Durée de lecture : 12 minutes Clés : Biens communs
Dans son dernier livre, l’« économiste atterré » Benjamin Coriat expose deux visions de la crise écologique, et de sa résolution : celle du marché néolibéral et celle des théoriciens des communs, qui défendent une citoyenneté active.
Benjamin Coriat est professeur de sciences économiques à l’université Sorbonne Paris Nord, et cofondateur des Économistes atterrés, un collectif créé en 2010 pour dénoncer l’impasse des choix économiques européens, notamment la « cure d’austérité » imposée à la Grèce. Il est l’auteur, notamment, de : Le Retour des communs — La crise de l’idéologie propriétaire (2015) et de Le bien commun, le climat et le marché — Réponse à Jean Tirole (2021).
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je confronte dans mon livre la vision de Jean Tirole, économiste français néolibéral, avec celle d’Elinor Ostrom, économiste américaine spécialisée dans la question des communs — c’est-à-dire des ressources, naturelles ou non, placées en usage partagé.
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Tirole défend l’idée que le réchauffement climatique serait une « défaillance de marché », qu’il faudrait corriger par... davantage de marché ... il suffirait donc de développer un marché carbone ... stratégie ... Protocole de Kyoto (1997), appliquée en Europe depuis 2005, malgré ses maigres résultats et sa nocivité. Le funeste marché des « droits à polluer » auquel elle a donné lieu est bien connu aujourd’hui, notamment en Afrique. ... Une des propositions du Green Deal ... « étendre le marché carbone » à de nouveaux secteurs économiques
https://reporterre.net/Le-marche-du-carbone-renait-de-ses-cendres
https://reporterre.net/Les-six-projets-les-plus-climaticides-de-Total-4-5
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l’approche d’Elinor Ostrom permet une vraie préservation des écosystèmes.
... faire de l’eau, des forêts, du climat, etc., des « communs de grande dimension » ... avec la propriété partagée qu’instituent les communs, les biens, les écosystèmes sont protégés par des devoirs et obligations conçus pour assurer leur pérennité.
https://reporterre.net/Avec-les-biens-communs-les-citoyens-reprennent-la-main
... que les gens gèrent avec bon sens les écosystèmes grâce auxquels ils vivent parce qu’ils exercent un contrôle les uns sur les autres pour assurer leur intégrité ... les pratiques vertueuses de communs ancestraux les prud’homies de pêche https://fr.wikipedia.org/wiki/Prud%27homies_de_p%C3%AAcheurs
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la crise climatique n’est pas une « défaillance de marché », mais un phénomène systémique ... ne peut être traité qu’à ce même niveau systémique ... un dépassement de la culture centralisée et hiérarchique des États au profit de « coalitions » entre des « communautés de base » ... pas de se substituer à une gouvernance nationale ou mondiale, mais de chercher un rééquilibrage territorial pour mobiliser toute la société dans la transformation écologique. Et le meilleur moyen, selon elle, d’affronter les problèmes complexes que cette transformation pose à de multiples niveaux, c’est de démultiplier les échanges entre citoyens. Elle appelle ce nouveau régime démocratique la « gouvernance polycentrique ».
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confiance dans l’énergie citoyenne qui a impulsé l’associationnisme après la Révolution française https://reporterre.net/Les-associations-sont-un-rempart-contre-l-autoritarisme
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créativité nécessaire pour repenser nos pratiques pour vivre plus en accord avec la nature, et nos valeurs de justice et d’équité. ... Convention climat a vraiment été un événement d’une grande portée. Ses 149 propositions impulsaient une action multiniveaux et multidimensions ... consensus par puissance de l’échange et de la délibération, pour parvenir à des solutions partagées ... remise en avant de types de forme délibératives qui ont existé pendant la Commune https://reporterre.net/La-Commune-de-Paris-fut-la-matrice-d-une-ecologie-revolutionnaire
... des petits. En Allemagne, six jeunes ... en grève de la faim juste avant les élections à la chancellerie, en septembre dernier ... une Convention climat ... dont les conclusions seraient impératives
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Avant, le néolibéralisme pouvait s’avancer en terrain découvert, se targuer d’être la « seule alternative » ... Désormais, ... Nous allons protéger les écosystèmes en en faisant des communs, pour en user équitablement et respectueusement. Et nous allons entamer une révolution citoyenne pour nous réconcilier avec la nature et établir entre nous des principes d’équité et de respect mutuel. Le contraire de ce que vous faites. »
Notes
[1] Il faut ici rappeler le célèbre article 544 du Code civil, qui définit la propriété comme « le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ». Jusqu’au XXe siècle, ce droit de propriété a exclu tous les autres, dans les limites des règlements existants. Au-delà des seuls bien « naturels », pour protéger les écosystèmes que constituent la santé ou l’éducation par exemple, à la fois du marché (de ses intérêts et aveuglements), mais aussi de l’État (trop souvent dominé par les lobbies), on peut à la suite d’Ostrom proposer de les traiter comme des « communs sociaux » – une manière aussi d’en permettre un accès universel, et de veiller à ce que les plus démunis n’en soient pas écartés. Un exemple : l’eau déclarée bien commun, gratuit jusqu’à une certaine quantité, par la municipalité de Naples, suite aux travaux de la Commission Rodota, installée en 2007 en Italie par le gouvernement Prodi.
