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Six ans après avoir cédé à l'américain GE les turbines Arabelle, qui équipent les centrales nucléaires d’EDF, le gouvernement tente de les récupérer. Au nom du maintien de la filière nucléaire, EDF est à nouveau sollicité. Pendant ce temps, un nouveau plan social est lancé à Belfort.
Mots-clés Alstom ; EDF General Electric industrie nucléaire social
Les discussions se déroulent dans la plus grande discrétion. Après avoir accepté d’en céder le contrôle à General Electric en 2014, l’État est à la manœuvre pour tenter de récupérer les turbines Arabelle. Cet acronyme – le « A » réfère à Alstom et « bel » à Belfort, le berceau de la société – désigne la plus fiable des turbines à vapeur pour le nucléaire, sept mètres de diamètre et 4 000 tonnes, qui équipe à la fois un tiers des centrales nucléaires dans le monde, dont celles d’EDF, les sous-marins à propulsion nucléaire et le porte-avions Charles-de-Gaulle.
Conçues par Alstom, elles sont toujours fabriquées à Belfort, désormais par General Electric. Mais aujourd’hui, le conglomérat américain, mis à mal par la pandémie, sous pression de ses actionnaires, veut vendre cette activité, rachetée avec toute la branche énergie d’Alstom.
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garantir la souveraineté nationale ... « L’État français a un droit de regard sur les orientations stratégiques de cette industrie qu’il ne peut abandonner », ajoute Jean-Marie Girier, ancien conseiller de Gérard Collomb à l’intérieur, puis directeur de cabinet de Richard Ferrand à l’Assemblée nationale, devenu préfet du Territoire de Belfort en juillet. Il ne s’est pas plus étendu sur le sujet lors de son point de presse. ... l’unique action dont l’État dispose dans la société Geast, créée par Alstom et General Electric en 2014 pour regrouper les activités nucléaires de l’entreprise avant leur transfert aux Américains. Revenant sur les accords négociés en 2014 par Arnaud Montebourg ... son successeur, Emmanuel Macron, alors ministre de l’économie, avait jugé préférable de se contenter d’une seule action préférentielle ... Autre garde-fou, l’État conserve, à travers une autre société dédiée, une licence sur les droits de propriété intellectuelle des technologies Alstom existantes et à venir, dont, bien sûr, Arabelle ... La vente de la branche énergie d’Alstom, et notamment de ses activités nucléaires, est le dossier industriel qui hante toute la présidence d’Emmanuel Macron. Elle est devenue le symbole d’un bradage, d’une perte de contrôle industriel, de la désindustrialisation française. Nombre de craintes se sont révélées fondées. Juste après la vente, finalisée fin 2015, General Electric a démontré où était le pouvoir désormais. Le groupe américain a exercé une pression gigantesque sur EDF en cessant quelques jours la maintenance des centrales nucléaires en février 2016, afin de lui imposer un contrat plus avantageux, et notamment de réduire sa responsabilité financière en cas d’accident. Un précédent existait. Pour faire payer à la France son opposition à la guerre en Irak en 2003, les États-Unis avait alors cessé plusieurs mois les opérations de maintenance et la fourniture de pièces pour les catapultes mécaniques du porte-avions français. ... Signe que les discussions sont désormais bien engagées, Hugh Bailey, directeur général de General Electric France, a été désigné président du conseil d’administration de Geast il y a quelques semaines. Un interlocuteur que l’État connaît bien. Il était notamment conseiller d’Emmanuel Macron à Bercy quand celui-ci a autorisé le rachat d’Alstom. Il a rejoint ensuite General Electric en 2017, avant de prendre la tête de l’entité France en avril 2019, un mois avant l’annonce par le groupe de la suppression de 1 000 emplois, dont 800 dans l’entité turbines à gaz de Belfort.
Malgré un avis favorable de la commission de déontologie de la fonction publique, qui a validé ce pantouflage à condition qu’il cesse tout contact professionnel avec ses anciens collègues de Bercy, Hugh Bailey est visé en septembre 2019 par une enquête qui suit son cours pour « prise illégale d’intérêts »
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Deux options sont sur la table et seraient toujours en arbitrage. L’une d’elles est portée par Frédéric Pierucci, ancien patron de la branche chaudières d’Alstom, donc nucléaire. Il connaît très bien son dossier et le marché. Il est aussi au cœur du scandale Alstom. Arrêté par le FBI en avril 2013 à New York dans le cadre d’une enquête pour corruption d’Alstom en Indonésie – « une affaire où il n’a jamais touché un centime », a-t-il maintes fois expliqué –, il a passé 25 mois dans les prisons américaines. Dans cette affaire, il estime avoir été un otage économique dans une opération judiciaire permise par l’extraterritorialité du droit américain, visant à affaiblir l’entreprise française pour faciliter la cession de sa branche énergie à General Electric.
