La robustesse est la capacité d’un système à maintenir sa stabilité (à court terme) et sa viabilité (à long terme) malgré les fluctuations
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Comme l’a montré Elinor Ostrom, certains systèmes sociaux sont également robustes. En particulier, la gouvernance de certains biens communs – aquifères, champs irrigués, prairies de haute montagne – a fait ses preuves depuis plusieurs siècles en traversant les guerres, les famines et les pandémies. Une telle robustesse est permise grâce à des principes qui pourraient nous inspirer pour faire face aux nombreux défis de l’Anthropocène.
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« La résilience a trois définitions. C’est d’abord la capacité d’un matériau à se déformer et à revenir à sa forme initiale. Cette idée d’élasticité a ensuite été déclinée en psychologie : la capacité à rebondir. Comme le dit Thierry Ribault dans Contre la résilience, il s’agit d’une forme de double peine : exiger d’être capable de tomber, et de remonter la pente. Inutile de dire que cette définition très responsabilisante s’aligne parfaitement avec la main invisible du marché, l’absence d’État et le néolibéralisme ... il y a trop d’ambiguïtés dans les différentes facettes de la résilience pour continuer à l’utiliser. La résilience dans son acception psychologique domine actuellement et peut devenir une injonction d’agilité et de consentement, parfaitement alignée avec l’idéologie performante. Il me parait donc plus opportun de parler de robustesse, que l’on pourrait même opposer à la résilience : la robustesse crée les conditions grâce auxquelles on ne tombe pas. Les marges de manœuvre nécessaires pour cela sont incompatibles avec la recherche d’efficacité, d’efficience ou d’agilité. » Extrait d’Antidote au culte de la performance – Ed. Gallimard
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Les biens communs sont des ressources créées, gérées et partagées collectivement par une communauté de citoyens : zones urbaines transformées en jardins partagés, informations ajoutées dans l’encyclopédie Wikipédia, cartes OpenStreet Map nourries par les utilisateurs, savoirs traditionnels, logiciels libres, science ouverte, publications en libre accès, pédibus scolaires, fours à pains mutualisés, systèmes d’irrigation agricole partagés, semences libres, contenus éducatifs ouverts, échanges de savoirs, justice participative, données ouvertes collectées par les personnes…
Quelles que soit leur échelle – de l’immeuble à la planète –, les approches par les biens communs apportent des réponses inédites et robustes, là où la puissance publique et le marché sont souvent absents ou inefficaces.
Elinor Ostrom a identifié huit « principes fondamentaux » critiques pour la création et le maintien de ressources mises en communs (common pool of ressources). Ces principes permettent de mettre les actions collectives (réalisées en vue de résoudre un problème) à l’épreuve des faits :
- des limites nettement définies des ressources et des individus qui y ont accès (qui permettent une exclusion des entités externes ou malvenues)
- des règles bien adaptées aux besoins et conditions locales et conformes aux objectifs des individus rassemblés
- un système permettant aux individus de participer régulièrement à la définition et à la modification des règles (faisceau de droits accordés aux personnes concernées)
- une gouvernance effective et redevable à la communauté vis-à-vis des appropriateurs
- un système gradué de sanction pour des appropriations de ressources qui violent les règles de la communauté
- un système peu coûteux de résolution des conflits
- une auto détermination reconnue des autorité extérieures
- S’il y a lieu, une organisation à plusieurs niveaux de projet qui prend toujours pour base ces bassins de ressources communes.
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la sous-optimalité est un formidable soutien aux capacités d’adaptation : les systèmes vivants peuvent contourner les difficultés, non pas parce qu’ils sont bien préparés, mais plutôt parce qu’ils sont toujours dans un état dynamique, explorant les possibles. L’évolution n’a pas sélectionné la performance comme compas indépassable, mais bien la robustesse, c’est-à-dire la capacité à survivre aux fluctuations de l’environnement et à se transformer si les conditions l’exigent.
La paix de demain ?
