15 commentaires 39 recommandés
mots-clés Anthropocène Classe politique Ecologie Politique Michel Magny
«L’Anthropocène», publié par Michel Magny dans la collection «Que sais-je ?», éclaire le chaos climatique en cours, et pointe l’ordre social et productif qui en est la cause. Ce qui est accablant, plus que le constat, est l’illusion propagée par l’écrasante majorité de la classe politique, selon laquelle un simple aménagement de cet ordre suffira.
...
livre publié au mois de janvier par le paléo-climatologue Michel Magny : L’Anthropocène. Elle résonne aussi tristement avec le contexte de cet été, éclairé par ce nouveau titre de la collection « Que sais-je ? », à savoir un enchaînement d’événements météorologiques extrêmes, d’alertes scientifiques anxieuses quant à la déstabilisation des courants océaniques de l’Atlantique, et pour finir la publication du premier volet du rapport du Giec (lire l’analyse de Mickaël Correia dans Mediapart https://www.mediapart.fr/journal/international/090821/rapport-du-giec-le-changement-climatique-s-aggrave, ou d’Audrey Garric dans Le Monde https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/08/09/la-crise-climatique-s-aggrave-partout-a-des-niveaux-sans-precedent-alerte-le-giec_6090961_3244.html ).
...
réussit le tour de force pédagogique d’exposer, en 120 petites pages, les enjeux et les controverses de cette notion, laquelle désigne une époque où l’humanité a acquis le statut de force géologique, au point de bouleverser l’écosystème terrestre dans sa globalité. Surtout, l’auteur insiste sur le fait que l’Anthropocène invite à articuler ensemble les résultats des sciences naturalistes et sciences sociales. Ce faisant, il en explore la dimension intrinsèquement politique : « derrière l’universel indifférencié que mettent en avant les termes d’humanité, d’homme(s) ou d’anthropique, se dissimulent des conflits et des dominations qui non seulement affectent la nature, mais travaillent également les sociétés, aujourd’hui comme dans la longue durée ».
...
S’agissant des gaz à effet de serre, Michel Magny remarque que « la géographie des émissions se calque largement sur les structures de l’économie-monde héritée du capitalisme colonial ; de ce point de vue, l’Anthropocène est bien un Occidentalocène, ou encore un Capitalocène ». Quant à l’érosion de la biodiversité, son taux « se révèle davantage corrélé avec le PIB par habitant et l’indice d’inégalité sociale qu’avec la densité démographique ». Le rôle des multinationales, et les asymétries de puissance dont elles jouissent dans leur production de substances chimiques, sont également pointées au titre des atteintes à notre environnement et à nos organismes eux-mêmes. Enfin, dans un passage sur les conséquences de l’appropriation des écosystèmes terrestres par l’homme, l’auteur note que « l’essor du capitalisme, qui s’engage à partir des XIVe-XVe siècles hors des frontières européennes et des antiques espaces méditerranéens, conduit, à l’échelle globale, à une forte homogénéisation biologique que les continents de la planète n’avaient plus connue depuis la dislocation de la Pangée il y a près de 200 millions d’années ».
...
« Ce qui est à l’œuvre sous l’influence de l’homme dès la fin du Pléistocène [c’est-à-dire l’époque géologique entre 2,58 millions d'années et 11 700 ans avant aujourd’hui] c’est une véritable homogénisation [et réduction de la masse moyenne] des faunes continentales qui n’a pas de précédent en 65 millions d’années », note l’auteur. Le passage à l’agriculture et à l’élevage a ensuite perturbé nombre d’écosystèmes, et « bouscul[é] la distribution des espèces végétales et animales »
...
Si les concentrations industrielles ont favorisé sa constitution, le mouvement ouvrier n’en a pas moins émergé grâce à un travail de dépassement des multiples divisions entre travailleurs subordonnés.
Or, c’est à quelque chose de cet ordre que les militants de la question écologique doivent œuvrer : forger une « communauté de destin », dans l’adversité et dans un temps très court pour éviter des dépassements de seuils fatidiques pour l’habitabilité de notre niche écologique. En se répartissant les terrains et les axes de luttes, comme y appelait Erik Olin Wright https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/161220/eroder-le-capitalisme-la-strategie-posthume-d-erik-olin-wright?onglet=full dans une stratégie d’érosion du capitalisme, mais en ayant conscience des moments de rupture et de violence que des victoires significatives entraîneront. Il n’y aura pas d’épiphanie collective de l’humanité, telle que dessinée par le mièvre et inoffensif appel lancé par Nicolas Hulot en mai 2020. Mais des conflits âpres, nécessitant stratégie et organisation.
