Nous avons invité Raphaël Larrère pour parler du bouquin co-écrit avec Catherine Larrère Le pire n'est pas certain : essai sur l'aveuglement catastrophiste, sorti en septembre 2020. Leur analyse critique des thèses catastrophistes pourra être mise en perspective avec les réflexions que nous avions conduites lors de l’atelier prospectif par lequel nous avions ouvert le programme « Explorer les chemins de la transition » (voir : https://www.cit-in.fr/premier-atelier-de-reflexion-prospective), ainsi que lors de la première séance du séminaire consacré aux futurs : « Comment s’orienter dans la transition » (voir : https://www.cit-in.fr/comment-s-orienter-dans-la-transition). Cela permettra de réfléchir avec Catherine et Raphaël à la manière dont les expérimentations au centre du programme offrent, dans leur pluralité, des voies de politisation de l’écologie et rouvrent les possibilités d’action et les alternatives.
Connu / https://www.cit-in.fr/
Parler avec assurance de choses qu'on ne connaît pas, c'est l'ultracrépidarianisme. Explications avec le philosophe et physicien Étienne Klein.
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Transcription :
Journaliste : Laurène Gris - Montage Morgane Pottier brut.media
On est tous pour ou contre le nucléaire, les nanosciences les OGM. Mais qui d'entre nous est capable de dire ce qu'on met vraiment dans un réacteur nucléaire ? Ce qu'est une réaction de fission ? Comment ça fonctionne ? Qu'implique E=mc2 ? Qu'est-ce que c'est qu'une cellule souche, un OGM ? Personne.
L'ultracrépidarianisme, c'est un mot savant pour dire que, souvent, on parle avec assurance de choses que nous ne connaissons pas et c'est dérivé d'une locution latine qui est : "Sutor, ne supra crepidam" qui veut dire en gros que le cordonnier ne doit pas parler au-delà de la chaussure.
Moi j'ai noté cette tendance-là au tout début de l'épidémie. Je rentrais du Chili et en arrivant en France, alors que le confinement avait commencé depuis quelques jours, je voyais des tweets écrits par des personnalités politiques, parfois de très haut rang, qui commençaient par : "Je ne suis pas médecin, mais je pense..." etc. Et, après cette déclaration honnête d'incompétence, s'ensuivaient des injonctions sur ce qu'il fallait faire ou penser à propos de tel ou tel traitement. Au tout début de l'épidémie. Ça m'avait étonné qu'on puisse avoir autant d'assurance alors même qu'on vient de déclarer qu'on est incompétent.
J'ai remarqué en étudiant un peu la question que c'était une tendance savassez naturelle, qui a d'ailleurs été étudiée par des psychologues américains à la fin du 20è siècle qui s'appellent Dunning et Kruger, qui avaient remarqué que pour se rendre compte qu'on est incompétent, ben il faut être compétent. Au début, quand on découvre un nouveau champ, on se sent spontanément compétent. Par exemple, j'y connais rien en football, mais si on me demandait d'être sélectionneur de l'équipe de France de football, spontanément je dirais : "Pourquoi pas, ça a l'air simple." On s'assoit sur un banc, on fait des gestes, on crie un peu et ça doit être suffisant pour que l'équipe gagne. Et puis, en regardant les choses d'un peu plus près, on s'aperçoit que c'est beaucoup plus compliqué. Nous sommes tous appelés à être victimes de cet ultracrépidarianisme. Quand vous conversez au café avec vos amis, vous dites des choses qui vont au-delà de vos compétences. C'est tout à fait naturel dans la conversation, simplement il faut en avoir conscience, et quand on a une parole publique qui peut avoir des effets politiques importants, il faut être prudent. L'idée, c'est pas du tout de dire que chacun est contraint dans sa liberté à laisser la parole aux experts. En fait, en démocratie, n'importe qui a le droit de poser une question aux experts, de les interpeller, de les interroger. Mais c'est pas ce qui est fait là. C'est : on donne son avis sans savoir.
Livre "Le goût du vrai" a fait naître de nombreuses polémiques.
