Par Monique Sicard, chercheur CNRS, auteure. Dernier ouvrage paru : "La Fabrique photographique des paysages", Hermann, 2015. A paraître, en collaboration avec Malvina Borgherini : PhotoPaysage /Il paesaggio inventato dalla fotografia, Quodlibet, 2019.
Nous, étudiants en 2018, faisons le constat suivant : malgré les multiples appels de la communauté scientifique, malgré les changements irréversibles d’ores-et-déjà observés à travers le monde, nos sociétés continuent leur trajectoire vers une catastrophe environnementale et humaine.
Chacune des trois dernières décennies a été plus chaude que la précédente et que toutes les autres décennies depuis 1850[I]. En cette année 2018, même les pays scandinaves ont été touchés par des feux de forêts d’une ampleur inhabituelle[II]. Aujourd’hui déjà, 60% des espèces en Europe sont en situation de conservation défavorable[III] et le tiers de l’humanité est touché par la désertification des sols[IV]. Du fait de l’augmentation de la fréquence des événements climatiques extrêmes, de la baisse des rendements agricoles et de la recrudescence des maladies, plus de 100 millions de personnes risquent de passer sous le seuil de pauvreté d’ici 2030[V]. D’ici 2050, 250 millions de personnes devraient se déplacer suite à des événements extrêmes liés au changement climatique[VI].
La liste est longue alors essayons de faire court : nous avons, à l’échelle mondiale, franchi au moins 4 des 9 “limites planétaires”[VII] au-delà desquelles les dégradations environnementales risquent de provoquer des changements brutaux du système-Terre, compromettant la poursuite des activités humaines. Faudra-t-il attendre que toutes les limites soient franchies avant que nous ne réagissions ? Certes, lors de la COP21 en 2015, 195 pays, appuyés par des groupements d’experts et des ONG, se sont accordés, sans pour autant se contraindre, quant à la nécessité de contenir le réchauffement climatique à moins de 2 °C pour ne pas risquer un emballement incontrôlable du climat. Mais étant donné l’écart[VIII] entre les engagements chiffrés des États et les réductions nécessaires d’émissions, nous constatons avec frustration que les actions proposées sont fondamentalement insuffisantes au regard des défis qui se présentent à nous.
Insuffisantes, car elles ne permettent pas de traiter les causes profondes du problème. Le fonctionnement actuel de nos sociétés modernes, fondé sur la croissance du PIB sans réelle considération des manques de cet indicateur, est responsable au premier chef des problèmes environnementaux et des crises sociales qui en découlent. Nos systèmes économiques n’ont toujours pas intégré la finitude des ressources[IX] ni l’irréversibilité de certaines dégradations écologiques ; ils ignorent jusqu’à leur propre fragilité face aux dérèglements environnementaux et au creusement des inégalités. Nos systèmes politiques, contraints par l’expression d’intérêts contradictoires souvent éloignés de l’intérêt général, peinent à proposer une vision à long terme et à prendre des décisions ambitieuses effectives pour un renouveau de société. Nos systèmes idéologiques, enfin, valorisent des comportements individualistes de recherche du profit et de consommation sans limite, nous conduisant à considérer comme « normaux » des modes de vie pourtant loin d’être soutenables. Nous nous bornons au mieux à l’ignorance, au pire au déni.
Nous, signataires de ce manifeste, sommes pourtant convaincus que ce sombre tableau n'est pas une fatalité. Deux options s’offrent aujourd’hui à nous : poursuivre la trajectoire destructrice de nos sociétés, se contenter de l’engagement d’une minorité de personnes et en attendre les conséquences ; ou bien prendre notre avenir en main en décidant collectivement d’anticiper et d’inclure dans notre quotidien et nos métiers une ambition sociale et environnementale, afin de changer de cap et ne pas finir dans l’impasse.
L’avantage de la première option est sa facilité, puisqu’il s’agit de ne rien changer, ou bien de continuer à opérer des changements superficiels. Il faudrait alors que les jeunes que nous sommes observent, tout au long de leur vie, la machine s’essouffler sans réagir ? Nous refusons qu’il en soit ainsi. Nous sommes de plus en plus nombreux à penser qu’un changement radical de trajectoire est aujourd'hui l’option qui nous offre les perspectives d’avenir les plus épanouissantes. Même si nous disposons peut-être d’un répit avant que nos pays riches et tempérés ne subissent de graves dommages dus aux problèmes environnementaux, nous refusons que ce délai soit un prétexte à l’inaction, en particulier quand d’autres souffrent déjà des conséquences de notre modèle de développement. Un Français moyen fait en effet partie des 3% les plus riches de la planète, et près de trois planètes seraient nécessaires à la généralisation de son mode de vie à l’échelle du globe[X]. Nous bénéficions actuellement de ces injustices, et en serons d’autant plus responsables si nous ne nous engageons pas dès maintenant à les combattre.
