En 1919, Emma Goldman faisait partie, selon le FBI, « des plus dangereux anarchistes d’Amérique ». Enfin traduits intégralement en français, ses mémoires, « Vivre ma vie. Une anarchiste au temps des révolutions », sont l’occasion de dépasser les clichés sur l’anarchisme.
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« Mon bel idéal, c’est la liberté, le droit de s’exprimer pour chacun, et pour tous le droit de jouir de belles choses »
À la suite de son départ épique de Russie, fin 1921, et dans l’impossibilité de retourner aux États-Unis — considérée comme « dangereuse », elle en fut expulsée en 1919 pour son engagement contre la conscription, au nom de « la liberté de conscience » —, elle se retrouva apatride. Elle erra alors de l’Allemagne à l’Angleterre, pays dont elle connaissait la langue, dans l’attente d’un visa pour s’installer. Elle trouva finalement refuge en France, « berceau de l’anarchisme », et y rédigea ses mémoires, de 1928 à 1930. Elle mourut en 1940, à Toronto, non sans avoir apporté un soutien ardent aux républicains espagnols et aux prisonniers politiques en Russie.
... stratégie double. D’un côté, les « manifestes enflammés », les « meetings monstres », « petites fêtes », et autres caisses de soutien aux victimes de la « terrible guerre de classes ». Comme Louise Michel, cette « femme merveilleuse » qu’elle rencontra à Londres, Emma Goldman appela le peuple « mourant de faim » à faire respecter sa souveraineté par un État « indifférent » :
Vous tous, hommes et femmes, ne voyez-vous pas que l’État (…) vous broie pour préserver la classe dominante, vos maîtres ? (…) Alors, allez manifester devant le palais des riches, exigez du travail. S’ils ne vous en donnent pas, exigez du pain. S’ils vous refusent les deux, prenez le pain. C’est votre droit le plus sacré ! »
Elle le paya d’un an de prison.
De l’autre, à une époque où ni la liberté syndicale ni la liberté d’expression n’étaient garanties, elle multiplia les prises de position publiques pour soutenir, notamment, « le droit des travailleurs à l’autodéfense » et encourager l’expérimentation collective, convaincue qu’une véritable révolution sociale ne peut advenir que « par la base ». Ce à quoi font écho les expériences de municipalisme libertaire tentées aujourd’hui https://reporterre.net/Le-municipalisme-est-l-avenir-des-Gilets-jaunes. Emma Goldman s’employa par ailleurs à déjouer la « morale mesquine », cause de « grandes souffrances » et d’entrave à l’épanouissement individuel : défense de la contraception, dénonciation de l’ostracisme à l’égard des homosexuels, etc. Elle fut sans fin sur la corde raide entre émancipation individuelle et émancipation collective, les deux versants du projet de refondation sociale anarchiste.
Vivre ma vie. Une anarchiste au temps des révolutions, d’Emma Goldman, traduction Laure Batier et Jacqueline Reuss, éditions L’Échappée, novembre 2018, 1.104 p., 29,90 €.