Mobilisation
Nils Agger, rebelle contre l’inaction
Des militants d’«Extinction Rebellion» manifestent à Londres le 23 novembre. Photo Immo Klink
Mobilisation. Face à l’urgence climatique, le jeune Suédois a lancé à l’automne en Angleterre «Extinction Rebellion», un mouvement de désobéissance civile au succès fulgurant.
Nils Agger a le cœur d’un rebelle. De ceux qui se font traîner par terre et arrêter pour avoir tagué un message contre l’extension de l’aéroport de Londres sur le quartier général du Parti travailliste. Né dans la campagne méridionale suédoise, le militant au chignon de Jedi a quitté le confort de la péninsule scandinave pour s’installer il y a trois ans dans la petite et ancienne cité industrielle de Stroud, dans l’ouest de l’Angleterre. Le Brexit ? Ce casse-tête politique, qui divise le Royaume-Uni, l’Union européenne et monopolise les grands titres des médias britanniques ? Pas son problème. Ce qui occupe son esprit et ses journées depuis presque un an, c’est «Extinction Rebellion».
Pacifique
Le mouvement citoyen de désobéissance civile, qu’il a créé en mai avec une quinzaine de militants écolos, se veut différent de la kyrielle d’autres organisations environnementalistes existantes dans le monde. «Beaucoup d’ONG ne disent pas la vérité sur l’avancement de la crise écologique et climatique pour ne pas faire peur, interpelle le jeune Suédois de 25 ans. Elles craignent que si les gens réalisent l’ampleur de la catastrophe, ils soient paralysés et ne veuillent plus agir. C’est faux. Le succès d’Extinction Rebellion prouve le contraire.» Parler de succès n’est pas un euphémisme. Depuis son lancement officiel le 31 octobre, Extinction Rebellion a fait près de 100 000 adeptes sur les réseaux sociaux, et déborde des frontières britanniques pour voir émerger des branches dans 35 pays, dont la France. «Ce n’est pas juste une énième campagne de sensibilisation ou de mobilisation, reprend fièrement Agger. Nous avons lancé une rébellion contre le gouvernement britannique pour le forcer à négocier avec la population, et à la protéger comme il se doit.»
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Pour Agger, le déclic a eu lieu début 2018. Installé en Angleterre pour se former à l’agriculture, il a appris le métier sur le tas en traînant ses bottes de ferme bio en ferme bio. Jusqu’à se dire qu’un changement plus radical était nécessaire. «Développer une agriculture sans pesticides et protectrice de la terre est crucial, mais nous devons d’abord changer les modèles industriels et de consommation si on veut prévenir une déliquescence des systèmes agricoles à moyen terme.» Pour lui, l’acteur-clé reste le gouvernement : «Ils ont l’infrastructure nécessaire et les moyens de coercition sur le secteur privé, mais surtout, ils ont la responsabilité d’agir pour prévenir l’effondrement généralisé qui nous guette.»
Certains pourraient le traiter d’écolo radical. Pourtant Agger espère, grâce à la rébellion, éviter un basculement futur dans une «dictature verte». Le mouvement s’est constitué autour de trois piliers : demander aux gouvernants de dire la vérité, mettre en place des mesures contraignantes pour réduire les émissions de gaz à effet de serre à zéro d’ici 2025, et enfin fonder une Assemblée citoyenne nationale avec un réel pouvoir de décision sur la transition écologique. «Une telle forme de démocratie participative peut être un rempart contre les dérives autoritaires», assure-t-il. Pour arriver à ces fins, hors de question de faire usage de la violence. Extinction Rebellion est fondamentalement pacifique. Un enseignement tiré de l’histoire des mouvements écologistes partisans de l’action directe. «Certains ont basculé dans la violence parce qu’ils étaient désespérés, que le changement qu’ils appelaient ne se produisait pas, argumente Agger. Mais plusieurs études ont montré que les groupes non-violents ont plus de succès. Ils obtiennent de meilleurs et plus stables résultats.»
Sablier
Si cette rébellion séduit, c’est aussi grâce à son caractère spirituel et innovant. Ainsi, leur campagne de nouvel an, inspirée des cultures autochtones ancestrales, s’intitulait «Protéger et honorer la vie». Du 1er au 7 janvier, les «rebelles» étaient encouragés à s’engager à «protéger et honorer» la terre, l’eau, le feu, etc. tous les jours, par «des méditations, des cérémonies, de l’art, de l’activisme sacré, des conférences en ligne, etc.» Ambitieux, le mouvement britannique espère mobiliser 3,5 % de la population, une proportion nécessaire et suffisante, selon eux, pour parvenir à un changement systémique. Tout cela en quelques années. La notion d’urgence est d’ailleurs l’élément central de leur symbole : un sablier dans un cercle noir, qu’Agger arbore maintenant où qu’il aille, sur des pin’s, des drapeaux, des tee-shirts.
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Depuis novembre, il a lâché sa bêche pour plancher à temps plein sur Extinction Rebellion. Et prépare maintenant la Semaine internationale de la rébellion, grand raout prévu mi-avril. «Après cela, je n’aurai plus d’économies pour continuer à ce rythme, soupire le Suédois. Je vais devoir me retrouver un emploi.» La rébellion, pour l’instant, ne nourrit pas.
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