Enquête
Imaginé au début des années quatre-vingt-dix, le projet d’une nouvelle liaison ferroviaire entre Lyon et Turin n’en finit pas d’être repoussé. Largement critiqué de part et d’autre de la barrière alpine, il est sur les rails pour les uns, déjà mort pour les autres. Au cœur de la polémique, le tunnel transfrontalier de 57 kilomètres annoncé comme la première étape de ce vaste chantier.
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Les ambitions du Lyon-Turin
Si l’un des objectifs affichés par les partisans du projet est de faciliter les relations économiques entre la France et l’Italie – l’une pour l’autre deuxième partenaire commercial – l’ambition visée est plus grande. Avec la traversée des Alpes, la liaison Lyon-Turin deviendrait un maillon central du « corridor méditerranéen », l’un des grands axes prioritaires identifiés par l’Europe pour le transport des voyageurs et des marchandises entre la péninsule ibérique (Algesiras) et l’Europe centrale (Budapest). « La ligne Lyon-Turin ne relie pas que la France et l’Italie, elle replace la France au centre de gravité des réseaux transeuropéens en abolissant la frontière naturelle que sont les Alpes », déclarait Thierry Repentin le 18 novembre 2013 devant le Sénat, alors ministre délégué aux Affaires européennes. « L’effacement de la barrière alpine changera significativement la carte du continent », se réjouit aussi l’ancien ministre des Transports Louis Besson, l’un des instigateurs du Lyon-Turin, aujourd’hui président de la Commission intergouvernementale franco-italienne (CIG) chargée de mettre en œuvre le projet. « Ce projet est bon pour l’économie, et bon pour l’écologie », ajoute Éliane Giraud, vice-présidente déléguée aux Transports à la Région Rhône-Alpes. Car la principale justification du projet est aujourd’hui environnementale. Ses partisans affirment que la nouvelle liaison, plus performante que les lignes actuelles, permettra un report massif de la route vers le rail. D’où l’accent mis sur la composante fret du projet, alors que la communication des années quatre-vingt-dix tournait sur le thème d’une liaison à « très grande vitesse » pour les voyageurs. « J’ai toujours porté le volet “fret” autant que “voyageurs”, constatant la montée en puissance du trafic de poids lourds sous les tunnels routiers du Mont-Blanc et du Fréjus », déclare Louis Besson. Le schéma directeur des liaisons ferroviaires de 1991 mentionne « la mixité des circulations voyageurs et marchandises » pour le nouveau tunnel de base entre la France et l’Italie. Pour Hubert du Mesnil, président de Lyon-Turin ferroviaire (LTF), filiale de Réseau ferré de France (RFF) et de Rete Ferroviaria Italiana (RFI) et promoteur de la section transfrontalière du projet, « l’accident sous le tunnel du mont Blanc en 1999 a accéléré la prise de conscience sur la nécessité de mieux gérer la question du fret ». En matière de fret, la France accuse en effet un sérieux retard : la part du rail entre la France et l’Italie n’est que de 10 %, contre 25 % entre l’Autriche et l’Italie et 65 % entre la Suisse et l’Italie (source : Région RA). Les partisans du Lyon-Turin continuent aussi de présenter cette liaison comme « une avancée significative pour le développement de l’Europe de la grande vitesse (1) », annonçant un trajet de quatre heures au lieu de sept heures entre Paris et Milan. Affirmant aussi que la liaison améliorera la desserte régionale pour les voyageurs.
Depuis le 15 janvier 1996, date du premier accord franco-italien entérinant la création de la CIG, l’intention des deux pays est confirmée. Le 29 janvier 2001, Jacques Chirac déclarait à Turin : « Nous nous sommes fixé un objectif qui sera une mise en œuvre pour 2015. » Onze ans plus tard, l’accord du 30 janvier 2012 a défini le tracé définitif, les modalités de gouvernance du projet et du futur promoteur public ainsi que la part des coûts à la charge de chaque pays pour la section transfrontalière. Il est acté que la réalisation du Lyon-Turin commencera par la construction du tunnel transfrontalier, les accès au tunnel côté français et italien étant reportés à une phase ultérieure. Le 20 novembre 2013 à Rome, lors du 31e sommet franco-italien, le Lyon-Turin est évoqué comme un « chantier » et non plus comme un « projet ». Les déclarations d’utilité publique ont été prononcées le 7 décembre 2007 pour la réalisation de la partie française du tunnel de base, et le 23 août 2013 pour la réalisation de l’accès français au tunnel de base.
Sur le terrain, trois galeries dites « descenderies » ont été excavées dans la vallée de la Maurienne entre 2002 et 2010, dans le cadre des travaux de reconnaissance géologique, sur une longueur de neuf kilomètres. Elles sont situées sur les communes de Villarodin-Bourget/Modane, La Praz et Saint-Martin-la-Porte. Côté italien, le chantier de la galerie de reconnaissance de la Maddalena (Chiomonte) est en cours depuis juin 2011. Un peu plus d’un kilomètre a été creusé sur les 7,5 kilomètres prévus. Selon LTF, les travaux devraient être terminés d’ici début 2016, l’utilisation d’un tunnelier au-delà des 300 premiers mètres – constitués d’éboulis – permettant d’accélérer la cadence. Pour conclure la phase des « études et travaux de reconnaissance », le creusement d’une galerie de neuf kilomètres est prévu en Maurienne à partir de Saint-Martin-la-Porte début 2015. Il devrait durer huit ans sur ce secteur présenté comme géologiquement sensible. Selon LTF, cette galerie « sera excavée en direction de l’Italie, dans l’axe et au diamètre du futur tube sud du tunnel transfrontalier ». Il s’agira autrement dit des neuf premiers kilomètres du futur tunnel de base, qui pourraient donc être achevés d’ici fin 2022 si les délais sont tenus. LTF annonce dans le même temps l’achèvement des 57 kilomètres du tunnel de base à l’horizon 2025-2030. « Les acquisitions foncières liées à la réalisation de l’ouvrage sont en cours à Saint-Jean-de-Maurienne », annonce le président de LTF Hubert du Mesnil. Si le projet semble sur les rails, il n’en reste pas moins quelques étapes clé à franchir comme l’adoption du projet définitif de la section transfrontalière en territoire italien et la confirmation du financement de l’Union européenne ainsi que des financements nationaux par la France et l’Italie, sur la base d’un coût certifié par une expertise indépendante.
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