Ce billet est le premier d’une série de cinq ou six que je publierai au rythme d’un par semaine au cours de ce mois de janvier. Le texte complet formera un essai à propos des relations entre les Communs et les Non-Humains, un sujet à mon sens absolument essentiel à prendre en compte pour la théorie des Communs.
Que serait un homme sans éléphant, sans plante, sans lion, sans céréale, sans océan, sans ozone et sans plancton, un homme seul, beaucoup plus seul encore que Robinson sur son île ? Moins qu’un homme. Certainement pas un homme.
Bruno Latour
La rivière Whanganui en Nouvelle Zélande, reconnue en 2017 légalement comme une entité vivante et un sujet de droit (Image par James Shook. CC-BY. Source : Wikimedia Commons)
Les Communs questionnés par l’émergence des « droits de la nature »
...
plusieurs villes aux Etats-Unis ont d’ores et déjà adopté des régulations basées sur la reconnaissance des droits de la nature[7], en écho à des revendications formulées dès les années 70[8].
...
à première vue, les finalités poursuivies semblent proches de celles qui se trouvent au fondement des Communs et des luttes séculaires menées aux quatre coins du Globe contre les phénomènes « d’enclosure »[9]. La notion de Communs (ou de biens communs) a fait ces dernières années un retour remarqué, depuis l’attribution en 2009 du prix de la Banque de Suède – dit « prix Nobel d’économie » – à la chercheuse américaine Elinor Ostrom pour ses travaux sur la gouvernance des « Commons Pool Resources » (CPR)[10]. Initialement appliquée à la gestion durable des ressources naturelles mises en partage, la notion de Communs s’est déployée depuis dans de nombreux autres champs (Communs de la Connaissance, Communs numériques, Communs sociaux, Communs urbains, etc.). En France, elle fait l’objet d’un intérêt croissant de la part du monde académique, attesté par la parution en 2017 aux Presses Universitaires de France d’un « Dictionnaire des biens communs[11] », regroupant les contributions de plusieurs dizaines de chercheurs issus d’une pluralité de disciplines.
La sphère militante n’est pas en reste et de nombreuses revendications, notamment en matière d’écologie, se font sous la bannière des Communs. On peut songer aux mouvements agissant pour la reconnaissance de l’eau comme bien commun, à des initiatives visant à instituer des forêts ou des bassins versants comme des Communs ou aux combats des paysans pour la préservation des droits d’usage sur les semences traditionnelles[12]. En France, le terme est récemment réapparu à Notre-Dame-des-Landes, dont les habitants ont revendiqué la qualité de « Laboratoire des Communs » pour légitimer la poursuite de l’occupation au-delà de l’abandon du projet d’aéroport[13]. Une tentative est d’ailleurs toujours en cours pour racheter une partie des terres de la ZAD afin de les ériger en propriété collective et poursuivre la « pratique des Communs » sur ce territoire[14]. La connexion avec les « droits de la nature » est ici évidente et elle s’exprime par exemple dans le célèbre mot d’ordre des Zadistes de Notre-Dame-des-Landes, qui en porte la trace : « Nous ne défendons pas la Nature ; nous sommes la Nature qui se défend ».
Pour autant – et de manière assez surprenante -, les analyses croisant explicitement la thématique des Communs avec celle des « droits de la nature » sont encore assez rares, alors même que leur mise en relation fait surgir des questions importantes et, dans une certaine mesure, perturbantes pour les Communs.
La théorie des Communs traversée par une « rupture ontique » entre Humains et Non-Humains
...
des différences profondes du point de vue des « ontologies » ou des « visions du monde » sur lesquelles elles s’appuient[15]. La pensée des Communs n’est pas simple à saisir, car elle est partagée entre de nombreuses branches et courants ne renvoyant pas exactement aux mêmes réalités (d’où un flottement dans la terminologie employée selon les auteurs entre « Les Communs », « Le Commun », « Les Biens communs », « Le Bien commun », « Le Faire commun », « L’Agir commun », etc.)[16]. On peut néanmoins partir de la définition synthétique issue des travaux d’Elinor Ostrom et de l’école dite de Bloomington, telle que proposée notamment par l’économiste atterré Benjamin Coriat : « des ressources en accès partagé gouvernées par des règles émanant de la communauté des usagers, visant à en assurer l’intégrité ou le renouvellement[17] ». Dans cette optique, la caractérisation des Communs repose sur un triptyque « ressource-communauté-règles »
...
Quand il est question de biens communs, il faut tenir compte des trois aspects suivants ; un groupe d’utilisateurs, généralement des « prosommateurs », des gens qui sont donc à la fois producteurs et consommateur. Ils prennent des décisions collectives concernant l’utilisation de ressources. Les ressources sont collectives également, en ce sens que leur utilisation dépend de la décision du groupe ; être membre du groupe vous confère des droits d’utilisation.
