Durée de lecture : 10 minutes - Clés : Énergie Ukraine
L’Allemagne est contrainte, en urgence, de miser sur des énergies fossiles dont elle veut pourtant se débarrasser. Quitte à mettre en danger ses objectifs climatiques. [2/4]
David Dresen a des raisons de se réjouir. Sa coquette maison de briques rouges, typique de la campagne rhénane, ne sera pas détruite. Par un accord passé au mois d’octobre avec les autorités, le géant allemand de l’énergie RWE a renoncé à exploiter le sous-sol riche en charbon de Kuckum, son village natal, ainsi que celui de quatre autres communes avoisinantes. L’aboutissement d’un long combat pour la famille Dresen.
Pourtant, David est « en colère », « extrêmement déçu ». À quelques kilomètres de chez lui, son compagnon de lutte, l’agriculteur Eckardt Heukamp, n’a pas eu sa chance. Le dernier habitant du hameau de Lützerath a bel et bien été exproprié. La localité doit être rasée cet hiver pour agrandir la mine à ciel ouvert de Garzweiler II. « Avec cet accord, le gouvernement autorise RWE à extraire 280 millions de tonnes de charbon supplémentaires d’ici 2030, déplore David Dresen, devenu le porte-parole de l’association Alle Dörfer bleiben (Tous les villages restent). Cela revient à dire adieu à l’engagement de l’Allemagne de contenir le réchauffement planétaire à 1,5 °C. » Garzweiler II est l’une des 425 « bombes climatiques » mondiales, selon les scientifiques.
...
Pour tenir ses objectifs climatiques, Berlin s’est engagée à fermer Neurath ; sur ses sept unités de production, deux ont cessé de produire. Trois autres étaient censées les rejoindre cette année. Mais il n’en sera rien. L’accord du mois d’octobre permet à RWE d’exploiter les unités C, D et E de Neurath jusqu’en mars 2024.
...
décision ... prise par le parti ... les Verts, membres de la coalition tripartite qui dirige l’Allemagne depuis un an, aux côtés des sociaux-démocrates du SPD et du parti de droite libérale FDP. Du côté du gouvernement, on assume. « C’est une décision amère, mais indispensable », selon l’écologiste Robert Habeck, ministre fédéral de l’Économie et du Climat. Hors micro, des interlocuteurs nous glissent que les autorités ne veulent pas prendre le risque de se fâcher avec un acteur aussi puissant que RWE, appelé à jouer un rôle majeur dans l’éolien marin et l’hydrogène vert.
L’Allemagne « appuie sur tous les boutons »
...
Claudia Kemfert de l’Institut pour la recherche économique (DIW). Freinées sous les gouvernements Merkel, les renouvelables représentent aujourd’hui moins de la moitié du mix électrique allemand — encore trop peu pour répondre à une augmentation massive et soudaine de la demande. En outre, aucun parc photovoltaïque ou éolien ne fait partie de la « réserve de sécurité » dont l’Allemagne dispose en cas de coup dur.
...
« À court terme, garantir l’approvisionnement en énergie est la mission prioritaire de l’Allemagne », a expliqué le 22 novembre Robert Habeck
...
En cause, notamment : les défaillances du parc nucléaire français, qui enregistre une production au plus bas depuis trente ans. Pour compenser, l’Allemagne doit produire plus. Depuis le début de l’année, elle a exporté massivement vers la France (15 térawattheures, TWh)
...
« Au troisième trimestre, il a manqué plus de 30 TWh français sur le marché européen », observe Bruno Burger, chercheur à l’institut Fraunhofer et créateur du site Energy Charts. À Berlin, on s’inquiète de voir EDF repousser la réouverture de ses centrales et on redoute de devoir compenser d’autant plus longtemps le déficit français.
...
En complément du charbon, les écologistes ont aussi, après des débats houleux, accepté de jouer les prolongations avec le nucléaire. Le parlement a donné son feu vert à une exploitation des trois dernières centrales nucléaires du pays au-delà du 31 décembre 2022, date fixée initialement pour la fin définitive de l’atome. Représentant moins de 5 % du mix électrique actuel, les trois sites fonctionneront jusqu’au 15 avril 2023, le temps d’épuiser les barres de combustibles entamées.
« On saute sur n’importe quelle source d’énergie »
...
talon d’Achille de l’Allemagne : son addiction au gaz naturel russe, bon marché et acheminé directement par gazoduc. Dépendante de cette énergie fossile pour son industrie et le chauffage, la première économie d’Europe se voit aujourd’hui contrainte non seulement de faire tourner davantage de centrales à charbon pour économiser la ressource, mais aussi de courir après une alternative encore plus polluante : le gaz naturel liquéfié, issu notamment de la fracturation hydraulique aux États-Unis.
...
« J’ai le sentiment que le gouvernement cède à la panique, déplore Constantin Zerger, expert en énergie de l’association environnementale Deutsche Umwelthilfe
...
