COMMENT L'EXTRÊME CENTRE A PORTÉ LES NAZIS AU POUVOIR | JOHANN CHAPOUTOT, JULIEN THÉRY
Publié Il y a 21 heures • 31 vues / Le Média
Le parallèle entre la situation politique actuelle et celle qui porta au pouvoir les régimes fascistes pendant l'Entre-deux-guerres est couramment fait dans l'opinion depuis de années et sa pertinence paraît se confirmer jour après jour, tout particulièrement depuis la dissolution de l'Assemblée législative, par laquelle Emmanuel Macron prévoyait manifestement, en 2022, de s'engager dans un partenariat de gouvernement avec le RN. Dans son nouveau livre, intitulé Les Irresponsables. Qui a porté Hitler au pouvoir ?, #JohannChapoutot développe cependant une démarche originale : c'est en faisant l'histoire des circonstances précises dans lesquelles Hitler et les nazis sont arrivés au pouvoir en Allemagne en 1933 qu'il éclaire indirectement, tacitement, mais de façon très crue, notre présent politique.
Dans cette discussion avec #JulienThéry, Johann Chapoutot revient sur la façon dont le patronat et la droite allemande ont fini par miser sur l'extrême-droite, c'est-à-dire le parti nazi, pour espérer perpétuer leur politique et même revenir sur les mesures sociales qu'ils avaient été contraints de concéder au mouvement ouvrier (de façon à éviter une révolution bolchévique) au lendemain de la défaite à l'issue de la Première Guerre Mondiale. Le processus fut celui de la constitution d'un extrême-centre supposé s'opposer fermement, au nom de la raison politique et économique, aux radicalités de gauche comme de droite, mais en réalité tout disposé à coopérer avec l'extrême-droite et farouchement hostile à la gauche. Cet extrême-centre, dont le credo est l'ordolibéralisme (version allemande du néolibéralisme), s'efforce de traiter la crise par des mesures d'austérité qui ne peuvent que l'aggraver mais favorisent les profits du capital. Il s'obstine à mener une politique de l'offre pour complaire aux grands intérêts privés, avec des effets désastreux pour les salariés et tout particulièrement pous les plus démunis. Il opte non seulement pour la répression des contestations, mais aussi pour le contournement de la démocratie en recourant à des procédures d'exception, en particulier l'article 48 de la Constitution de Weimar, non pour faire face à des situations d'urgence mais pour imposer des décrets budgétaires sans majorité parlementaire. Et il finit par faire entrer les nazis au gouvernement, en laissant à ces derniers le ministère de l'intérieur, c'est-à-dire la mainmise sur l'appareil répressif et sur l'éducation. Alors que von Papen, le policitien de la droite libérale artisan de l'arrivée d'Hitler à la chancellerie, pensait neutraliser ce dernier rapidement, toutes les institutions démocratiques s'écroulent dès lors en quelque mois pour laisser la place à la dictature d'extrême-droite.
Montage Bérénice Sevestre. Une émission de Julien Théry.
#Nazisme
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Publié originellement 20/02/2025
Catégorie Actualité & Politique
LicenceInconnu LangueFrançais Étiquettes Durée43min 2 Commentaires
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les nazis arrivés au pouvoir dans 3 landers dès 1930 ...
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Historien du nazisme et de sa vision du monde, Johann Chapoutot a récemment fait paraître un essai dont la réception n’a pas été unanime : Libre d’obéir : le management, du nazisme a aujourd’hui. Il revient avec Julien Théry sur la démarche du livre et profite de l'occasion pour répondre aux objections qui lui ont été opposées.
C’est la lecture de l’abondante littérature nazie sur la Menschenführung, la conduite des hommes, qui a attiré l’attention de Johann Chapoutot sur les similitudes frappantes entre les discours de l’époque sur la nécessité de « faire mieux avec moins » et ceux qui prolifèrent aujourd’hui aussi bien dans la sphère entrepreneuriale que dans celle du gouvernement néolibéral.
Avec l’expansion du Reich au fil des conquêtes hitlériennes et le développement de l’effort de guerre, la nécessité d’administrer le plus efficacement possible avec des moyens réduits devint une obsession pour les cadres nazis. Et si le nazisme fut tout entier « un grand moment managérial », c’est parce que son idéologie poussa à l’extrême l’utilitarisme qui dominait en Occident depuis les débuts de la Révolution industrielle. Le darwinisme social cultivé en Europe depuis le XIXe siècle, tout particulièrement en Angleterre et en France, fut porté à son paroxysme par l’anthropologie nazie. Pour cette dernière, seule l’utilité d’une vie humaine pouvait justifier son existence – son utilité pour la prospérité et la promotion de la race germanique, appelée à dominer les autres sur tous les plans.
Dans son livre, Johann Chapoutot examine en particulier le cas emblématique de Reinhard Höhn (1904-2000). Jeune et brillant juriste engagé très tôt dans le militantisme nationaliste et antisémite, Höhn intègre le SD, c’est-à-dire l’élite de la SS, au début des années 30. Adjoint de Reinhard Heydrich, il devient, tout en montant les échelons de la hiérarchie dans la SS jusqu’au grade de général, professeur de droit à l’Université Humbold de Berlin et directeur de l’Institut d’études sur l’État, voué à des recherches en matière d’organisation institutionnelle adaptée au gouvernement du Reich par la race supérieure. Après la défaite de 1945, Höhn se fait discret pendant quelques années, avant d’être embauché par un think-tank patronal qui lui confie la fondation d’une école de management à Bad Harzburg en 1956. Ses techniques de « management par délégation de responsabilité », dont l’élaboration a commencé dès le temps du Reich, connaissent un immense succès et son Akademie für Führungskräfte der Wirtschaft forme plus de 600 000 cadres allemands jusque dans les années 80 : autant dire que son influence est dominante dans le « Miracle économique allemand »… Höhn publie, dans le même temps, une série de manuels qui se vendent abondamment.
Non seulement un penseur nazi du management, ancien dignitaire du Reich qui ne s’est jamais repenti en aucune manière de son engagement, a joué un rôle de premier plan dans l’essor économique de la République Fédérale d’Allemagne, mais ses idées sur l’organisation des hommes et de la production ont été pleinement en phase, et même pionnières à certains égards, dans le développement du management lui-même. Non seulement la « délégation de responsabilité » renvoie à l’engagement personnel, à l’esprit d’initiative et à la culture d’entreprise prisés aujourd’hui par la science managériale, mais la substitution d’agences autonomes, flexibles et temporaires à l’administration d’État, théorisée par Höhn au cours de sa seconde carrière, correspond pleinement à l’esprit du « New public management » devenu dominant depuis les années 1980 (et inculqué par exemple aux élites françaises à l'ENA). Paradoxalement, souligne Johann Chapoutot, l’ordo-libéralisme, version allemande du néolibéralisme, a été promu par d'anciens opposants au nazisme, autour du chancelier Adenauer, mais la vision purement utilitariste, productiviste de l’humanité qui le caractérise a pour résultat une réification des « ressources humaines » qui n'est pas sans similitude avec celle opérée par l’idéologie nazie.
Motion design Kilian Le Dantec. Montage Alexis Debaye.
Une émission de Julien Théry #Nazisme #Management #Chapoutot
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