Face à l’ampleur du défi, nous avons conscience que les engagements individuels, bien que louables, ne suffiront pas. En effet, à quoi cela rime-t-il de se déplacer à vélo, quand on travaille par ailleurs pour une entreprise dont l’activité contribue à l’accélération du changement climatique ou de l’épuisement des ressources ? Au fur et à mesure que nous nous approchons de notre premier emploi, nous nous apercevons que le système dont nous faisons partie nous oriente vers des postes souvent incompatibles avec le fruit de nos réflexions et nous enferme dans des contradictions quotidiennes. Nous sommes déterminés, mais ne pouvons pas agir seuls : nous ne pourrons surmonter ces contradictions qu’avec l’implication active des décideurs économiques et politiques, dont le seul objectif doit être de servir durablement l’intérêt général.
Nous, futurs travailleurs, sommes prêts à questionner notre zone de confort pour que la société change profondément.
Nous souhaitons profiter de la marge d’action dont nous bénéficions en tant qu’étudiants en nous tournant vers les employeurs que nous estimerons en accord avec nos revendications exprimées dans ce manifeste. Nous affirmons qu’il est possible de bien vivre sans sombrer ni dans l'ultra-consommation ni dans le dénuement total ; que l’économie doit être consciente de sa dépendance à son environnement pour être pérenne ; et que la réponse aux problèmes environnementaux est cruciale pour la réduction des inégalités et des risques de conflits. La société que nous voulons n’est pas une société plus dure, plus triste, de privation subie ; c’est une société plus sereine, plus agréable, de ralentissement choisi. En effet, le ralentissement des destructions causées par notre modèle économique n’est pas incompatible avec le bien-être humain, au contraire. C’est pour toutes ces raisons que les entreprises doivent accepter de placer les logiques écologiques au cœur de leur organisation et de leurs activités.
En tant que citoyens, en tant que consommateurs, en tant que travailleurs, nous affirmons donc dans ce manifeste notre détermination à changer un système économique en lequel nous ne croyons plus. Nous sommes conscients que cela impliquera un changement de nos modes de vie, car cela est nécessaire : il est grand temps de prendre les mesures qui s’imposent et de cesser de vivre au-dessus de nos moyens, à crédit de la planète[XI], des autres peuples et des générations futures. Nous avons besoin d’un nouvel objectif que celui du maintien à tout prix de notre capacité à consommer des biens et des services dont nous pourrions nous passer. Nous devons placer la transition écologique au cœur de notre projet de société. Pour y parvenir, un élan collectif doit naître. Et puisque l’ampleur du chantier nécessite toutes les énergies, nous sommes prêts à mobiliser la nôtre, avec enthousiasme et détermination. Nous souhaitons, par notre mobilisation, inciter tous les acteurs de la société – les pouvoirs publics, les entreprises, les particuliers et les associations – à jouer leur rôle dans cette grande transformation et à mener les changements nécessaires vers une société enfin soutenable.
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Sources
ndlr :
- /croissance du PIB : on n'a pas su fonder une croissance économique décorrélée d'une croissance des émissions de gaz à effet de serre car proportionnelles aux énergies fossiles consommées. Pas dit, dommage :-(
- /événements climatiques extrêmes : nous sommes nombreux à confondre événement météorologique et climat ! => travailler la précision de notre langage ACT (me fait prendre conscience que le manifeste évoque très (trop ?) peu les sciences humaines comme ici la linguistique, la glossologie, etc. Et ne peut-on pas dire de même des sciences du vivant biologie, neurologie, etc ?)
- des paroles par moment bien naïves comme croire que les entreprises vont se tourner seules au service de l'intérêt général :-(
- mais bien qu'un peu édulcoré, texte utile et fondé merci et bravo pour l'initiative à valoriser ACT
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"Le dérèglement du climat. Nous pourrions le répéter 7 milliards de fois tant il concerne chacune et chacun d'entre nous." 🌍
Ce week-end, depuis Bayonne, a été lancé un vibrant appel à enclencher la *métamorphose écologique et sociale de nos territoires.
Pour rester sous la barre des 1,5 °C, la solution est claire : finis les petits pas, place à un changement immédiat et profond de système** 🖐 !