Le déploiement des renouvelables doit aller trois fois plus vite qu’auparavant, pour viser un mix électrique renouvelable à 80 % d’ici huit ans. Les infrastructures liées aux renouvelables sont désormais classées d’« intérêt public majeur »
...
plan de sobriété énergétique : corrigée des variations saisonnières, la consommation d’électricité a baissé de 7,5 % en octobre par rapport à l’an passé
...
Dans le bassin minier rhénan, les autorités ont avancé la fin de l’exploitation du charbon à 2030, contre 2038 auparavant.
...
pour remplacer à terme le gaz naturel, le gouvernement assure que les futurs terminaux méthaniers pourront être utilisés pour approvisionner l’Allemagne en hydrogène vert. « La coalition au pouvoir a fait plus en un an pour la transition énergétique que les gouvernements précédents en dix ans », juge le climatologue Manfred Fischedick. La stratégie emporte l’adhésion : 86 % des Allemands sondés sont favorables à davantage de renouvelables.
...
« Les premiers effets ne seront vraiment visibles qu’à partir de 2024-2025 », souligne toutefois Muriel Gagnebin, experte en énergie du groupe de réflexion Agora Energiewende
...
Pas de quoi rassurer les défenseurs du climat. La Deutsche Umwelthilfe de Constantin Zerger a déposé un recours contre le gazoduc en construction pour connecter le terminal GNL de Wilhelmshaven au réseau national. Quant à David Dresen, il espère encore faire plier les autorités pour éviter la destruction du hameau de Lützerath. Dans une pétition, 10 000 personnes se sont déclarées prêtes à lui prêter main forte. Au rythme actuel, l’Allemagne manquerait « largement » ses objectifs climatiques en 2030, alerte le comité d’experts pour le climat mandaté par le gouvernement.
Ndlr : que représente 15TWh de conso élec en Fr. ? ACT
Le comité La Bouscule répond aux écolo-macronistes
L’An Zéro, saison 1, épisode 4. Après l’annonce de la tenue fin août d’un festival écolo macron-compatible sur la commune de Gentioux-Pigerolles, sur le plateau de Millevaches, diverses oppositions s’étant manifestées, dont celle du Comité La Bouscule, des bénévoles de la Bascule, le ’lobby citoyen’ porteur du projet, ont appelé en catastrophe à une rencontre avec les habitants du plateau sur la commune de Faux-la-Montagne (Creuse). Après cette rencontre, la Bascule a annoncé annuler la tenue du festival sur le lieu prévu, et son leader (absent ce jour-là comme toujours) s’est plaint que ses bénévoles se soient fait « insulter, menacer et violenter ». M. de Rostolan ayant eu tout loisir de faire avaliser son récit par la presse locale et nationale (La Montagne, Le Populaire, France Bleu, France 3, l’Opinion, "quotidien pro-business", etc.), lundimatin, fidèle à son souci d’impartialité, donne la parole ci-dessous au Comité La Bouscule qui, contrairement à M. de Rostolan, se trouvait sur place. D’ores et déjà, une question nous intrigue, à laquelle nous aimerions que les bénévoles répondent eux-mêmes : s’ils ont été brutalisés comme le raconte leur leader, comment se fait-il qu’ils soient après la réunion allés boire des bières avec leurs contradicteurs ? Ont-ils été pris du syndrome de Stockholm ?
Mais quand cesserez-vous de prendre les gens pour des cons ? Le grand ennemi d’un langage clair est l’insincérité… Notre temps est tel qu’il n’y a plus nulle part où l’on puisse se prétendre « hors politique ». Toutes les questions sont devenues politiques. Quand le climat général est mauvais, le langage aussi doit souffrir. George Orwell, Politique et langue anglaise, 1946
Nous nous sommes ainsi trouvés une soixantaine face à huit jeunes bénévoles de La Bascule plus ou moins perchés et à la chargée de com’, Lena Abbou, qui l’était beaucoup moins. Cette professionnelle des relations publiques a beau avoir exercé ses talents pour le compte du ministère israélien des Affaires étrangères autant qu’au Conseil régional Jeunes d’Ile-de-France, ... Avant de sortir de leur « écosystème », les basculeurs croyaient que leur invraisemblable sabir managérial à peine digéré de l’école constituait une façon de parler comme une autre, et non une insulte à l’intelligence. Que tous ces gens qui tentent de construire et d’expérimenter des sorties de la catastrophe qu’est cette civilisation, font cela bêtement dans leur coin en attendant que des basculeurs qui ne savent rien faire viennent les « relier entre eux » et « médiatiser leur expérience ». Que le « combat idéologique » à mener pour en finir avec le désastre pourrait se faire dans le langage de l’innovation, du management et des entrepreneurs, bref : de l’économie. Que déclarer « l’idée de gouvernance partagée, ça a changé ma vie », ou « les gilets jaunes, c’est la co-définition » va vous attirer autre chose que des sarcasmes bien mérités. Ou que concéder au final « c’est vrai qu’on a des points communs avec Macron » n’équivaut pas à clore la discussion en concédant la victoire à ses contradicteurs. ... Pour tout observateur sincère, ce qui s’est