Mis à jour le 1er avril 2023 à 09h00 - Durée de lecture : 6 minutes
Clés : Luttes Mégabassines
Depuis des mois, le service central du renseignement territorial enquête sur Les Soulèvements de la Terre. Dans une note lue par Reporterre, les policiers décrivent un groupe d’activistes « ingénieux », ayant réussi à fédérer et radicaliser le mouvement climat.
...
« Un basculement vers la résistance civile »
... adeptes d’actions de désobéissance civile à basculer vers la résistance civile ... une vingtaine de noms ressortent du document, qui mentionne aussi des personnalités publiques comme l’anthropologue Philippe Descola, les écrivains Alain Damasio et Corinne Morel Darleux, le dessinateur Alessandro Pignocchi ou l’historien Christophe Bonneuil, qui participeraient, selon eux, à la diffusion publique du message des Soulèvements de la Terre. Il cible également « des médias alternatifs », « proches de la sphère environnementaliste », comme notre journal Reporterre.
...
c’est le concept de désarmement qui a finalement permis de propager le sabotage dans le milieu écologique et de le normaliser. Loin d’une simple trouvaille sémantique, le mot aurait réussi à rendre plus légitime la pratique, estiment-ils. Avec le désarmement, il s’agit de « rendre inopérantes des armes » et de « détruire les armes qui détruisent la planète ». Un discours bien plus porteur que la simple notion de sabotage, jugent les auteurs de la note.
...
Selon les activistes, les policiers du service central du renseignement territorial peinent « à comprendre l’effervescence du mouvement et ses raisons d’être » ... au profit d’un gouvernement qui s’obstine à détruire terres arables, forêts, fermes, cours d’eau, etc., jouissent d’une incapacité à comprendre ce que nous cherchons fondamentalement à défendre et à construire, les liens, solidarités et joies qui nous animent » ...
Connu / TG le 31/03/23 à 14:11
Pour ce premier épisode de d'Un monde nouveau spécial "2022, l'année de la bascule", l'anthropologue Philippe Descola nous explique comment notre perception de la crise écologique s'est radicalisée, quand Redcar fait peau neuve avec son nouvel album "Les Adorables étoiles".
...
2022 : année de la bascule environnementale : analyse de Philippe Descola
2022 année de la bascule « environnementale », « écologique », « climatique » https://reporterre.net/Climat-Nous-sommes-proches-de-plusieurs-points-de-bascule ... Hausses des températures, canicules à répétition, sécheresse… 2022, c'est l'année la plus chaude jamais enregistrée en France ? Comment pourrait-on la nommer ? Après 6 rapports du GIEC et 27 COP depuis le premier Sommet de la Terre à Rio en 1992, une chose est sûre : cette année notre perception a (enfin) changé. Et si ce monde devenait inhabitable ? La question s’impose désormais au plus grand nombre. Pour analyser ce point de bascule, qui mieux que vous Philippe Descola à qui l’on doit tout simplement l’une des dernières révolutions de la pensée moderne : la fin de l’opposition entre nature et culture. Début décembre, il était présent au forum organisé par l'Ademe, l'Agence nationale pour la transition écologique et le Centre Pompidou à Paris autour de la nécessité de s'engager dans la transition écologique comme une transition culturelle est nécessaire.
Une conscience écologique à la peine
L'anthropologue est quelque eu perplexe quant à cette nouvelle conscience écologique de notre monde occidental qui peine à s'imposer selon lui puisqu'il considère que le bouleversement d'affect nécessaire à un tel changement n'est pas encore là, et correspond encore à une fraction de la population : "Cette transition écologique qualifie le passage d'un État à un autre que je ne vois pas encore, puisqu'on assiste encore à une perpétuation d'un État qui n'a pas beaucoup changé depuis la COP 21. Les résultats de la COP 27 n'ont pas apporté grand chose. Je suis plutôt inquiet, même si les chaleurs exceptionnelles de l'été de l'automne font prendre conscience qu'il y a quelque chose qui se passe, il demeure un fossé entre cette prise de conscience et les réactions véritables. Tant que les Etats auront des intérêts à défendre, notamment en termes de maintien de l'exploitation des énergies fossiles, je ne pense pas qu'on fasse des progrès considérables".