[…] C’est ainsi qu’émerge une nouvelle institution pour l’action collective. Sa conception et son fonctionnement sont sensiblement différents du marché et de l’État pris comme modèles de gouvernance dans la mesure où l’institution en question est basée sur l’auto-gouvernance, c’est-à-dire l’auto-régulation, l’auto-sanction et l’auto-gestion.
...
cette définition attire aussi un certain nombre de critiques, soulignant que cette manière de conceptualiser les Communs reste ancrée dans une ontologie « dualiste » ou « naturaliste » par le maintien du postulat d’une séparation entre la ressource, d’un côté et la communauté, de l’autre. Cette opposition viendrait reconduire la thèse d’une « présumée continuité ontologique sous-jacente entre les humains » et d’une « discontinuité ontologique entre les humains et les non-humains », débouchant sur une « relation objectivant les non-humains en tant que ressources (naturelles)[20] ». Par Non-Humains, il faut entendre « tout ce avec quoi les humains sont en interaction constante[21] » : animaux, plantes, mais aussi les éléments comme l’eau, l’air, la terre, y compris parfois également les objets et artefacts produits par l’activité humaine. La notion est au cœur d’analyses cherchant à renouveler les approches en dépassant l’opposition traditionnelle entre Nature et Culture, sujets et objets, Humains et Non-Humains. Dans le champ de la sociologie, elle joue notamment un rôle central dans la théorie de l’acteur-réseau développée par Bruno Latour, Michel Callon et Madeleine Akrich qui, à travers une « sociologie de la traduction[22] », pense l’action comme partagée entre des Humains et des Non-Humains, également doués d’« agentivité » (agency)[23]. On la trouve aussi mobilisée par l’anthropologie, notamment dans les travaux de Philippe Descola visant à questionner les représentations occidentales pour donner à voir la diversité des « ontologies », c’est-à-dire des manières de « composer des mondes » à travers les continuités et les discontinuités établies entre humains et non-humains[24].
...
la démarche d’Ostrom paraît en réalité reconduire la « rupture ontique » entre humains et non-humains caractérisant depuis des siècles la pensée occidentale et ayant acquis à l’époque moderne le statut de paradigme dominant[28]. Elle s’inscrirait encore dans ce que Bruno Latour[29] appelle un « processus de purification » visant à établir deux zones ontologiques absolument distinctes, alors même que les réalités observées par Ostrom sont composées de collectifs « d’hybrides » mêlant humains et non-humains. Or de telles accusations sont graves, car c’est précisément en s’appuyant sur cette thèse de « l’exceptionnalité de l’être humain » que l’Occident s’est doté d’un système de représentations et d’un appareillage idéologique favorisant un extractivisme forcené devenu incontrôlable depuis l’avènement de la révolution industrielle. Une telle dénonciation du dualisme de la pensée occidentale se retrouve notamment chez Arturo Escobar dans son ouvrage « Sentir-Penser avec la Terre[30] »
...Cette pensée dualiste qui sépare corps et esprit, émotion et raison, sauvage et civilisé, nature et culture, profane et spécialiste, indigène et savant, humain et non-humain en les hiérarchisant, nous empêche de nous concevoir comme faisant partie du monde, nous incitant plutôt à nous vivre dans un rapport d’extériorité instrumentale à ce qui nous entoure.
...
Pour Bruno Latour, le recours à cette notion est en outre caractéristique d’une pensée envisageant les rapports de l’homme à son environnement sous la forme d’un système de production, là où les défis écologiques majeurs auxquels nous faisons face demanderaient de les repenser comme un système d’engendrement, afin de prendre en compte les liens d’interdépendance existants entre l’ensemble des vivants [31]
...
Pour Patrick Bresnihan[32], la « rupture ontique » traverse en réalité toute la littérature sur les Communs et elle se manifeste notamment par la manière dont celle-ci distingue, d’un côté, des Communs qui seraient « naturels » ou « matériels » et de l’autre, des Communs « immatériels », que ceux-ci soient « numériques », « de la Connaissance », « culturels » ou « sociaux »
...
Reformuler la théorie des Communs à partir d’une ontologie relationnelle ?
...
gérer de manière durable des ressources naturelles par le biais d’arrangements institutionnels auto-produits par voie délibérative entre les personnes directement concernées. En recourant à la notion de faisceaux de droits (Bundle of Rights)[35], elle a aussi établi que la propriété exclusive et le marché n’étaient pas nécessairement le mode de gestion optimal des ressources, tout comme elle s’est montrée critique vis-à-vis de la centralisation bureaucratique lorsqu’elle conduit à étouffer la capacité des groupes à s’auto-organiser pour produire des règles adaptées à leur situation. ... engagement marqué sur la question du changement climatique qu’elle a intégré à ses analyses en essayant de proposer des leviers d’action articulant le global et le local[36].
