Dossier
Les entretiens de 2018
Entretien
Chantal Mouffe : “Il est temps de construire une nouvelle frontière politique”
Chantal Mouffe en 2018 © Édouard Caupeil
À force d’affirmer qu’“il n’y a pas d’alternative”, les peuples se fatigueront de la démocratie. C’est l’avertissement lancée par Chantal Mouffe, bien avant que n’émergent les régimes autoritaires de Trump, Poutine ou Erdogan. Et la philosophe belge, inspiratrice de Podemos et de la France insoumise, d’y opposer un “populisme de gauche” – le titre de son livre à paraître à la rentrée. Nous sommes allés nous confronter à celle qui fait du conflit l’essence même du politique.
Chantal Mouffe
Philosophe belge, elle a développé le concept de « démocratie radicale » et est l’une des inspiratrices des mouvements Syriza, Podemos et Nuit Debout. Coauteure de Hégémonie et Stratégie socialiste (Les Solitaires intempestifs, 2009), elle vient de publier L’Illusion du consensus (Albin Michel).
Publié dans
n°122
Septembre 2018
Tags
Chantal Mouffe, Populisme, Démocratie, Podemos, Agonistique
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Pour qu’il y ait une lutte agonistique, il faut qu’il y ait ce que j’appelle un « consensus conflictuel ». Tout échange implique qu’on soit d’accord sur ce sur quoi l’on va discuter. En démocratie, on reconnaît que les principes éthico-politiques sont la liberté et l’égalité pour tous. Le dissensus porte sur la définition et l’extension de ces principes. Dans le cas du Rassemblement national, c’est surtout le « pour tous » qui pose problème. Marine Le Pen prétend défendre les principes républicains, sauf qu’elle ajoute « oui, mais seulement pour les Français ». Pour autant, je ne pense pas qu’on puisse faire d’elle une antirépublicaine. Si c’était le cas, on ne devrait pas lui permettre de se présenter aux élections. En tout cas, je suis convaincue que l’on doit s’adresser à ses électeurs pour essayer de les orienter vers un projet populiste de radicalisation de la démocratie. Au lieu de considérer qu’ils sont perdus pour la gauche.
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l’agonisme – du mot agôn qui, en grec, veut dire « lutte », « compétition »…
Oui, l’agonisme confronte des opposants qui savent qu’ils ne pourront jamais se mettre d’accord et luttent pour imposer leur hégémonie. Cela dit, ils se ne considèrent pas pour autant comme des ennemis à abattre mais comme des adversaires qui se reconnaissent le droit de défendre leurs idées. Dans une démocratie vivante, il y a, par exemple, des positions irréconciliables entre défenseurs de la liberté et défenseurs de l’égalité, mais on peut mettre en forme ce conflit grâce à des institutions qui permettent l’expression du pluralisme.