La transition écologique des entreprises ©Getty - the_burtons
De nombreuses entreprises prennent conscience des limites planétaires et de la nécessité d'évoluer. Mais est-ce possible au sein d’un modèle de développement économique actuel reposant largement sur l’injonction de « vendre plus pour gagner plus » ?
Avec
- Eric Duverger Initiateur de la Convention des Entreprises pour le Climat
- Dominique Méda Professeure de sociologie à Paris-Dauphine, Productrice chez France Culture
Aujourd’hui, près de 90% des entrepreneurs français déclarent vouloir s’engager dans une transformation à la fois sociétale et environnementale.
Des critères dits « ESG » (environnementaux, sociaux et de gouvernance) ont été conçus pour estimer la manière dont une entreprise prend en considération les questions environnementales et sociales et organise sa gouvernance. De plus en plus utilisés pour aider les investisseurs à prendre leurs décisions, ils sont néanmoins critiqués pour leur trop grand nombre et pour l’absence de transparence dans leur fabrication et leur usage.
Où en sont les entreprises ? Comment accélérer leur transition dans un contexte de limites planétaires dépassées et de fin d’abondance ?
On en parle avec nos invités :
Eric Duverger, fondateur et délégué général de la Convention des entreprises pour le Climat
Caroline Neyron, directrice générale du Mouvement Impact France. Ce mouvement a développé l’Impact Score, un outil permettant d’évaluer l’impact social et écologique de son entreprise.
Dominique Méda, professeur de sociologie à l’université Paris Dauphine, directrice de l’Institut Interdisciplinaire en Sciences Sociales
Réussir à concilier profit et écologie
Si l'on en croit les enquêtes, la très grande majorité des entrepreneurs français déclarent vouloir s'engager dans une transformation à la fois sociétale et environnementale. Cette tendance témoigne d'une prise de conscience croissante de la responsabilité des entreprises face aux enjeux planétaires auxquels nous sommes confrontés.
Cependant, les entreprises restent peu nombreuses à mettre en place des transformations profondes et le modèle économique repose encore sur l'injonction de vendre plus pour gagner plus. Alors, est-il possible de concilier profit et écologie dans le secteur entrepreneurial, en réduisant drastiquement les émissions de gaz à effet de serre et où en sont les entreprises dans cette démarche ?
Le mouvement Impact France
Caroline Néron est directrice générale du mouvement Impact France depuis 2016, un mouvement patronal et d'entrepreneurs qui met l'impact social et écologique au cœur de leur modèle : « Quand j’ai rejoint ce mouvement, il réunissait à peu près 400 entrepreneurs et portait sur des enjeux sociaux et écologiques comme la mobilité verte, le gaspillage alimentaire, l'intégration des réfugiés. Le mouvement a grandi, s'est développé en accueillant de plus en plus d'entrepreneurs dans des parcours de transformation qui se rejoignent sur le fait qu'il faut changer les règles du jeu ».
Réduire 55 % des gaz à effets de serre d’ici 2030 pour les entreprises
La convention des entreprises pour le climat dont Eric Duverger est le fondateur regroupe 700 entreprises. Selon lui : « Les gaz à effets de serre et l’enjeu de décarbonisation sont des sujets importants, mais au sein de la convention, on traite toutes les limites planétaires comme la question de l’eau, des pollutions et plus globalement des ressources ». Pour lui, l'objectif principal est que les entreprises réduisent de 55 % leurs gaz à effets de serre d'ici 2030.
Penser la réussite des entreprises différemment
Dans cette émission, Caroline Neyrou évoque le terme de "licorne à impact" : « Aujourd’hui, on peut penser le développement des entreprises avec d'autres critères. Par exemple, on peut travailler sur l'impact positif et prendre ce curseur comme une nouvelle boussole. Si on garde la seule boussole économique, on ne peut pas évaluer la réussite des entreprises. Il faut à minima en avoir une deuxième. Le terme de licorne à impact sert à caractériser les entreprises qui ont choisi d'avoir en premier la boussole écologique et sociale et qui peuvent devenir des leaders qui changent nos comportements ». La directrice générale du Mouvement Impact France prend l’exemple de Yuka, une application mobile qui permet de scanner les produits alimentaires et d'obtenir une information claire sur l'impact du produit sur la santé, une démarche à la fois écolo et vertueuse : « 40 millions de personnes l’utilisent, et pourtant, l’entreprise ne compte toujours que dix salariés. Ça montre qu’on peut penser la réussite des entreprises différemment ».
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La CSRD, une nouvelle directive obligatoire pour les entreprises
Jusqu’ici la RSE, la responsabilité sociétale des entreprises était le principal baromètre des entreprises, mais pour Dominique Méda, professeur de sociologie, beaucoup d’entreprises disent qu’elles en font, mais il y a un manque de transparence et il est difficile de comparer les entreprises, même s'il y a des labels comme la ESG, pour environnement social gouvernance, sur lesquels les investisseurs jugent des réussites ou des échecs des entreprises : « Tout ça reste un peu flou. Ce qui est intéressant, c’est qu’en 2001, a été votée une nouvelle directive, la CSRD, pour Corporate Sustainability Reporting Directives par l'Union européenne qui va devenir obligatoire. Elle exige qu'un certain nombre d'entreprises, les plus grandes pour l'instant, sortent des chiffres sur ce qu'on appelle la double matérialité, c'est-à-dire à la fois ce que leur environnement fait à leur compte, et ce que les entreprises font à l’environnement. Elles auront donc à rendre des comptes sur une base comparable entre les différentes entreprises. Cela va permettre de guider les investisseurs pour voir celles qui ont un comportement vertueux ou non ».
Des outils plus simples pour ne pas pénaliser les entreprises bio
Pour Caroline Neyrou, l’économie est au centre de cette transition écologique des entreprises : « Aujourd’hui, la compétitivité d'une entreprise est attaquée quand elle engage des transitions écologiques. Il faut bien payer ses salariés, travailler en circuit court, utiliser des produits de bonne qualité et ça coûte. Dans les périodes d'inflation, les entreprises les plus engagées ont des produits qui coûtent potentiellement plus cher, et elles sont donc pénalisées. Actuellement, nous avons des acteurs qui perdent 30 % de leur chiffre d'affaires à cause des enjeux d'inflation, et ces évaluations nous donnent une meilleure compréhension pour aider les entreprises les plus vertueuses ».
Un puissant lobbying pour changer cette directive
Un des principaux freins à cette directive qu’évoque Dominique Méda, c’est un lobbying intense qui fait tout son possible pour que cette directive soit la moins contraignante : « Il y a une lutte silencieuse entre les normes comptables aux États-Unis, qui n'ont pas envie qu'on regarde ce que les entreprises font à l’environnement et les normes européennes vertueuses pour l’environnement qui pourraient s’imposer ».
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