Corruption ; International
Alors que des soupçons de corruption pèsent sur les tractations entre l’Inde, Dassault et la France au sujet de la vente de 36 avions de chasse Rafale, nous avons reçu Yann Philippin, journaliste à Mediapart et auteur de l’enquête pour nous expliquer les tenants et les aboutissants de cette affaire.
Pendant des mois, Yann Philippin, journaliste à Mediapart, a enquêté sur la vente pour 7,8 milliards d’euros des Rafale à l’Inde, un contrat faramineux remporté par Dassault après 15 années d’âpres négociations. Les “Rafale Papers”, comme Mediapart a nommé l’enquête publiée le 4 avril, montrent la face cachée de ce succès de Dassault, entre maquettes surpayées, luxurieuses commissions aux intermédiaires, corruption politique et pressions au plus haut niveau des deux états.
Grâce à des documents publiés pour la première fois, Yann Philippin a réussi à reconstruire la longue série de moyens illicites utilisés par Dassault et la France pour s’assurer de remporter ce marché exceptionnel, ainsi que le rôle joué par deux présidents de la République, François Hollande, dont la compagne a joui du financement d’un film, et Emmanuel Macron, qui a autorisé un mystérieux abattement fiscal quand il était ministre de l’économie.
Sur le plateau du Média, le journaliste du service enquête de Mediapart relate également l'indifférence de l’ancienne cheffe du parquet national financier, Eliane Houlette, et de l’Agence française anticorruption. Au courant des soupçons de corruption, ni l’une ni l’autre n’ont entamé aucune investigation sérieuse.
Une enquête qui a eu une grande résonance en Inde, mais très peu d’écho en France, et dont l’auteur raconte les coulisses sur Le Média.
Clés : Justice ; Politique
Macron / Kohler : la justice aux ordres du pouvoir
Une fois encore, nos confrères de Médiapart ont fait mouche. Mardi, le site d’investigation a révélé qu’Emmanuel Macron était intervenu, en juillet 2019, pour faire cesser l’enquête que menait le Parquet national financier sur un de ses collaborateurs.
Ce collaborateur, c’est Alexis Kohler, le secrétaire général de l'Élysée. Un des quatre hommes qui dirige le pays. Les trois autres étant le Président, le Premier ministre et le directeur de cabinet de ce dernier.
Alexis Kohler est soupçonné de conflits d'intérêts en raison de ses liens avec l'armateur italo-suisse MSC. Ce groupe est en effet dirigé par des cousins de sa mère.
En 2010 et 2011, alors qu’il siégeait en tant que représentant de l’État au Conseil de surveillance du Grand port maritime du Havre, Alexis Kohler a approuvé des contrats avec MSC.
En juin 2018, le Parquet national financier a ouvert une enquête préliminaire pour conflit d’intérêts et prise illégale d’intérêts.
La suite, c’est Ugo Bernalicis qui la raconte. Le député de la France insoumise interpelle la Garde des sceaux lors des questions au gouvernement. Et rappelle la chronologie ahurissante de l’année 2019 :
« Le 30 juin dernier, Éliane Houlette, procureure nationale financière, part à la retraite. Le 1er juillet, Muriel Fusina est désignée par la procureure générale, madame Champrenault, contre l’avis de madame Houlette pour faire son intérim. Contre l’avis de madame Houlette. C’est la même madame Champrenot qui est mise en cause dans le cadre de l’affaire Fillon pour les pressions hiérarchiques qu’elle a fait subir à Eliane Houlette.Le même 1er juillet, Emmanuel Macron joint au dossier Alexis Kohler une lettre manuscrite de sa part visant à absoudre monsieur Kohler des chefs d’inculpation dont il faisait l’objet dans le dossier MSC. Le 18 juillet, le procès verbal des policiers, le PV de synthèse est modifié en conséquence, et le 21 août alors que nous sommes toujours dans la période d’intérim du Parquet national financier, il y a un classement sans suite alors qu’il n’y a pas d’urgence dans cette affaire et que le nouveau procureur n’est pas nommé.Madame la garde des Sceaux, madame la ministre, du fait des remontées d’informations dans les affaires sensibles,étiez-vous au courant de cela ? Etiez-vous au courant que le président de la République, censé être garant del’indépendance de l’autorité judiciaire au titre de l’article 64 de la Constitution, était intervenu directement dans un dossier individuel. Etes-vous prête à ouvrir une enquête de l’inspection générale de la justice ? »
Passant outre la séparation des pouvoirs, Emmanuel Macron a écrit au PNF à l’été 2019 pour disculper Alexis Kohler, au lendemain d’un rapport de police l’accablant. À la suite de cette lettre, un second rapport d’enquête a été écrit, aboutissant à des conclusions inverses. Un mois plus tard, l’enquête sera classée sans suite.