Nous avons tendance à écouter ceux qui parlent de tout. Comme s'ils nous rassuraient, comme si les gens qui ont des formes de certitude, une forme d'arrogance aussi, nous rassuraient dans une période d'incertitude. Dans les mêmes canaux de communication circulent aujourd'hui des connaissances, scientifiques ou autres, des informations, des commentaires, des opinions, des fakenews, et le fait que toutes ces choses circulent dans les mêmes canaux fait que leurs statuts respectifs, qui sont pourtant très différents, se contaminent.
Je me rends compte que les gens qui sont modérés, qui sont prudents, qui sont en quelque sorte "centristes" pour ce qui est des questions relatives à la vérité, parlent beaucoup moins que les gens qui sont extrémistes dans ces domaines. C'est un peu comme en politique : les gens qui sont aux extrêmes parlent plus que les gens qui font partie de ce qu'on appelle la majorité silencieuse. Et moi je pense que notre démocratie, pour garder de sa vivacité, a besoin que les gens modérés s'engagent passionnément. L'idée même de démocratie a à voir avec le fait qu'on puisse argumenter et s'en donner le temps, sans simplement s'imposer... s'opposer, pardon, avec des arguments assez primaires qui donnent l'impression que ce sont des arguments d'autorité qui se combattent et non pas des analyses.
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Connue / https://twitter.com/brutofficiel/status/1301407829769633792
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François BOCQUET a retweeté
Brut FR @brutofficiel · 3 sept.
"Je ne suis pas médecin, mais..."
Parler avec assurance de choses qu'on ne connaît pas, c'est l'ultracrépidarianism. Explications avec le philosophe et physicien @EtienneKlein
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Ndlr :
- fait allusion à L'effet Dunning-Kruger ou effet de surconfiance, un biais cognitif démontré par David Dunning et Justin Kruger
https://fr.wikipedia.org/wiki/Effet_Dunning-Kruger - questionner le point sur le rapport à l'expertise (peut-on dérouler un raisonnement sans en avoir une ? En d'autres termes, peut-on parler de ce que l'on ne connaît pas ? N'est-ce pas ce que fait souvent le médiateur ou le journaliste en rapportant les propos d'un tiers ?) et publier dans centristes insoumis ACT
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"Beaucoup de choses que nous pensions impossibles adviennent" nous disait le Président lundi soir. Message reçu 5/5 : imaginons un "jour d'après différent du jour d'avant" ! 👍
Catégorie People et blogs 439 commentaires
Société
Natacha Polony Directrice de la rédaction
« Ce n'est pas le doute, c'est la certitude qui rend fou. » La phrase de Friedrich Nietzsche résonne étrangement pour qui a entendu ces derniers jours s'exprimer les certitudes et la bonne conscience autour de Vincent Lambert, comme des corbeaux en vol circulaire, pour qui a entendu les cris de liesse et les expressions de supporteurs de foot de ces militants catholiques apprenant la suspension du processus d'arrêt des traitements sur décision d'une énième cour d'appel. Les « on a gagné » hurlés avec rage, la « remontada » revendiquée par l'avocat des parents de Vincent Lambert, donnent une idée non pas seulement de l'indécence mais surtout de la folie à laquelle peuvent conduire des convictions quand elles veulent effacer la complexité du réel. En face, l'évidence est la même. La solution est simple : appliquer en France la loi belge, qui autorise le suicide assisté. Qui autorise aussi l'euthanasie sur des mineurs. Et même sur des personnes dépressives…
L'affaire Vincent Lambert parle à notre humanité commune. La situation tragique de cet homme, les déchirements de sa famille, réveillent en nous des angoisses universelles. C'est précisément pour cette raison que les certitudes des uns et des autres nous agressent. Pour cette raison que les discours politiques nous semblent d'un clientélisme déplacé.
Quiconque s'aventure en ces contrées intimes et incertaines ne peut le faire qu'avec l'humilité de celui qui ne sait pas. Nous ne savons pas ce que vit, ressent ou ne ressent pas Vincent Lambert. Aucun médecin, même, ne le sait véritablement, tant les contours de la conscience nous sont encore flous. Evitons donc de projeter nos fantasmes sur ce visage dans lequel nous ne pouvons lire que l'insondable mystère du vivant. Quelles que soient nos convictions, ce corps nous bouscule, nous déstabilise, nous pousse dans nos retranchements. La plupart d'entre nous, sans doute, y voient l'image même de ce qu'ils ne veulent pas vivre, de sorte que, si cette affaire aune...
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