19 recommander - 17 commentaires
Au-delà de ses racines archaïques, la domination patriarcale s'est progressivement sédimentée à travers des institutions historiques spécifiques. Ainsi, les processus de domestication, l'émergence de la propriété privée et des premières organisations étatiques, l'imposition d'un modèle familial patriarcal, sont venus renforcés la différenciation sexuée et l'oppression féminine.
« Au meilleur de ses capacités, l’histoire est à mon avis la discipline la plus subversive parce qu’elle nous révèle comment les choses que nous tenons pour évidentes sont réellement advenues » James C. Scott
...
Sédentarisation, révolution agricole et accentuation de l’exploitation
...
Avec la sédentarisation, « c’est l’ensemble du vivant qui se trouve domestiqué : paysages, animaux, plantes, mais aussi êtres humains, dont l’organisation socio-économique apparaît de plus en plus genrée » (Christelle Taraud)
...
Emergence de la propriété, des inégalités statutaires et d’un ordre idéologique patriarcal
...
Une organisation familiale patriarcale
...
« Parce qu’il voulait, le pater - patriarcat oblige-, que son patrimoine soit transmis à son fils, plutôt qu’au fils du voisin, ou du facteur ou du plombier…Cette obsession patrimoniale l’a conduit à contrôler, de fond en comble et surtout de « con en fomble », comme disait Boris Vian, l’accès au sexe de leur femme….Le pater a si bien assumé ce rôle qu’il est devenu…le roi des cons » (Dany-Robert Dufour)
...
Émergence de l’État et domestication patriarcale
"Distinguons donc deux modes de relations, que nous appellerons, faute de mieux, la relation de sujet à objet et celle de sujet à sujet. Il s'agit de deux grandes familles d'attitudes que nous sommes capables d'adopter vis-à-vis de l'autre, quel qu'il soit, et qui mobilisent des facultés cognitives distinctes. Dans le premier mode de relation, lorsque l'autre se voit attribuer un statut d'objet, sa valeur à nos yeux ne dépend que des services qu'il peut nous rendre. Nous le faisons entrer dans un calcul utilitaire de type coût/bénéfice dont le résultat détermine notre attitude à son égard. Dans les relations de sujet à sujet, au contraire, l'autre dispose d'une valeur intrinsèque, indépendant de nos intérêts. Nous lui reconnaissons une forme d'intériorité et nous tenons spontanément compte de son point de vue, de son tempérament et de ses motivation" Alessandro Pignocchi, "Mythopoïèse"
...
« en Mésopotamie, au troisième millénaire avant notre ère, un idéogramme signifiant « esclave » combinait le signe de la « montagne » avec le signe de la « femme », en référence aux femmes capturées lors d’incursions militaire dans les hautes terres ou peut-être troquées par des trafiquants d’esclaves en échange de biens marchands ».
« A Uruk, la seule institution esclavagiste importante et documentée semble avoir été les ateliers textiles supervisés par l’État, qui employaient jusqu’à neuf mille femmes (…) Les rangs de la main-d’œuvre textile étaient essentiellement peuplés de femmes et de jeunes gens capturés en temps de guerre, ainsi que des épouses et des enfants de sujets endettés ».
...
le patriarcat serait une des conditions nécessaires à la création des bureaucraties étatiques, à travers un processus conduisant de sociétés relativement égalitaires à des organisations sociales complexes, au sein desquelles règnent la violence organisée, les inégalités de classe, la domination masculine instituée, etc., - le tout enrubanné dans un récit justifiant cet état de fait, de nature à la fois juridique, politique et théologique. Au final, l’évolution de la reproduction communautaire et des structures de production s’accompagne d’une coercition masculine qui devient collective, intégrée dans des corpus discursifs et idéologiques, ou des injonctions sociales instituées, au-delà de toute implication biologique, physiologique, éthologique ou cognitive.
...
du côté de la sphère publique, les femmes se voient réduites à l’état de biens consommables et de marchandises : « l’échange de femmes entre des groupes voisins a longtemps fait partie des négociations politiques dans les sociétés patriarcales ».
...
