de l’architecture gouvernementale, c’est une nouvelle vision, un imaginaire révolutionnaire de l’action politique ... décalage entre cette proposition et l’urgence d’actions immédiates ... construction de nouveaux EPR ... plans des années 1970 et 1980, décrétés par le haut et de manière autoritaire. L’inverse de ce que préconisaient les fondateurs de la planification écologique, qui voyaient dans cet outil un moyen de stimuler la démocratie locale, d’établir les besoins et les objectifs à l’échelle des territoires.
Ndlr : en cela la médiation est centrale dans ce processus de co-création où l'horizontalité fertilise deux articulations :
- entre les verticalités ascendantes et descendantes.
- Et entre conflits et projets.
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