Marche contre l'antisémitisme, 19 novembre 2023, Paris. ©AFP - Xose Bouzas / Hans Lucas
À chaque fois, le mécanisme est le même. D’abord, le trauma. Charlie Hebdo, en janvier 2015. Samuel Paty, en octobre 2020. L’émotion est immense et sincère.
Le coup de projecteur donné sur la majorité silencieuse rassure. On pense assister à un sursaut. En vérité, à l’échelle individuelle, la terreur accomplit son travail. À l’échelle individuelle, la trouille s’installe, et on l’appelle résilience. Depuis Charlie, soyons lucides, le droit au blasphème n’existe plus qu’en théorie. Et depuis Paty, de plus en plus de professeurs disent s’être auto-censurés : jusqu’à 64% des profs d’histoire-géo selon l’IFOP. Personne ne veut s’effacer, mais personne ne veut se faire traiter injustement d’« islamophobe ». Ni subir des menaces. Et personne – croyez-moi – ne veut passer des nuits à se demander : « à partir de quand faut-il que je m’inquiète » ? C’est ainsi qu’à chaque trauma collectif, la peur progresse. Et je crains que nous soyons encore en train de vivre un de ces moments.
Un effacement de beaucoup de Français juifs
La flambée inédite d’actes antisémites que nous vivons depuis le 7 octobre est en train d’entraîner un effacement de beaucoup de Français juifs : ils cachent tout ce qui pourrait leur attirer des menaces, des coups, voire pire. Et je ne vous parle pas seulement de signes d’appartenance religieuse, non : ils retirent jusqu’à leur nom de famille des boîtes aux lettres, ou des applications commerçantes. Écoutez cette info que nous avons publiée dans L’Express : chez Grasset, une rescapée des camps de la mort a fait retirer le mot « juive » du titre de son livre à paraître. Elle était trop terrorisée pour associer son nom et sa photo à ce qualificatif.
J’espère me tromper, mais je pense que cet effacement restera, en grande partie. À chaque fois que la peur se diffuse, elle ne repart pas. Et c’est ainsi que la norme des plus belliqueux progresse. Car tous les combats culturels sont des combats normatifs. Les minorités vindicatives font l’histoire, non par la force du nombre, mais par l’intimidation qu’elles exercent sur les plus nombreux.
Parler aux jeunes
Que faire face à cela ? D’abord, être chaque fois plus à faire entendre la voix de la majorité. Sur ce point, l’optimisme est permis. Politiques, professeurs, citoyens… la société rompt de plus en plus le silence. Ensuite, et c’est peut-être le point le plus important : il faut parler aux enfants ; aux ados. Il faut leur apprendre nos lois, nos principes et nos mœurs. Il faut leur expliquer la laïcité et l’universalisme sans s’excuser, sans avoir honte, et sans se reposer uniquement sur l’école. Nous, les adultes, nous avons la responsabilité d’éduquer. Cela paraît peut-être un truisme dit comme ça, mais j’ai l’impression que ça ne coule plus toujours de source. Les enfants sont notre avenir. Ne le gâchons pas.
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