3 minutes
Comment, en quelques semaines, le coronavirus a "dénunuchisé" une théorie économique mise à mal depuis plusieurs années : la théorie du "care".
C’est Martine Aubry, en 2010, qui avait popularisé cette notion, "le care". Le concept datait déjà d’une vingtaine d’année et avait été développé par des universitaires (principalement féministes) américains. La philosophe Joan Tronto proposait alors de tendre vers une société du soin, de l’attention porté aux autres… En anglais, le "care"… Il s’agit d’aller plus loin que la recherche d’égalité ou de justice.
Ça partait d’un constat : tout un pan grandissant de l’activité humaine (économique ou associative) est désormais tournée vers la société du bien-être. Pourquoi ne pas le développer et le valoriser ?
L’économie de la santé, l’éducation, toutes sortes d’aide à la personne, la garde d’enfants, d’une certaine façon la culture, mais aussi ce que l’on appelle la silver economy, dans une société vieillissante qui demande une attention particulière à la fin de vie… toutes ces activités devraient être le cœur de nos préoccupations pour organiser le monde moderne vivable.
Dans l’idée de ses concepteurs, la théorie du "care" est une remise en cause sévère du capitalisme.
Martine Aubry tentait d’en faire, plus modestement, un ingrédient conceptuel pour rénover la social-démocratie fatiguée.
Mais cette notion, le "care", qui a alimenté en 2010 les colloques et les pages "idées" et "débats" des journaux, a rapidement était tournée en dérision par une partie de la gauche et toute la droite : nunucherie, bien-pensance rêveuse, naïveté… On n’en a plus entendu parler dans le débat national.
Et puis… le coronavirus. Ce fléau qui met à genoux les économies les plus puissantes souligne le caractère essentiel de l’activité du soin. Les infirmières, les aides-soignantes, les acteurs de la santé en général, les artisans des métiers de bouche, les services sociaux en tous genres, le corps enseignant, les postiers, les éboueurs… tous ceux qui sont, en temps habituel, les petites mains de l’intendance sociale, de la maintenance des espaces communs, loin de la lumière valorisante du monde de la performance, dans les coulisses de la compétition, dans l’ombre des champions nationaux de l’industrie ou des aventuriers start-upeurs…
Tous ceux-là, qui ne font pas rêver, se retrouvent, à la faveur d’un virus dévastateur, les héros de l’essentiel, les piliers qui nous assurent ce dont nous avons vraiment besoin.
Des évidences nous apparaissent : on peut vivre sans traders, sans publicitaires, pas sans aide-soignantes ni éboueurs.
Ce constat, c’est vrai, peut vite virer à une nouvelle forme de populisme bisounours… Mais quand même, le coronavirus nous rappelle que la corde qui nous relie est plus importante que le premier de cordée, que ceux qui s’assurent que tout le monde est bien accroché à la corde, sont au moins aussi dignes de reconnaissance que ceux qui la tirent.
La crise que nous traversons servira-t-elle à remettre (un peu) à l’endroit la hiérarchie des métiers et fonctions à valoriser ? D’ailleurs nos sociétés, finalement, n’ont-elles pas choisi de sauver des vies plutôt que l’économie en décrétant le confinement ?
Le Coronavirus aura, en quelques semaines, dénunuchisé la théorie du "care".