Institution de l’inégalité et de la domination
... cette matrice patriarcale primaire ayant permis l’extension tragique de la coercition féminine et l’instauration de gradients d’humanité est sans doute le ferment de toutes les formes ultérieures de domination, d’asservissement, d’exploitation, etc. Dès lors, comment ne pas souscrire à ces questionnements formulés par David Graeber et David Wengrow : « pourquoi Homo Sapiens a-t-il laissé s'installer des systèmes inégalitaires rigides et permanents après avoir monté et démonté des structures hiérarchiques pendant des millénaires ? » « Comment avons-nous pu renoncer à une si grande part de la souplesse et de la liberté qui semblaient caractériser nos premières sociétés pour finir englués dans des relations de domination et de subordination permanentes ? ».
...
la sphère du soin s’est sans doute trouvée pervertie et détournée pour devenir un fondement de la coercition
...
La marchandisation de l’humain permet un passage de la domination, ou de l’oppression, à l’exploitation
...
Photo En 1982, des manifestantes contre l'installation de missiles nucléair se sont unies pour encercler la base américaine de Greenham Common, en Angleterre. ©AFP - UPI
Depuis les années 1970, à Plogoff, Greenham Common, Fessenheim, Fukushima, en passant par Bure, des femmes se sont constituées en collectifs et ont mené des actions antinucléaires pour alerter sur les conséquences de cette technologie et dénoncer un projet antidémocratique et patriarcal.
Dans le cadre de notre semaine avec Pénélope Bagieu, nous nous intéressons aux liens entre luttes des femmes et nucléaire.
Dans les luttes antinucléaires, des mouvements et collectifs de femmes se sont constitués en opposition à cette puissance nucléaire, qu’elle soit civile ou militaire.
Si certaines de ces femmes ne se définissaient ni comme féministes, ni comme écologistes comme à Plogoff dans les années 1970, certains mouvements dans les années 80 comme aux États-Unis avec le Women’s Pentagon Action ou en Angleterre avec Greenhman Common se revendiquaient comme féministes, non-mixtes et avec des modes d’actions bien particuliers. Ces mouvements de femmes anti-nucléaires sont polymorphes et pluriels, ils se réinventent aujourd'hui à travers de nouveaux terrains de lutte et de nouvelles formes de militantisme, notamment à Bure, lieu d’enfouissement des déchets nucléaires.
Pourquoi des luttes féministes se sont rattachées historiquement à la lutte antinucléaire ?
Pourquoi le nucléaire s'impose comme un véritable symbole du patriarcat ?
Ces mouvements sont une recherche d’antidote qui vont s’opposer au nucléaire en développant des formes de performances, de poésies, d’art, pour faire raisonner des enjeux civilisationnels et existentiels, et critiquer cette technologie identifiée comme mortifère.
Chants, danses, slogans, tels que “sorcière, vénère, anti-nucléaire”, réunions d’information jouant sur le bouche-à-oreille, occupation de forêts, les moyens de lutte des écoféministes antinucléaires cherchent à se réinventer et à donner une tonalité non-violente.
À lire aussi : Comment la BD "Le monde sans fin" est devenue le livre le plus vendu de l’année
Cette lutte féministe antinucléaire n’a pas toujours été non-violente. Françoise d’Eaubonne, l’écrivaine qui a pensé le néologisme « écoféministe » participe en 1975 à poser des bombes artisanales sur le chantier de la centrale nucléaire de Fessenheim dans le Haut-Rhin, cela qui cause des dégâts et retarde la construction de plusieurs mois.
Quel est le lien entre le féminisme et la lutte contre le nucléaire ?
Les femmes sont en effet parmi les adversaires les plus actives, et les plus critiques, de l'énergie nucléaire. Comment expliquer la persistance de ce mouvement social, féministe et antinucléaire ?
La journaliste Jade Lindgaard explique : « C'est peu connu en France. Mais dès les années 1970, aux États-Unis, et en Grande-Bretagne, des mouvements féministes, anti-nucléaire se développent. Ils sont très populaires, et très actifs. Le lien entre être féministe et être antinucléaire pour ces femmes ? À l'époque, c'est principalement deux choses. Le nucléaire est considéré comme l’incarnation et la célébration du patriarcat. C’est une énergie brutale et hiérarchique, opaque, sur laquelle on n'a aucune prise, qui vous écrase, vous marche dessus, et ne vous laisse pas votre mot à dire.
