Politique
« Tiers-lieux enracinés » : le nouveau visage de l’extrême droite à la campagne - 23 juin 2025 à 14h36 / Par Victoire Radenne
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Réinvestir les campagnes pour y créer des communautés « catholiques et enracinées » : tel est l’objectif du programme Communitas Christiana, qui, derrière un discours et une esthétique ruraliste, diffuse un idéal séparatiste.
... reprise du Billy Bar, au centre-ville de Sées (Orne) ... transformer l’historique troquet en un « tiers-lieu convivial et multifonctionnel », entre « le café de sortie de messe et l’espace coworking », présente Victor Aubert ... ne souhaite pas seulement revitaliser le centre-ville de cette commune normande de 4 000 habitants : il est le fondateur d’Academia Christiana, une organisation identitaire et catholique traditionaliste, qui prône violence physique et recours aux armes.
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Investir des lieux de convivialité en imitant certains codes de la gauche militante afin de reconstituer un entre-soi idéologique dans les campagnes françaises : ainsi pourrait se résumer le mantra de Communitas Christiana, un programme lancé par l’Association culturelle d’éducation intégrale, également dirigée par Victor Aubert, qui vise à « recréer des communautés locales catholiques et enracinées face à l’isolement croissant des individus et au déclin anthropologique ».
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fidèle « à la reconnaissance de la royauté sociale du Christ ». Et sa porosité avec les partis d’extrême droite n’est plus à prouver.
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en appelant la jeunesse à « bâtir des communautés enracinées, catholiques et tournées vers le bien commun » ? Leur notion d’enracinement peut se résumer aux cinq piliers de l’éducation intégrale, détaillés dans leur charte : le savoir-faire manuel (organisation de chantiers, artisanat, travail de la terre), le sport et l’hygiène de vie, la formation intellectuelle (histoire, littérature), la solidarité et la vie spirituelle (prières, foi, pèlerinages).
Une vision étroitement liée à celle du milliardaire d’extrême droite Pierre-Édouard Stérin, créateur du Fonds du bien commun et des Nuits du bien commun, qui prône également le concept d’éducation intégrale au sein de ses futurs internats en Sologne.
Des militants d’origine citadine
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top 5 des petites villes idéales où s’implanter. Parmi les critères qu’ils chérissent : la présence d’une messe traditionaliste, de préférence effectuée en latin, une école catholique hors contrat à moins de 15 kilomètres et un accès ferroviaire à une grande ville. Des territoires censés séduire « une jeunesse en quête de sens », aspirant à ralentir et embrasser « une vie plus simple », reprenant des éléments de langage peu habituels à l’extrême droite.
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Si les trois premières communautés se trouvent à Paris (Le Cercle parisien), Lyon (La Communauté lyonnaise) et Toulouse (Communitat Occitana) — démontrant l’origine majoritairement citadine des militants — une dizaine de nouvelles « communautés enracinées » sont apparues récemment, à l’instar d’Auvernha Christiana, aux alentours de Clermont-Ferrand, Liga Carcinola à Brive-la-Gaillarde, le Cœur yonnais en Vendée, ou encore Des Tours et des lys, en Touraine. Cette dernière suscite l’inquiétude des élus et syndicats locaux.
« Leurs intimidations ont commencé avec la pression contre la tenue d’événements avec des drag queens et l’hébergement des mineurs isolés. Mais au-delà de ces obsessions, ils fabriquent un discours sur les campagnes abandonnées et sur la prétendue polarité entre la campagne et la ville pour séduire les jeunes ruraux et organiser leur projet politique », assure Astrid Gonzalez, secrétaire fédérale du Mouvement jeunes communistes d’Indre-et-Loire.
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« Vitrine acceptable »
Leur ancrage local passe également par l’organisation d’évènements culturels comme le Printemps de l’Ouest, à Châteaubriant (Loire-Atlantique), qui promet loisirs extérieurs, petite restauration, danses traditionnelles et jeux bretons.
« Dans la région, ils se fabriquent une vitrine acceptable, par le biais de maraudes — officieusement réservées aux SDF blancs — des raids printaniers — randonnées qui font penser aux jeunesses hitlériennes — ou des sessions de ramassage de déchets », développe Charles Fournier, député écologiste de la circonscription, qui a également réclamé l’ouverture d’une enquête à la préfecture.
Une story publiée le 23 mai sur le compte Instagram du mouvement Des Tours et des lys trahit ses obsessions avant tout sécuritaires et identitaires
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Entrisme dans le tissu local
La rhétorique d’une modernité qui vacille, quand la ruralité reste debout, se rapproche, selon Pierre Cornu, historien de la ruralité, « de l’idéologie pétainiste ». « L’un des slogans du maréchal Pétain était “La terre, elle, ne ment pas”. Il a ancré le thème du terroir, des racines, dans une pensée conservatrice et réactionnaire, aujourd’hui récupérée par la nébuleuse zemmouriste ».
Pour Antoine Dubiau, doctorant en géographie et auteur de l’ouvrage Écofascismes (éd. Grevis, 2023), ce rejet de la ville, qui serait le lieu de la décadence, est une rhétorique habituelle de l’extrême droite, qu’elle soit écologiste ou non : « Entre les lignes, l’idée est de reconstituer une base arrière préservée du métissage racial et culturel. Les Braves [mouvement d’extrême droite nataliste] défendaient déjà l’idée de créer des communautés racialement homogènes pour que la race blanche se perpétue. »
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Depuis 2013, Academia Christiana organise des universités d’été, de la Loire à la Provence, pour « restaurer la civilisation ». L’Institut Iliade, groupe de réflexion d’extrême droite, organise chaque année des formations pour les jeunes dans lesquelles est abordée l’écologie, « incontestablement l’un des grands enjeux de notre siècle ».
Quant aux royalistes de l’Action française, ils ébauchent dans un ouvrage les contours d’une « écologie intégrale » qui serait fondée autour du triptyque enracinement, terroirs et décroissance, quand d’autres militants appellent à la création de « zones identitaires à défendre ».
Une énième preuve, selon Antoine Dubiau, « que l’extrême droite, ce n’est pas juste des crânes rasés qui veulent se battre dans la rue, mais des franges intellectuelles qui investissent le champ de l’écologie, des territoires et de l’enracinement pour justifier une hiérarchie raciale ».
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