Les modèles du climat continuent à s’améliorer. Mais la tendance qu’ils font apparaitre inquiète les scientifiques : le réchauffement en cas de doublement de la concentration de CO2 dans l’atmosphère serait plus important qu’on ne le prévoyait jusqu’à récemment.
L’auteur de cet article, Michel Damian, est professeur émérite à l’Université de Grenoble-Alpes (laboratoire Gael).
... Dans les cinq rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), publiés respectivement en 1990, 1995, 2001, 2007 et 2013, les fourchettes des prévisions à l’horizon 2100 ont évolué comme suit, toujours sous l’hypothèse du doublement de la teneur de l’atmosphère en CO2 par rapport à la période préindustrielle : 2-5 °C ; 1-3,5 °C ; 1,4-5,8 °C ; 1,1-6,4 °C et 1,5-4,8 °C.
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Aujourd’hui, il existe une quarantaine de modèles de climat, dont deux français. Soumis à une hausse de la concentration en CO2, tous ces modèles simulent un réchauffement global du climat.
En revanche, l’amplitude de ce réchauffement varie selon les modèles, entre 2,5 °C et 4,5 °C pour un doublement de la concentration en CO2. Il y a en effet des incertitudes, qui concernent les rétroactions climatiques, qui ne sont pas prises en compte de la même manière par les modèles. Les deux principales rétroactions sont liées à la vapeur d’eau (qui est un autre gaz à effet de serre) et aux nuages (en particulier les nuages bas en altitude).
Clés : climat GIEC changement climatique modélisation atmosphère CO2
Auteurs
Camille Risi Chercheuse CNRS en météorologie dynamique - LMD Sorbonne Université, Institut Pierre-Simon Laplace
Sandrine Bony Directrice de recherche CNRS au Laboratoire de météorologie dynamique (LMD - Sorbonne université), Institut Pierre-Simon Laplace
Déclaration d’intérêts
Camille Risi a reçu des financements de l'ANR (Agence Nationale de la Recherche).
Sandrine Bony a reçu des financements de l'European Research Council.
Les nuages jouent un rôle crucial sur le climat. D’une part, ils refroidissent la Terre, en faisant de l’ombre au rayonnement solaire. D’autre part, les nuages hauts la réchauffent, en contribuant à l’effet de serre. Mais les nuages, de nature très variables et soumis à la circulation atmosphérique, s’avèrent particulièrement difficiles à modéliser.
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Le réchauffement simulé par un modèle peut être décomposé en différentes composantes. Il y a d’abord l’effet direct du CO2 : plus sa concentration atmosphérique augmente, plus le rayonnement infrarouge émis par la Terre a du mal à s’échapper vers l’espace, et plus la Terre se réchauffe : c’est l’effet de serre.
Mais cet effet direct du CO2 est modulé par des rétroactions climatiques : ce sont des « cercles vicieux » qui amplifient, ou atténuent, le réchauffement lié au CO2. La principale rétroaction est liée à la vapeur d’eau, autre gaz à effet de serre : plus la Terre chauffe, plus son atmosphère se charge en vapeur d’eau. Ainsi, l’effet de serre augmente et la Terre se réchauffe d’autant plus.
Cette rétroaction double quasiment le réchauffement par rapport à l’effet direct du CO2. Sur ce phénomène, les différents modèles se rejoignent.
La deuxième rétroaction la plus importante concerne les nuages. En moyenne sur tous les modèles, celle-ci accroît le réchauffement de 50 % par rapport à l’effet direct du CO2. Mais cette rétroaction affecte le réchauffement entre -1 à +1,5 °C selon les modèles pour un doublement de CO2.
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L’impact complexe des nuages bas tropicaux
... plus la mer est chaude, plus le brassage vertical de l’air assèche efficacement les basses couches, diminuant la couverture nuageuse et donc amplifiant le réchauffement.
Mais à l’opposé, on s’attend à un affaiblissement de la circulation atmosphérique avec le changement climatique, ce qui conduirait à des couches nuageuses plus épaisses, et donc atténuerait le réchauffement.
... Pour mieux comprendre les processus en jeu, des campagnes de terrain sont organisées pour observer les propriétés nuageuses et les conditions atmosphériques associées, de manière de plus en plus détaillée.
Quand une composante du système climatique est modifiée par le changement climatique et que cette modification induite agit en retour sur le climat, on parle de rétroaction.
Une rétroaction est dite positive si elle amplifie le réchauffement et négative si elle l'affaiblit.
- La vapeur d'eau
- Le méthane
- Le cycle du carbone
- La cryosphère
- Les nuages
Les nuages mis à part, toutes les rétroactions connues sont positives. Ainsi, plus la Terre chauffe, plus elle chauffe, plus elle chauffe, plus elle chauffe...
Une simulation sugggère que sous l’effet du réchauffement du climat, un certain type de nuages, les stratocumulus, pourrait disparaître à partir d’un seuil de température critique. Un résultat qui reste à confirmer.
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Dans le cas des stratocumulus, deux mécanismes jouent un rôle important : la turbulence induite par les échanges d’énergie radiative entre le nuage et l’espace, et les mouvements turbulents au sommet des nuages, qui mélangent l’air sec de l’atmosphère avec l’air humide de la couche nuageuse. Dit autrement, un refroidissement radiatif au-dessus des nuages crée des mouvements descendants du sommet vers la base du nuage, qui forcent à leur tour la montée d'air humide dans le nuage.
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Avec une concentration de dioxyde de carbone de 1 200 ppm, le modèle de Tapio Schneider et de ses collègues prévoit déjà une augmentation de la température de 4 °C dans les tropiques par rapport à aujourd’hui. Mais au-delà de cette concentration, la dislocation des stratocumulus accentue l’augmentation de la température de 8 °C de plus dans les régions tropicales !
« Le seul élément nouveau dans cette étude est ce point de basculement », note Sandrine Bony, du Laboratoire de météorologie dynamique, à Paris, « mais le modèle utilisé est extrêmement idéalisé, simule un tout petit domaine (25 kilomètres carrés), et ne considère la réponse que d’un seul type de nuage. Il n’est pas du tout sûr que ce phénomène persisterait dans un modèle plus complet prenant en compte la réponse des nuages couplée à celle de la circulation atmosphérique. » En effet, dans le modèle de Tapio Schneider et ses collègues, la circulation atmosphérique de grande échelle (qui contrôle les régimes de vent à la surface du globe mais aussi l’intensité de la subsidence de l’air au-dessus des stratocumulus, un paramètre important dans le contrôle de ces nuages) n’évolue pas avec l’élévation de la température, ce qui est une hypothèse peu réaliste.
La question de l’évolution des nuages bas reste ouverte et ne sera résolue que grâce à une compréhension plus fine des processus mis en jeu et des simulations prenant en compte les interactions des nuages et de la circulation atmosphérique. Cependant, cette étude souligne une fois de plus l’importance des nuages dans l’évolution du climat. « Mieux comprendre et quantifier la réponse des nuages au réchauffement climatique, et son impact sur la sensibilité climatique, reste une priorité des sciences du climat », conclut Sandrine Bony.
Mots Clés Nuages Rechauffement climatique Giec Simulation numérique Modèles climatiques