... les crises successives mettent à nu la fragilité de nos systèmes socio-économiques suroptimisés ... dysfonctionnements d’une société devenue trop performante ... C’est d’ailleurs ce qu’Ivan Illich dénonce dans la « contre-productivité », quand l’excès de performance nous condamne. D’autres formes de résistance sont apparues. Carlo Petrini remet en cause la performance absurde des fast-food, et invente le « slow food » en réaction. De même, le paysagiste Gilles Clément invente un nouveau jardin, contre les aberrations de l’excellence ornementale permise à coup de destruction massive et d’armes chimiques. La chambre du futur, ou du temps long, proposée par Dominique Bourg participe du même mouvement. Finalement, la sous-optimalité du vivant pourrait nous apprendre beaucoup pour construire une réelle civilisation de la paix, où la robustesse deviendrait notre nouveau compas. Au-delà des pandémies et des crises économiques, inventer cette société-là pourrait devenir inévitable : il va falloir trouver des marges d’adaptation inédites face aux défis vastes et imprévisibles de l’anthropocène. (Adaptation d’une tribune parue dans Libération le 6 mai 2020)
Mireille Tabin, Université de Fribourg
Basée sur les critères «Evidence-Based Practice» (EBP), ... Onze articles évaluant chacun un programme différent ont été analysés. En tenant compte des critères en lien avec la fiabilité de l’évaluation,
l’efficacité et la disponibilité de l’intervention, trois possibilités se sont dessinées: (1) choisir le programme québécois Vers le Pacifique; (2) préférer un des programmes anglophones qu’il faudra adapter en français, The Peacebuilders, Resolving Conflict Creatively, PATHS, The Good Behavior Game, Too Good for Violence ; ou (3) opter pour Peacemaker, programme disponible en français et proposé par une organisation, le National Coalition Building Institute (NCBI).
Introduction
Contexte de la recherche
Désemparés face à une certaine prolifération de la violence entre les élèves
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La médiation par les pairs en milieu scolaire
La médiation permet d’aider à résoudre les conflits entre les personnes à l’aide d’un tiers neutre, sans passer par la violence ni par une autorité supérieure. L’objectif de la médiation est de rétablir la communication entre les protagonistes du conflit (Diaz & Liathard-Dulac, 1999; Pingeon, 2007).
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Ce type de médiation ne se positionne pas en opposition mais bien en complément à la médiation scolaire réalisée par les adultes (Mirmanoff, 2013). Elle intervient à plusieurs niveaux en tant que projet d’établissement et nécessite la collaboration de tous le personnel scolaire. Les programmes de médiation par les pairs entraînent les élèves à la gestion et la résolution de conflit, en alternant des apprentissages théoriques (comme la définition des conflits inter-personnels, de l’écoute active, de la communication non violente) et des jeux de rôles (Burrell, Zirbel, & Allen, 2003). L’entraînement des élèves à la médiation, son contenu , les supports utilisés et la façon dont il est dispensé (par des enseignant·e·s et/ou par des professionnel ·le· s de la médiation) varie: de nombreux programmes de médiation par les pairs existent ainsi, qui illustrent autant de possibilités d’intervention (Bayada, Bisto, Boubault, & Gagnaire, 1999; Bonafé-Schmitt, 2000; Denis et al., 2000; Diaz & Liathard-Dulac, 1999; Mirmanoff, 2013; Pingeon, 2007).
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En 2015, la médiation scolaire valaisanne a fêté ses 30 ans d’existence au niveau des cycles d’orientation et des établissements du degré secondaire II (Roux & Brantschen, 2016). Au niveau primaire, la médiation débute: les premières volées de formation de base à la médiation pour ce degré se sont achevées en avril et juin 2017 (Commission Cantonale de Médiation Scolaire, 2017). La médiation scolaire par les pairs parait elle aussi se développer au niveau primaire, à l’image de l’école de Charrat à Martigny (VS) qui a décidé d’introduire, en 2014, un programme appelé Peacemaker (Martinetti Duboule, 2015).
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tenir compte de trois éléments dans la prise d’une décision: (1) les meilleures preuves disponibles issues de la recherche scientifiques, (2) les ressources (y compris l’expérience des professionnel·le·s), et (3) les caractéristiques de la population.
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analyse basée sur les critères de fiabilité, d’efficacité et de disponibilité ... La pertinence des mots-clés utilisés, l’équivalence des concepts et la traduction dans le champ anglophone a été vérifiée à l’aide de l’outil Thesaurus d’OvidSP (https://ovidsp.tx.ovid.com/sp-3.13.1a/ovidweb.cgi) et complétée par la littérature spécifique à ce sujet.
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Conclusion
... l’efficacité de 11 programmes de médiation par les pairs a été comparée. Les 11 programmes démontrent des résultats significatifs positifs principalement au niveau des compétences sociales des élèves (augmentation de comportements prosociaux, des habiletés de communication, des compétences émotionnelles) et de la diminution du nombre de conflits (baisse de la fréquence des agressions, des comportements agressifs, du nombre de conflits à l’école).