▶️ Le manifeste est à lire ici : https://alternatiba.eu/2018/10/manifeste-le-temps-de-lespoir-et-de-laction/
Un grand merci à Edouard pour la vidéo, et aux 1 150 bénévoles qui ont rendu cet événement possible !
Catégorie Organisations à but non lucratif 4 commentaires
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End:Civ est un film documentaire réalisé par Franklin Lopez, qui examine le caractère destructeur et autodestructeur de la civilisation industrielle, sur le plan écologique, ainsi que son caractère hautement coercitif, sur le plan social. Basé en partie sur Endgame, un best-seller écrit par Derrick Jensen, End:Civ demande : « Si ton pays se faisait envahir par des extraterrestres qui coupaient les forêts, qui empoisonnaient l’eau et l’air et contaminaient les réserves de nourriture, résisterais-tu ? »
Toutes les civilisations ont dévasté l’environnement dont elles dépendaient, et se sont ainsi autodétruites. Tandis que nous écrivons ces mots, la civilisation industrielle mondialisée reproduit ce même processus en détruisant de manière systématique le monde naturel. Cela devrait être une évidence. De la (mal nommée) sixième extinction de masse des espèces (nous devrions parler d’une première destruction de masse, parler d’extinction suggère une absence de responsabilité, une sorte de fatalité naturelle) au réchauffement climatique, en passant par les nombreuses pollutions de tous les milieux (par le plastique, des métaux lourds, et d’innombrables autres formes de contamination), le constat est flagrant.
Cependant, des actes de courage, de compassion et d’altruisme abondent, même dans les endroits les plus affectés. En documentant d’une part, la résistance de ceux et celles qui sont le plus touchés par la guerre et la répression, et d’autre part, l’héroïsme de ceux et celles qui vont de l’avant pour confronter la crise la tête haute, End:Civ présente une piste pour sortir de cette folie dévorante et aller vers un avenir plus sain.
End:Civ présente des entrevues avec Paul Watson, Waziyatawin, Gord Hill, Michael Becker, Peter Gelderloos, Lierre Keith, James Howard Kunstler, Stephanie McMillan, Qwatsinas, Rod Coronado, et John Zerzan, entre autres.
Il s'agit ici de la version originale sous-titrée en français.
Catégorie Éducation 4 commentaires
gullivert007 il y a 4 mois
Réchauffement climatique MDR !!!
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Guillaume Lauras il y a 3 mois
C'est la goutte d'eau qui a fait déborder mon vase. Merci.
MONIKA MARS il y a 4 mois
Excellent, merci ! Je partage ;-)
https://www.facebook.com/toutestpourlemieux/
Michael il y a 4 mois
Gracias!
Transcription :
faite ou à faire ? ACT
ndlr : questionner cette idée (dérangeante ?) que le ver était déjà dans toute idée de civilisation, pas seulement les civilisations industrielles ?... ACT
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Deep Green Resistance France - Le Partage
Une vidéo créée à partir d'un texte de Derrick Jensen, à lire ici en français:
http://partage-le.com/2015/03/oubliez-les-douches-courtes-derrick-jensen/
Catégorie People et blogs 59 commentaires
Extraits du texte :
"
Qui aurait été assez insensé pour croire que le recyclage aurait pu arrêter Hitler, que le compostage aurait pu mettre fin à l’esclavage ou nous faire passer aux journées de huit heures, que couper du bois et aller chercher de l’eau au puits aurait pu sortir le peuple russe des prisons du tsar, que danser nus autour d’un feu aurait pu nous aider à instaurer la loi sur le droit de vote de 1957 ou les lois des droits civiques de 1964 ? Alors pourquoi, maintenant que la planète entière est en jeu, tant de gens se retranchent-ils derrière ces « solutions » tout à fait personnelles ?
Une partie du problème vient de ce que nous avons été victimes d’une campagne de désorientation systématique. La culture de la consommation et la mentalité capitaliste nous ont appris à prendre nos actes de consommation personnelle (ou d’illumination) pour une résistance politique organisée. « Une vérité qui dérange » a participé à exposer le problème du réchauffement climatique. Mais avez-vous remarqué que toutes les solutions présentées ont à voir avec la consommation personnelle – changer nos ampoules, gonfler nos pneus, utiliser deux fois moins nos voitures – et n’ont rien à voir avec le rôle des entreprises, ou l’arrêt de la croissance économique qui détruit la planète ? Même si chaque individu aux États-Unis faisait tout ce que le film propose, les émissions de carbone ne baisseraient que de 22%. Le consensus scientifique stipule pourtant que ces émissions doivent être réduites d’au moins 75%.