Par ailleurs, le nucléaire est souvent à l'époque géré par des hommes. C’est un milieu pas féminin. La différence avec aujourd'hui : ce sont des mouvements pacifistes. À la fin des années 1970, au début des années 1980, à la fin de la guerre froide, naît une tension sur la question de la présence de missiles nucléaires, soviétiques, et étasuniens. Il y a vraiment la peur d'une troisième guerre mondiale qui serait une guerre nucléaire.
Des femmes plus ou moins anti-capitalistes, plus ou moins anarchistes se réunissent autour du refus de la mort par la bombe nucléaire. Le lien entre féminisme et anti-nucléaire se fait alors sur la question de la vie. C'est un enjeu d'existence. Face à un enjeu existentiel, il n'y a pas de compromis. Donc on occupe, on bloque, on sabote… C’est une bataille vitale. »
Et aujourd’hui ?
L’activiste Pauline Boyer estime que le sujet est toujours d’actualité : « Ces arguments et les références à la vie sont toujours valables aujourd'hui. D’autant plus que nous sommes dans une période cruciale par rapport aux choix que l’on va faire pour faire face au dérèglement climatique, à l'effondrement de la biodiversité et aux crises sociales qui existent… Le choix de relancer le nucléaire imposé par le gouvernement revient à imposer un système qui ne répond pas du tout aux besoins de la société aujourd'hui. Donc, aujourd'hui, nous sommes dans une même dynamique de violence verticale. Dès que quelqu'un émet une critique sur l'énergie nucléaire arrive un déchaînement de violence, en tout cas sur la question du réchauffement.
Il faut aussi regarder quels sont les effets secondaires du nucléaire avec la production de déchets radioactifs, avec la menace nucléaire, la menace d'accident nucléaire qui n'est pas un fantasme. On a affaire à Three Miles Island, Tchernobyl, Fukushima… On sait que ça peut arriver ! Et puis, le dernier rapport du GIEC nous dit qu’il faut réduire de moitié nos émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030. Antonio Guteres dit que les pays développés doivent tout faire pour atteindre la neutralité carbone en 2040.
Aujourd'hui, on met 15 à 20 ans à construire une centrale nucléaire. On est complètement hors délai. C’est une excuse pour l'inaction climatique du gouvernement. Il prétend agir alors qu’il propose une solution basée sur un fiasco industriel français. Flamanville après quinze ans de chantier et une multiplication des coûts par six, ne fonctionne toujours pas. C'est une solution qui est beaucoup trop lente face à l'urgence climatique. Il y a un risque. L’activiste Marge Piercy disait : « Comment comprendre quelque chose qui ne vous tue pas aujourd'hui ou demain, mais lentement, de l'intérieur pendant 20 ans ? Comment concevoir qu'un choix industriel, ou gouvernemental, signifie que nous soyons porteurs de gènes difformes et que nos petits-enfants seront mort-nés si nos enfants ont de la chance ? Des études faites sur les populations, notamment de Tchernobyl, effectuées à l'hôpital de Novossibirsk qui est à 200 kilomètres de Tchernobyl montrent que les adultes ont 50 % de maladies respiratoires de plus que la moyenne de la Fédération de Russie. Donc, dans le temps, les impacts sont avérés. »
La suite est à écouter...
On en parle avec :
- Jade Lindgaard, journaliste au pôle écologie de Mediapart, spécialiste des questions environnementales
- Pauline Boyer, activiste climat et chargée de campagne sur la transition énergétique pour Greenpeace. Co-autrice du Manifeste pour la non-violence , Edition Charles Léopold Mayer
Noé François a retweeté
Mickaël Correia @MickaCorreia · 6h Pour @Mediapart, j'ai interviewé la passionnante chercheuse Drapeau des États-Unis en sciences politiques Cara Daggett qui propose une lecture féministe du climato-scepticisme.
#Patriarcat #Féminisme
«Le genre et la sexualité structurent la question climatique»
Chercheuse américaine en sciences politiques, Cara Daggett propose une lecture féministe du climato-scepticisme. À travers le concept de « pétro-masculinité », elle démontre en quoi les énergies...
mediapart.fr
0 - 17 - 37