Ndlr : comment réussir cette mobilisation de tous sans médiation ? ACT
À Beyrouth, une querelle entre un chrétien et un Palestinien rouvre les blessures de la guerre civile... Réalisé par Ziad Doueiri ("Dérapages", "Baron noir"), un film de prétoire efficace, qui a suscité un vif débat au Liban.
Dans le Beyrouth des années 2010, Toni Hanna, garagiste et fervent partisan des Phalanges chrétiennes, claque sa porte au nez de Yasser Salamé, un contremaître palestinien venu lui signaler que sa gouttière se déverse dans la rue. Puis il casse la dérivation opérée depuis l'extérieur sur les instructions de Salamé, lequel, furieux, l'insulte. Hanna exige des excuses auprès du patron du contremaître, qui cherche à arranger les choses, l’incident, dans ce quartier chrétien, pouvant mettre en danger le vaste chantier de remise aux normes dont il a la charge. Mais quand, à contrecœur, Salamé se présente, Hanna lui crache au visage sa haine des Palestiniens. L'autre le frappe, lui brisant deux côtes. Le conflit s'envenime, jusqu'à un procès qui enflamme la ville.
Vérités douloureuses
Avec son chœur d'impeccables acteurs, Kamel el-Bacha (Salamé) et Adel Karam (Hanna) en tête, Ziad Doueiri signe un film de prétoire efficace et tendu, qui a suscité au Liban un débat explosif, mais aussi un engouement public phénoménal. Sur fond de blessures de guerre enfouies et de divisions sciemment entretenues par la classe politique, le réalisateur de Dérapages et de Baron noir traite frontalement de la poudrière communautaire libanaise. Exhumant, entre autres vérités douloureuses, le massacre oublié de villageois chrétiens, en 1976, ce film libère la parole avec une forme de jubilation.
Réalisation : Ziad Doueiri
Scénario : Ziad Doueiri Joëlle Touma
Production : Tessalit Productions Rouge International Ezekiel Films Scope Pictures Douri Films
Producteur/-trice : Antoun Sehnaoui Jean Bréhat Rachid Bouchareb Julie Gayet Nadia Turincev
Image : Tommaso Fiorilli
Montage : Dominique Marcombe
Musique : Eric Neveux
Avec : Adel Karam (Toni Hanna) Kamel El Basha (Yasser Salamé) Camille Salameh (Wajdi Wehbé) Diamand Abou Abboud (Nadine Wehbé) Rita Hayek (Shirine Hanna)
Pays : France Liban
Année : 2017
Dossier
Les entretiens de 2018
Entretien
Chantal Mouffe : “Il est temps de construire une nouvelle frontière politique”
Chantal Mouffe en 2018 © Édouard Caupeil
À force d’affirmer qu’“il n’y a pas d’alternative”, les peuples se fatigueront de la démocratie. C’est l’avertissement lancée par Chantal Mouffe, bien avant que n’émergent les régimes autoritaires de Trump, Poutine ou Erdogan. Et la philosophe belge, inspiratrice de Podemos et de la France insoumise, d’y opposer un “populisme de gauche” – le titre de son livre à paraître à la rentrée. Nous sommes allés nous confronter à celle qui fait du conflit l’essence même du politique.
Chantal Mouffe
Philosophe belge, elle a développé le concept de « démocratie radicale » et est l’une des inspiratrices des mouvements Syriza, Podemos et Nuit Debout. Coauteure de Hégémonie et Stratégie socialiste (Les Solitaires intempestifs, 2009), elle vient de publier L’Illusion du consensus (Albin Michel).
Publié dans
n°122
Septembre 2018
Tags
Chantal Mouffe, Populisme, Démocratie, Podemos, Agonistique
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Pour qu’il y ait une lutte agonistique, il faut qu’il y ait ce que j’appelle un « consensus conflictuel ». Tout échange implique qu’on soit d’accord sur ce sur quoi l’on va discuter. En démocratie, on reconnaît que les principes éthico-politiques sont la liberté et l’égalité pour tous. Le dissensus porte sur la définition et l’extension de ces principes. Dans le cas du Rassemblement national, c’est surtout le « pour tous » qui pose problème. Marine Le Pen prétend défendre les principes républicains, sauf qu’elle ajoute « oui, mais seulement pour les Français ». Pour autant, je ne pense pas qu’on puisse faire d’elle une antirépublicaine. Si c’était le cas, on ne devrait pas lui permettre de se présenter aux élections. En tout cas, je suis convaincue que l’on doit s’adresser à ses électeurs pour essayer de les orienter vers un projet populiste de radicalisation de la démocratie. Au lieu de considérer qu’ils sont perdus pour la gauche.
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l’agonisme – du mot agôn qui, en grec, veut dire « lutte », « compétition »…
Oui, l’agonisme confronte des opposants qui savent qu’ils ne pourront jamais se mettre d’accord et luttent pour imposer leur hégémonie. Cela dit, ils se ne considèrent pas pour autant comme des ennemis à abattre mais comme des adversaires qui se reconnaissent le droit de défendre leurs idées. Dans une démocratie vivante, il y a, par exemple, des positions irréconciliables entre défenseurs de la liberté et défenseurs de l’égalité, mais on peut mettre en forme ce conflit grâce à des institutions qui permettent l’expression du pluralisme.