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Le changement personnel n’est pas égal au changement social.
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Si nous choisissons la solution « alternative » qui consiste à vivre plus simplement et donc à causer moins de dommages, mais qui ne consiste pas à empêcher l’économie industrielle de tuer la planète, nous pouvons penser, à court terme, que nous gagnons, parce que nous nous sentons purs et que nous n’avons pas eu à abandonner notre empathie (juste assez pour justifier le fait de ne pas empêcher ces horreurs) mais, encore une fois, nous sommes perdants, puisque la civilisation industrielle détruit toujours la planète, ce qui signifie que tout le monde est perdant.
La troisième option, agir délibérément pour stopper l’économie industrielle, est très effrayante pour un certain nombre de raisons, notamment, mais pas seulement, parce que nous perdrions ces luxes (comme l’électricité) auxquels nous sommes habitués, ou parce que ceux qui sont au pouvoir pourraient essayer de nous tuer si nous entravions sérieusement leur capacité d’exploiter le monde — rien de tout ça ne change le fait que cela vaut toujours mieux qu’une planète morte.
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Le second problème – et il est important, lui aussi – c’est que cela incite à injustement blâmer l’individu (et particulièrement les individus les moins puissants) au lieu de ceux qui exercent effectivement le pouvoir dans ce système et pour ce système. Kirkpatrick Sale, encore : « Le sentiment de culpabilité individualiste du tout-ce-que-tu-pourrais-faire-pour-sauver-la-planète est un mythe. Nous, en tant qu’individus, ne créons pas les crises, et nous ne pouvons pas les résoudre. »
Le troisième problème c’est que cela implique une redéfinition capitaliste de ce que nous sommes, de citoyens à consommateurs. En acceptant cette redéfinition, nous restreignons nos possibilités de résistance à consommer ou ne pas consommer. Les citoyens ont un panel bien plus large de possibilités de résistance, comme voter ou ne pas voter, se présenter aux élections, distribuer des tracts d’information, boycotter, organiser, faire pression, protester et, quand un gouvernement en arrive à détruire la vie, la liberté, et la poursuite du bonheur, nous avons le droit de l’altérer ou de l’abolir.
Le quatrième problème, c’est que l’aboutissement de cette logique de vie simple en tant qu’acte politique est un suicide. Si chaque action interne à l’économie industrielle est destructrice, et si nous voulons mettre un terme à cette destruction, et si nous ne voulons (ou ne pouvons) pas remettre en question (plus ou moins détruire) toute l’infrastructure morale, économique et physique qui fait que chaque action interne à l’économie industrielle est destructrice, alors nous en viendrons aisément à croire que nous causerions beaucoup moins de dégâts si nous étions morts.
La bonne nouvelle, c’est qu’il y a d’autres options. Nous pouvons suivre l’exemple d’activistes courageux qui ont vécu aux époques difficiles que j’ai mentionnées — l’Allemagne nazie, la Russie tsariste, les États-Unis d’avant la Guerre de Sécession — qui ont fait bien plus qu’exhiber une certaine forme de pureté morale ; ils se sont activement opposés aux injustices qui les entouraient. Nous pouvons suivre l’exemple de ceux qui nous rappellent que le rôle d’un activiste n’est pas de naviguer dans les méandres des systèmes d’oppression avec autant d’intégrité que possible, mais bien d’affronter et de faire tomber ces systèmes.
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Derrick Jensen (né le 19 décembre 1960) est un écrivain et activiste écologique américain, partisan du sabotage environnemental, vivant en Californie.
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Il est un des membres fondateurs de Deep Green Resistance résistance verte profonde)
L’écosophie ou deep ecology (ndlr :écologie profonde) est, dans une large mesure, l’œuvre d’un seul homme : Arne Naess (1912-2009). Figure philosophique majeure en Norvège, Arne Naess est l’auteur d’une œuvre volumineuse qui lui aura valu une reconnaissance internationale et un certain nombre de distinctions honorifiques en tant qu’intellectuel, pacifiste, résistant de la Seconde Guerre mondiale et militant de la cause écologique. L’élaboration de la deep ecology constitue la dernière étape d’une longue vie de labeur, au cours de laquelle le philosophe se sera consacré successivement à l’empirisme sémantique, à la philosophie des sciences, à la logique et à la philosophie de la communication, à l’étude de la doctrine des sceptiques grecs, de la pensée de Baruch Spinoza, de Gandhi.