passé lundi 1er juillet autour du lavoir municipal de Faux la Montagne, au terme de deux heures d’argumentation vivace et serrée entre deux positions opposées - l’une qui soutient que c’est avec les catégories, les moyens et le personnel du capitalisme que l’on échappera au désastre où il nous a mené, et l’autre que ce n’est pas avec ceux qui ont détruit le monde qu’on va le réparer – c’est une victoire à plate couture de la seconde. ... le combat a été mené à la loyale, sans quoi les basculeurs ne nous auraient pas suivis au bar du village pour continuer le débat, ni ne se seraient réunis presque joyeux devant l’église, une fois le bar fermé, pour se dire « on annule ! ». C’est peut-être inadmissible pour Maxime de Rostolan, le député LREM, la préfète et les plumitifs aux ordres, mais le fait est que nos arguments ont porté. Ils ont touché juste parce qu’ils sont logiques, évidents, indéniables, bref : vrais. Au fur et à mesure de la discussion de Faux-la-Montagne, les basculeurs ont compris qu’il n’était tout simplement pas malin pour une entreprise qui doit cacher sa visée macroniste derrière un écran de bonne volonté et de confusion de faire sa mégateuf chez l’agriculteur le plus furieusement macroniste du coin. Et quand, en conclusion de la réunion, le propre frère de l’agriculteur, habitant du même hameau que lui, fait état de ce que personne n’a pris la peine de lui annoncer ce qui se profilait à deux pas de chez lui, ils ont soudain compris ce que veut dire le mot « hors-sol ». ... de Rostolan lui-même plutôt qu’avec ses seconds couteaux. Malheureusement, il ne pouvait pas : il devait préparer sa conférence du lendemain dans le VIIIe arrondissement de Paris, au siège de Arp-Astrance, une société de « conseil en immobilier, management de projet et programmation, aménagement d’espace, ingénierie environnementale et biodiversité ». Comme nous l’apprend le magazine Up, « le magazine d’actualité de l’innovation et des temps qui changent », il devait présenter la Bascule et l’An zéro à ses amis d’Ekodev, « le développement durable en action » et We4SDG, qui travaille tout de même à « helping the multitude to put in action the Sustainable Development Goals ». En même temps, pour une fois qu’il ne conseillait pas le groupe Carrefour…
Nous ne nous faisons aucune illusion : même si les défections ne font que commencer avec celle d’Extinction Rébellion, les intérêts tant politiques qu’économiques et idéologiques qui se cachent derrière Maxime de Rostolan sont si massifs que le festival doit avoir lieu, quitte à ce que ce soit ailleurs. Macron et LREM ne chantent pas par hasard sur tous les toits qu’ils sont en voie de verdissement accéléré. Le chaos climatique, le désastre écologique et l’irresponsabilité des responsables deviennent si patents que les gouvernants doivent absolument feindre de pouvoir et de vouloir y faire quelque chose. Les mises en scène grotesques de l’État-qui-nous-protège-de-la-canicule, de la police-qui-nous-prévient-contre-la-noyade (et bientôt contre les puces de lit), des multinationales-en-lutte-contre-le-réchauffement-climatique, du Président-au-côté-des-femmes-battues, etc., ... Le verdissement opportun des macronistes répond à l’aide effective que les « gilets citoyens » de Dion, Cotillard, Tubiana, Imer, etc. ont apporté à Macron pour « sortir de la crise des gilets jaunes ». Dion & Co. ont passé leur temps, ces derniers mois, à l’Élysée et dans les ministères, et ils s’en cachent à peine. Que Dion ait réagi de manière purement symbolique, en un pur geste de com’, au gazage des activistes d’Extinction Rébellion, souligne surtout son silence, des mois durant alors que partout, chaque semaine, des manifestants se faisaient mutiler par le pouvoir dont il fréquentait les salons. Cette écologie-là, celle des gouvernements, des partis, des indices statistiques et des grandes conférences, est le fourrier, sinon la cause, de la catastrophe en cours. Tout ce qui nous tombe dessus à présent était déjà prévisible, et prévu, dans les années 1970 – lisez Le jugement dernier de Taylor ou Apocalypse et révolution de Cesarano. C’est parce que cette écologie de malheur l’a emporté sur les tendances plus lucides, plus courageuses et plus révolutionnaires, que nous en sommes arrivés là – à redouter l’arrivée de l’été plutôt qu’à nous en réjouir.
L’arnaque de la Bascule et de l’An zéro est vraiment l’arnaque de trop.
...
Il n’y a jamais eu, il n’y aura jamais de transition. Il n’y a que des ruptures historiques. Élaborons ensemble le programme de démantèlement technique, existentiel et politique de toute cette société. Tout va devoir être bouleversé. Soyons impitoyables avec une civilisation qui entend nous emporter dans son naufrage. Abattons le système en place avant qu’il ne s’effondre sur nous. Hâtons le départ des maîtres pour leurs gated communities en Nouvelle-Zélande ou ailleurs.
Comité « La Bouscule », le 8 juillet 2019 (pour nous écrire : labouscule at riseup.net)