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L’Élysée serait plutôt sur une autre piste et, quitte à forcer la main, insisterait pour privilégier un rachat par EDF via sa filiale Framatome, qu’il détient à 75,5 %. Problème : l’électricien, qui doit déjà éponger la faillite d’Areva, n’a aucune envie de reprendre toutes les sociétés en difficulté travaillant dans le nucléaire. L’électricien souligne qu’il est déjà fortement sollicité par son projet Hercule ... Certains soupçonnent même que l’État ne lui donnera pas le choix, n’hésitant pas à lui tordre le bras comme il l’a fait pour le renflouement d’Areva, la construction d’Hinkley Point ou le projet Hercule. ... « EDF attendait un signal fort, ce signal est venu », confie un parlementaire au fait du dossier. Lors de sa visite au Creusot du 8 décembre sur le site de Framatome, qui forge les éléments lourds de l’îlot nucléaire des centrales, Emmanuel Macron a rappelé que « le nucléaire restera la pierre angulaire de notre autonomie énergétique ». Outre l’annonce de la construction d’un nouveau porte-avions à propulsion nucléaire, il a confirmé sa volonté de voir construire six nouveaux EPR en France. Cela est sans doute censé rassurer EDF : cette possible acquisition « forcée » est supposée devenir plus acceptable grâce aux perspectives de marché qu’offre le renouvellement du parc nucléaire à courte échéance. La semaine dernière, la direction d’EDF a présenté au comité social et économique un nouveau calendrier pour le lancement de nouveaux projets de construction d’EPR : il prévoit d’en lancer dès la fin 2022, au lieu de 2023. ... Marie-Guite Dufay, présidente de la région Bourgogne-Franche-Comté ... plaide aussi, avec d’autres élus locaux, pour que l’État, via Framatome, se porte acquéreur de l’ensemble de la branche énergie de General Electric. Ce qui inclurait donc, outre le nucléaire, les activités hydroélectriques et gaz. Ce qui, en quelque sorte, reviendrait à rétablir la situation qui préexistait avant la vente à General Electric.
Mais cela ne semble pas du tout faire partie des plans de l’État ... nouveau plan social décidé par General Electric. ... se désengager de la construction de centrales à charbon qui n’ont plus d’avenir. L’entité manufacturière de production de la turbine Arabelle et des alternateurs, située à quelques pas, n’est presque pas touchée. ... Mais les compétences charbon sont presque les mêmes que celles nécessaires à la technologie nucléaire, qui produit aussi de l’électricité avec de la vapeur d’eau, font valoir les salariés ... Christian Mougenot, délégué CFDT chez Steam ... on a une réorganisation de service quasiment tous les ans ... Laurent Humbert, CFE-CGC ... proposer une solution globale de cohérence industrielle, de mutualiser des compétences proches et complémentaires et, surtout, de les maintenir, même quand des creux de charge ... Mais pour Laurent Humbert, il ne fait aucun doute que l’État, compte tenu de sa place dans Geast, a déjà validé le plan social entraînant la suppression de 238 postes à Belfort. ... General Electric est pressé. En 2018, en raison d’un retournement du marché, le groupe a déprécié à hauteur de 23 milliards de dollars sa branche énergie achetée 12 milliards d’euros à Alstom en 2015. Sa cotation boursière s’est effondrée. Ses activités aéronautiques sont lourdement frappées par la crise du coronavirus. À la suite d’une enquête de la SEC, gendarme de la bourse américaine, pour une suspicion de fraude comptable, General Electric vient d’accepter de payer une amende de – seulement – 200 millions de dollars.
Aujourd’hui, le conglomérat américain n’a plus guère d’intérêt pour les activités industrielles de l’ex-Alstom en France, après avoir centralisé tous les contrats de maintenance, les brevets, les commandes en Suisse ... ne garder que des gens qui vont vendre des pièces détachées. C’est la stratégie de GE en Europe », constate Laurent Santoire, délégué syndical central au comité européen de General Electric pour la CGT. « Les centrales nucléaires se regardent au siècle. Il faut donc des entreprises qui ont des compétences au siècle, pas au trimestre. Et quand on casse des compétences que l’on a mis un siècle à construire, on n’a plus rien. Quand on demande à quelqu’un de rentrer dans une centrale et qu’il n’a pas les plans de ce qui a été fait il y a 30 ans, il fait quoi ? », s’alarme le syndicaliste.