En pondérant la fiabilité de la recherche, l’efficacité et la disponibilité du programme, trois possibilités se dessinent pour les écoles primaires romandes désireuses d’introduire un programme de médiation par les pairs au sein de leur établissement scolaire: (1) choisir Vers le Pacifique, programme francophone dont l’efficacité est avérée, (2) préférer un des programmes anglophones dont l’efficacité est également prouvée mais qu’il faudra adapter en français (The
Peacebuilders, Too Good for Violence, Resolving Conflict Creatively, PATHS, The Good Behavior Game), (3) opter pour Peacemaker, un programme dont l’efficacité reste à évaluer plus rigoureusement mais dont la disponibilité et le soutien à l’implémentation sont assurés grâce au support du NCBI.
Évaluer l’efficacité de ces programmes soulève enfin des questions liées à leur implémentation. En effet, dans 5 des 11 programmes retenus dans cette revue systématique, des difficultés liées à l’implémentation ont été mentionnées, notamment lorsque les enseignant·e·s n’étaient pas (assez) impliqué·e·s (Aber et al., 1998; CPPRG, 1999; Flannery et al., 2003; Hall & Bacon, 2005; Rondeau et al., 1999). Dès lors, comment faire accepter et engendrer de nouvelles pratiques chez les enseignant·e·s? Quels sont les facteurs de risque et de protection dans l’environnement scolaire permettant une implémentation fidèle et durable de tels programmes de prévention de la violence? Ces interrogations soulèvent des problématiques interdisciplinaires complexes et ouvrent la voie vers d’autres recherches, qui concernent à la fois la sociologie des innovations, les sciences de l’implémentation, les recherches sur la formation continue et le courant du School Improvement (Bélanger et al., 2012).
Notes
1 Tabin, M. (2016) La médiation par les pairs en milieu scolaire: recherche d’un programme pour l’Institut Sainte-Agnès à Sion: revue systématique réalisée selon les critères «Evidence-
Based Practice» (Travail de Master, Université de Fribourg, Fribourg).
2 Pour une réflexion sur les critères «evidence-based practice» en sciences de l’éducation et
les débats relatifs à l’utilisation de ces critères, consulter l’article de Rey (2006)
3 Comme Hart et Gunty (1997) ont procédé à l’aide de tests chi carré, la taille de l’effet a été
calculée à partir du V de Cramer (V). En revanche, pour les autres recherches, la taille de l’effet a été mesurée grâce au calcul de l’indice éta-carré (ŋ2). Flannery et al. (2003) ayant analysé leurs données à l’aide d’un modèle linéaire hiérarchique (HLM), la taille de l’effet de cette recherche n’a pas pu être calculée
4 E1 = élèves de 5 à 8 ans; E2 = élèves de 8 à 11 ans
5 Le barème des points est le suivant: taille d’effet petite = 1 point, taille d’effet moyenne =
2 points, taille d’effet grande = 3 points
6 CRPM: Conflict Resolution Peer Mediation
Références bibliographiques
Les recherches sélectionnées dans la revue systématique sont signalées par l’astérisque (*)
- *Aber, J. L., Jones, S. M., Brown, J. L., Chaudry, N., & Samples, F. (1998). Resolving conflict
creatively: evaluating the developmental effects of a school-based violence prevention
program in neighborhood and classroom context. Development and Psychopathology,
10(2), 187–213. doi:10.1017/S0954579498001576 - Bayada, B., Bisot, A.-C., Boubault, G., & Gagnaire, G. (1999). Conflit, mettre hors-jeu la violence. Lyon, France: Non-Violence Actualité.
- Bélanger, J., Bowen, F., Cartier, S., Desbiens, N., Montésinos-gelet, I. & Turcotte, L., (2012). L’appropriation de nouvelles pratiques d’ interventions pédagogiques et éducatives en milieu scolaire: Réflexions sur un cadre théorique intégrateur. Education et Francophonie, 40(1), 56-75.
- Bell, S. K., Coleman, J. K., Anderson, A., Whelan, J. P., & Wilder, C. (2000). The effectiveness of peer mediation in a low-SES rural elementary school. Psychology in the Schools, 37(6), 505–516. doi:10.1002/1520-6807(200011)37:6<505::AID-PITS3>3.0.CO;2-5
- Bickmore, K. (2001). Student Conflict Resolution, Power “Sharing” in Schools, and Citizenship Education. Curriculum Inquiry, 31(2), 137–162. doi:10.1111/0362-6784.00189
- Bonafé-Schmitt, J.-P. (2000). La médiation scolaire par les élèves. Issy-les-Molineaux, France:
ESF éditeur. - *Bowen, F., Rondeau, N., Rajotte, N., & Belanger, J. (2000). Evalution d’un programme de prévention de la violence au premier cycle du primaire. Revue Des Sciences de L’éducation, 26(1), 173–196.
Connu / TG le 27/12/23 à 23:54