Passant outre la séparation des pouvoirs, Emmanuel Macron a écrit au PNF à l’été 2019 pour disculper Alexis Kohler, au lendemain d’un rapport de police l’accablant. À la suite de cette lettre, un second rapport d’enquête a été écrit, aboutissant à des conclusions inverses. Un mois plus tard, l’enquête sera classée sans suite.
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Au mépris de la séparation des pouvoirs, le président de la République est intervenu directement dans une procédure judiciaire individuelle. Une entrave à la justice visant à protéger son collaborateur le plus proche, Alexis Kohler, et à couvrir un mensonge d’État.
Ce n’est pas la première fois qu’Emmanuel Macron ne se sent pas tenu par l’ordre constitutionnel de la séparation des pouvoirs, consacré par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. C’est même devenu une habitude sous ce quinquennat, comme le rappelle Ellen Salvi. Mais cette fois, il a choisi d’outrepasser toutes les règles.
Alors qu’un premier rapport d’enquête accablant avait été rédigé par la police le 7 juin 2019, un second rapport, disant exactement l’inverse, est signé le 18 juillet 2019. Entre-temps, le 1er juillet, une attestation d’Emmanuel Macron a atterri au Parquet national financier chargé de mener l’enquête.
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Le secrétaire général de l’Élysée est alors sous le coup d’une enquête préliminaire du Parquet national financier pour conflit d’intérêts et prise illégale d’intérêts depuis juin 2018. Comme l’avait révélé Mediapart, Alexis Kohler n’avait en effet pas rendu publics ses liens familiaux avec la famille Aponte, principal actionnaire de MSC.
Ce groupe, très opaque, de transport dépend beaucoup des aides publiques et Alexis Kohler, dans ses diverses fonctions, a été amené à prendre position sur ce dossier au nom de l’État. Et c’est pour l’exonérer de toute faute qu’Emmanuel Macron prend alors la plume.
« Cher Alexis,
Comme suite à votre demande, je vous confirme que lors de ma prise de fonction de ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, j’étais déjà informé de vos liens familiaux avec les actionnaires de contrôle de MSC, ainsi que de la volonté que vous aviez exprimée de rejoindre cette entreprise quelques mois plus tard.
Vous m’aviez d’ailleurs formellement remis, au moment de votre entrée aux fonctions de directeur de mon cabinet, un courrier demandant à ne jamais avoir à traiter des dossiers et questions concernant cette société.
Dès lors, les mesures d’organisation ont été prises dans ce sens, M. Julien Denormandie, directeur adjoint du cabinet, ayant été chargé en lien direct avec moi de tous les sujets substantiels et des négociations concernant la société MSC qui étaient dans le périmètre de mes attributions ministérielles », indique cette note signée de sa main.
Le chef de l’État sait l’usage qui sera fait de cette note demandée par son bras droit : elle va être adressée directement au Parquet national financier (PNF) pour aider Alexis Kohler.
Cette note devait rester inconnue de tous, à l’exception des deux ou trois personnes auxquelles elle était destinée. Elle n’a même pas été cotée au dossier. Et il n’y est jamais fait référence dans le rapport d’enquête, hormis une simple mention entre parenthèses. Elle aurait dû disparaître. Mais elle existe toujours- Mediapart se l'est procurée- et jette un trouble sur le fonctionnement de la justice
« Le déroulement de certaines procédures ne permet pas d’écarter le soupçon d’une immixtion illégitime du gouvernement dans des affaires individuelles », déclarait Élise Van Beneden, secrétaire générale adjointe d’Anticor, le 20 mai, devant la commission d’enquête parlementaire sur les obstacles à la justice qui l’interrogeait sur les éventuelles entraves à la justice qu’elle avait eu à connaître. Elle y avait alors explicitement exposé l’existence de cette lettre. Débouté de sa première plainte, Anticor a redéposé une plainte devant le doyen des juges d’instruction pour « conflit d’intérêts », « non-respect des codes déontologiques », « trafic d’influence ».
Lors des questions d’actualité à l’Assemblée nationale, ce 23 juin, le député (FI) Ugo Bernalicis, qui préside cette commission d’enquête, a donc interpellé la ministre de la justice Nicole Belloubet, lui demandant si elle était informée de cette intervention directe de l’Élysée dans l’enquête visant Alexis Kohler. « Êtes-vous prête à ouvrir une enquête de l’Inspection générale de la justice ? », a-t-il demandé. Il n’a obtenu qu’une réponse embarrassée de la part de Nicole Belloubet.
Interrogé sur les motifs qui ont conduit Emmanuel Macron à rédiger une telle note, et sur les risques que cela pouvait représenter au regard de la séparation des pouvoirs, l’Élysée nous a indiqué qu'il ne ferait «aucune réponse» à nos questions. Le conseil d’Alexis Kohler, Éric Dezeuze, auquel nous avons posé les mêmes questions, ne nous a pas répondu au moment où nous publions cet article.