...
les évolutions citées au début de cet article, visant à reconnaître la qualité d’« entités vivantes» et de « sujets de droit » à des Non-Humains, sont des émanations des « cosmovisions » propres à des populations autochtones ayant reçu une « traduction » dans le système juridique de leurs États. Elles ont le potentiel d’ouvrir une voie pour dépasser l’ontologie dualiste en embrassant d’autres « manières de composer le monde » évitant de reconduire la « rupture ontique » traversant toujours les travaux d’Ostrom en dépit de ses apports...
...les communs sont ici conçus comme **des touts indissolubles** d’humains et de non-humains en développement constant[39].
...l’ontologie relationnelle repose sur l’idée que « les mondes biophysiques, humains et surnaturels ne sont pas considérés comme des entités séparées ». Dans une telle conception, « la division entre nature et culture n’existe pas et encore moins celle de l’individu et de la communauté : de fait, l’individu n’existe pas, il existe en revanche des personnes en lien permanent avec l’ensemble du monde humain et non-humain ».
...inclure les humains dans la notion de communs, en tant que contributeurs à un écosystème qui inclut aussi les non-humains. **Construire un programme politique** autour de cela va demander beaucoup de temps et d’imagination. Mais si on ignore le potentiel des communs, on est mal. J’espère que nos meilleurs penseurs vont s’en saisir à nouveau pour l’ouvrir à toutes les possibilités, notamment celle de faire entrer les non-humains dans l’équation. C’est le travail qu’il va falloir faire, si on veut continuer à évoluer dans un monde viable.
...les diverses tentatives de reformulations (Communs latents, Eco-Communs, Communs Plus-qu’Humains) paraissent prendre le parti de s’éloigner assez radicalement de la théorie des Communs formulée par d’Elinor Ostrom, sans toutefois toujours prendre le soin de se confronter directement et en profondeur à ses éléments. Je procèderai de mon côté en passant en revue les briques essentielles de la théorie des Communs (les notions de ressources, communauté, gouvernance, arrangements institutionnels, enclosures, faisceau de droits, propriété, etc.). L’objectif sera de déterminer si ces différents concepts – aujourd’hui marqués par une « asymétrie » entre humains et non-humains – peuvent être reformulés en suivant le « principe de symétrie[45] » issu de la théorie de l’acteur-réseau...
...Faire de l’**anthropologie symétrique**, de ce point de vue, cela ne signifie pas expliquer la vie des humains par l’influence des non-humains, mais rendre compte de la composition d’un monde où les uns comme les autres prennent part en tant qu’acteurs – actants dirait Latour – avec leurs propriétés et leurs modes d’action, et constituent donc des objets d’intérêt égal pour les sciences sociales[46].
Quatre étapes pour « symétriser » les éléments de la théorie des Communs
...
PLAN
...
Conclusion : le rôle des communs symétriques à l’heure du Capitalocène
ndlr :
- n'est-on pas ici en train de réinventer/retomber sur la termo-bio-sociologie de François Roddier ? ACT
Une pré-histoire des femmes est-elle possible ? Depuis plusieurs décennies, de nouveaux questionnements, appuyés sur une critique des idées reçues et des stéréotypes, ont renouvelé la vision de la femme dans le cadre des sociétés et des cultures de la préhistoire. (Rediffusion de l'émission du 19 décembre 2016 )
avec Claudine Cohen, directrice d'Etude à l 'EHESS et à l ' EPHE, où elle enseigne l'histoire et la philosophie des sciences. Elle est l'auteur de " Femmes de la Préhistoire" Ed Belin
La modernité occidentale s’enferre dans la croyance que la culture pourra exploiter la nature pour « progresser » indéfiniment. Mais on peut changer de cours, selon Alessandro Pignocchi, qui inaugure le partenariat de Reporterre avec les Chronique terrestres : les Zad sont des « laboratoires » où les « relations avec les plantes et les animaux » sont « davantage vécues comme des interactions sociales que comme l’utilisation de ressources ».
Alors que le champ intellectuel minore les enjeux écologiques, que les médias généralistes les traitent le plus souvent comme seuls enjeux de gestion ou par le prisme des comportements individuels, les Chroniques terrestres visent à redonner une terre à la pensée et des pensées à notre situation planétaire. Nous écrire : contact@terrestres.org
Alessandro Pichocchi est chercheur en sciences cognitives et philosophie de l’art, illustrateur et auteur de bandes dessinées. Il vient de publier Cosmologie du futur.
ndlr : zad pour moi est une dualité :
- zone à défendre
- zone à développer
voir billet qui l'a fait émerger : https://wp.me/p7HNdj-2x
voir aussi TdM notamment sur la relation entre dualité et conflit ACT