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Au mépris de la séparation des pouvoirs, le président de la République est intervenu directement dans une procédure judiciaire individuelle. Une entrave à la justice visant à protéger son collaborateur le plus proche, Alexis Kohler, et à couvrir un mensonge d’État.
Ce n’est pas la première fois qu’Emmanuel Macron ne se sent pas tenu par l’ordre constitutionnel de la séparation des pouvoirs, consacré par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. C’est même devenu une habitude sous ce quinquennat, comme le rappelle Ellen Salvi. Mais cette fois, il a choisi d’outrepasser toutes les règles.
Alors qu’un premier rapport d’enquête accablant avait été rédigé par la police le 7 juin 2019, un second rapport, disant exactement l’inverse, est signé le 18 juillet 2019. Entre-temps, le 1er juillet, une attestation d’Emmanuel Macron a atterri au Parquet national financier chargé de mener l’enquête.
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Le secrétaire général de l’Élysée est alors sous le coup d’une enquête préliminaire du Parquet national financier pour conflit d’intérêts et prise illégale d’intérêts depuis juin 2018. Comme l’avait révélé Mediapart, Alexis Kohler n’avait en effet pas rendu publics ses liens familiaux avec la famille Aponte, principal actionnaire de MSC.
Ce groupe, très opaque, de transport dépend beaucoup des aides publiques et Alexis Kohler, dans ses diverses fonctions, a été amené à prendre position sur ce dossier au nom de l’État. Et c’est pour l’exonérer de toute faute qu’Emmanuel Macron prend alors la plume.
« Cher Alexis,
Comme suite à votre demande, je vous confirme que lors de ma prise de fonction de ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, j’étais déjà informé de vos liens familiaux avec les actionnaires de contrôle de MSC, ainsi que de la volonté que vous aviez exprimée de rejoindre cette entreprise quelques mois plus tard.
Vous m’aviez d’ailleurs formellement remis, au moment de votre entrée aux fonctions de directeur de mon cabinet, un courrier demandant à ne jamais avoir à traiter des dossiers et questions concernant cette société.
Dès lors, les mesures d’organisation ont été prises dans ce sens, M. Julien Denormandie, directeur adjoint du cabinet, ayant été chargé en lien direct avec moi de tous les sujets substantiels et des négociations concernant la société MSC qui étaient dans le périmètre de mes attributions ministérielles », indique cette note signée de sa main.
Le chef de l’État sait l’usage qui sera fait de cette note demandée par son bras droit : elle va être adressée directement au Parquet national financier (PNF) pour aider Alexis Kohler.
Cette note devait rester inconnue de tous, à l’exception des deux ou trois personnes auxquelles elle était destinée. Elle n’a même pas été cotée au dossier. Et il n’y est jamais fait référence dans le rapport d’enquête, hormis une simple mention entre parenthèses. Elle aurait dû disparaître. Mais elle existe toujours- Mediapart se l'est procurée- et jette un trouble sur le fonctionnement de la justice
« Le déroulement de certaines procédures ne permet pas d’écarter le soupçon d’une immixtion illégitime du gouvernement dans des affaires individuelles », déclarait Élise Van Beneden, secrétaire générale adjointe d’Anticor, le 20 mai, devant la commission d’enquête parlementaire sur les obstacles à la justice qui l’interrogeait sur les éventuelles entraves à la justice qu’elle avait eu à connaître. Elle y avait alors explicitement exposé l’existence de cette lettre. Débouté de sa première plainte, Anticor a redéposé une plainte devant le doyen des juges d’instruction pour « conflit d’intérêts », « non-respect des codes déontologiques », « trafic d’influence ».
Lors des questions d’actualité à l’Assemblée nationale, ce 23 juin, le député (FI) Ugo Bernalicis, qui préside cette commission d’enquête, a donc interpellé la ministre de la justice Nicole Belloubet, lui demandant si elle était informée de cette intervention directe de l’Élysée dans l’enquête visant Alexis Kohler. « Êtes-vous prête à ouvrir une enquête de l’Inspection générale de la justice ? », a-t-il demandé. Il n’a obtenu qu’une réponse embarrassée de la part de Nicole Belloubet.
Interrogé sur les motifs qui ont conduit Emmanuel Macron à rédiger une telle note, et sur les risques que cela pouvait représenter au regard de la séparation des pouvoirs, l’Élysée nous a indiqué qu'il ne ferait «aucune réponse» à nos questions. Le conseil d’Alexis Kohler, Éric Dezeuze, auquel nous avons posé les mêmes questions, ne nous a pas répondu au moment où nous publions cet article.
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Mercredi 10 juin, la commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance de la justice présidée par Ugo Bernalicis auditionnait Éliane Houlette, ancienne procureure de la République financière.