Publié par Jacques Tiberi dans Extrait du mag n°10 le 18/05/2025 à 19:08
benjmain brice low-tech
Benjamin Brice est docteur en science politique et essayiste. Il est notamment l'auteur de L’impasse de la compétitivité et de La sobriété gagnante, dont la parole a capté l'attention de BFM Business comme de François Ruffin. On lui a demandé ce que lui inspirent quelques concepts économiques chers à la communauté low-tech.
LTJ : Dans tes livres, tu parles de sobriété, de relocalisation de la production, de planification... des mots qu'on retrouve dans la bouche des lautéqueurs lorsqu'ils parlent d'économie. Mais que penses-tu de leurs propositions d'instaurer une économie circulaire et de la fonctionnalité, d'installer des usines distribuées ou de déposer des brevets open source ?
Benjamin Brice : Je pense que c’est une boîte à outils dans laquelle piocher des initiatives intéressantes pour réduire notre consommation de produits importés, sans mettre à mal tout notre équilibre économique.
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l’enjeu est de revoir nos modes de consommation pour baisser notre consommation en volume matériel, mais pas en valeur ... acheter deux paires de chaussettes à 12 €, mais fabriquées en France, plutôt que d'en acheter 6 pour le même prix, made in China.
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défendre la sobriété made in France et accélérer les relocalisations. Par exemple des aides à la revitalisation des bassins d’emploi, des réglementations sur l’obsolescence accélérée, des lois contre les distorsions de concurrence ou un étiquetage environnemental, et même des taxes-carbone sur des produits importés.
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Ce sont les catégories populaires qui subissent le plus le coût des énergies fossiles pour se chauffer et se déplacer. La première chose à faire est d´orienter toutes les politiques d’énergies renouvelables et de transports publics vers les catégories populaires. Or, aujourd’hui, l’État fait le contraire : il finance la transition des riches en subventionnant les rénovations thermiques des ménages les plus aisés et les véhicules électriques haut de gamme ! De plus, il nous manque des produits d’entrée de gamme made in france. C’est l’angle oublié du made in france. Et c’est là que des initiatives comme la Jugaad (l'innovation frugale) entrent en jeu.
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valoriser la qualité et la durée de vie, exige un réapprentissage de la population. Mais quelques réglementations ou normes permettraient de mettre hors marché beaucoup de produits dont la valeur d’usage est très faible. ... démontrer que ces outils ne sont pas que bons pour l'environnement, mais, surtout, bons pour la société, pour l’égalité sociale et pour l’emploi.
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le discours écologique ne suffit pas ... prendre en compte les autres facettes de la réalité : la question sociale, l'économie et la géopolitique ... on n’émet que 1 % des gaz à effet de serre ... Sobriété et relocalisations auront un impact écologique. Mais aussi un impact socio-économique avec de l'emploi, du financement des services publics, etc.
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Les entreprises devront bifurquer rapidement, et devraient déjà commencer, notamment grâce à l’intraprenariat. Les entreprises qui ont les moyens de préparer l’avenir sans remettre en cause tout leur business devraient s’y mettre dès maintenant pour gagner en résilience. En misant notamment sur l’économie de la fonctionnalité. Je pense, d'ailleurs, que les réseaux d’entrepreneurs et d’investisseurs ont intérêt à soutenir ces initiatives pour forger un tissu industriel français moins vulnérable et plus adapté à un avenir sous contraintes.
Mots clés : frugalité, low-tech, sobriété, économie, énergie