Pas de transition climatique sans transition culturelle
Selon l'anthropologue, il est plus que nécessaire de repenser notre rapport au vivant pour engager cette transition de nos rapports culturels. Alors nous pourrons enfin révolutionner notre rapport à la nature qui ne repose que sur un dogme de domination, de hiérarchisation, d'exploitation dont il nous faut nous affranchir : "Cette transition culturelle suppose que nous ayons conscience de pouvoir renouer des liens avec tout ce qui nous environne, et en particulier les humains et les non-humains de notre entourage immédiat, de façon à ne pas se situer dans une position de domination de surplomb vis-à-vis de la nature. Ne pas continuer à maintenir cette situation dans laquelle nous nous sommes engagés en Europe il y a quelques siècles, qui a été le moteur de la modernité, de se considérer comme maître et possesseur de la nature et de considérer que le vivant est une ressource pour notre satisfaction". Il faut refonder notre naturalisme, repenser notre conception de la nature, non comme une chose extérieure à nous ni domesticable tel que le monde moderne nous l'enseigne depuis les grandes explorations de la Renaissance.
Renouer avec le naturalisme et l'animisme et ne faire qu'un avec le vivant
Il est particulièrement attentif aux multiples expériences sociales et culturelles menées par de nombreux peuples autochtones qui ont évolué sans techniques, sans modèle de pensées tels que le nôtre, mais qui sont autant d'inventions originales de se lier entre humains et de se lier avec des non-humains. Il s'agit de rompre avec cette pensée linéaire qui repose depuis des siècles et des générations sur le progrès absolu et qui résonne depuis comme une sorte de résolution absolue de notre société bourgeoise s'accomplissant dans le capitalisme : "En réalité, les transformations historiques qu'a connues l'humanité ne suivent pas une ligne droite, car il y a de très nombreuses expériences, des alternatives, dont certaines se sont fermées, quand d'autres se sont ouvertes et celles-ci peuvent nous permettre de penser le futur avec plus d'optimisme. Les options qui sont devant nous sont beaucoup plus vastes que celles qu'on pourrait imaginer. Ces expériences d'autres peuples plus en symbiose avec le vivant, le milieu naturel sont autant de stimulations pour penser que notre futur n'est pas condamné à être la perpétuation du présent. On peut imaginer d'autres formules puisque l'humanité n'a cessé de faire preuve d'une capacité d'imagination considérable au fil des millénaires.
C'est ce regard neuf qu'il ramène justement d'Amazonie qui lui permet d'imaginer un autrement dès lors qu'on considère que ce n'est pas le passé de l'humanité mais son contemporain tel que le rapport qu'ont les Indiens d'Amazonie aux non-humains. C'est ce qui a inspiré sa pensée du monde à venir. Ce qu'on appelle l'animisme, le fait de prêter à des non-humains, des plantes, à des animaux, à des esprits, une intériorité, une subjectivité, une âme, de façon à pouvoir échanger avec eux, sans non plus empêcher les rapports de prédation : "Cette attitude, on peut essayer de la transposer au présent. À l'intérieur du cadre naturaliste, on peut essayer d'établir par la connaissance et l'observation et l'intimité avec d'autres espèces que la nôtre, des rapports qui ne soient plus des rapports d'exploitation, de domination. Les peuples autochtones, nous offrent la polyvalence là où nous, nous sommes entrés avec la division technique du travail dans un système où chacun accomplit une tâche à l'intérieur d'un ensemble, où les responsabilités sont partagées et définies par des maîtres-d 'œuvre. Là où dans des sociétés Amazoniennes, chacun est capable de faire la totalité des opérations nécessaires à la vie quotidienne. Lorsque des opérations complexes sont menées, chacun le fait en observant ce que font les voisins. Globalement, chacun met la main à la pâte. Il y a une circulation des savoirs et des savoirs-faire".
► Ethnographies des mondes à venir, le dernier ouvrage de Philippe Descola co-écrit avec Alessandro Pignocchi, est disponible aux éditions du Seuil.