Elles s'appellent la patience, la discrétion, l'affabilité, la bonhomie, la placidité, le silence... Le philologue Carlo Ossola et le philosophe Roger-Pol Droit expliquent combien elles sont essentielles pour atteindre en société une sagesse à la fois individuelle et collective.
Invités de l'émission "Grand Bien Vous Fasse", Carlo Ossola, philologue et historien au Collège de France et Roger-Pol Droit, philosophe, écrivain, chercheur et chroniqueur au Monde expliquent, au micro d'Ali Rebeihi, en quoi ces vertus qui nous sont communes sont plus que jamais nécessaires dans une société et ce quelles sont exactement.
Pourquoi la vertu rend-elle meilleur ?
Pour l'expliquer, Roger-Pol Droit fait un petit détour historique pour expliquer que la mise en place de l'idée de vertu morale provient directement des Grecs : "Le mot que nous traduisons par vertu, et à tort, c'est le mot grec "Arété" qui peut être traduit par l'adaptation parfaite, l'excellence.
Pour les Grecs, c'est la plénitude de la fonction d'un être ou d'un objet.
Et la mise en place des vertus, d'après notre sens moral, c'est à partir de Socrate, puis de Platon et d'Aristote qu'il prend le sens qu'on lui prête aujourd'hui, tout un catalogue de l'éthique qui pose la question : 'quand est-ce qu'un être humain atteint sa plénitude et quand est-ce qu'une société humaine fonctionne comme il faut ?'"
Carlos Sola explique, lui, que "l'homme est un animal fait pour la société, un animal sociable. C'est pourquoi il lui faut commencer par négocier d'abord avec lui-même, pour créer l'espace propice à une vie tranquille qui va permettre de ne pas gêner les autres".
La vertu, c'est avoir le plus d'amour possible dans le moins d'espace possible.
Roger-Pol Droit cite alors ce qu'il considère comme "la maxime fondatrice de l'éthique" : Le "Après vous, je vous en prie", qu'il emprunte à Emmanuel Lévinas et dans laquelle réside, selon lui le principe du "c'est l'autre qui compte d'abord", bien plus qu'une simple affaire de politesse qui consiste à simplement laisser passer.
'L'autre d'abord' est l'attitude la plus fondamentalement humaine.
Le philosophe insiste sur l'idée que "la vertu est vitale aux sociétés humaines. Si elle néglige ces vertus, une société risque d'être uniquement basée sur la compétition et se condamne à court terme".
Parmi les douze vertus que le philologue au Collège de France, Carlos Solas, traite dans son dernier ouvrage, Les Vertus communes (édition des Belles Lettres) voici celles sur lesquelles il s'est arrêté, au micro d'Ali Rebeihi, et qui constituent, selon lui, les plus essentielles pour faire preuve d'un minimum d'éthique dans nos comportements de tous les jours :
La patience
CS : "On ne peut pas exercer les autres sans la patience. La patience signifie en latin la capacité d'assumer et de savoir subir aussi.
Sans elle, on ne peut pas pratiquer les autres.
L'affabilité
Si la patience est la vertu de base, le philologue considère l'affabilité comme celle qui contribue le plus grandement à toutes les autres vertus :
"Parce que si on n'est pas capable de parler avec autrui, explique-t-il, il y a plus de contexte humain, il n'y a plus de société. L'affabilité, c'est la capacité de mesurer notre parole et l'attention de l'interlocuteur est absolument fondamentale. Autrement, on parlerait dans le désert, dans le vide... Mais je vois mal cela dans nos sociétés de millions et millions d'habitants qui nous croisent dans une vie".
La discrétion
Ensuite, si l'affabilité est selon lui "la première des vertus sociales", il considère la discrétion, comme "la première des vertus personnelles" :
Si elles sont si difficiles à pratiquer au quotidien c'est justement parce que, d'après lui, "ces petites vertus sont toujours invisibles". Et l'être humain fonctionne beaucoup par mimétisme. Nous imitons plus volontiers ce que nous voyons. D'où, effectivement, le rôle de prêter attention aux choses discrètes. D'où aussi le rôle des sociétés de mettre en avant ces vertus discrètes plutôt que de récompenser finalement les plus bruyantes, les plus extraverties, les plus agitées, les plus aptes à l'autopromotion.
Par facilité, nous imitons ce que nous voyons et ce que nous négligeons ce que nous ne voyons pas.
C'est un ancien principe du monde stoïcien classique : savoir distinguer pour faire un choix honnête.
C'est un exercice constant que nous devons faire sur nous-mêmes.
Si pendant des siècles, la discrétion a pu s'apparenter au fait de se dissimuler, de se cacher, de se déguiser, il s'agit en réalité de savoir distinguer les choses pour faire un bon choix, pour mieux exercer notre liberté.
On devient plus discret dans notre vie quotidienne quand on renonce à ce qui n'est pas essentiel dans la vie
La bonhomie
Alors qu'elle sert à qualifier la simplicité dans les manières, la bonté du cœur, la douceur, la simplicité, la bienveillance, c'est peut-être la plus fragile des vertus communes car elle permet de faire abstraction aux gestes de ceux qui savent en jouer :
"Dans les langues latines, c'est une vertu particulièrement difficile parce qu'on sait très bien qu'on peut aussi se moquer de vous mais c'est aussi le meilleur moyen de se défendre si on ne veut pas forcément entrer dans le mauvais jeu d'autrui, dans une compétition qui serait finalement inutile".
Il faut agir en sachant qu'on est méprisé mais c'est aussi une revanche directe. C'est assumer d'ignorer le vice d'autrui tout en passant outre.
La placidité
"Le placide se place au-dessus des ambitions, des rivalités, des emportements, comme une mer calme. Cela ne signifie pas qu'il n'y ait pas de vagues mais il faut toujours essayer de retrouver l'équilibre. La placidité va avec la mesure, c'est une espèce de résultat final.
On revient toujours à la question de la formation, de la civilisation, du contrôle de soi pour un résultat collectif".
L'urbanité
Cette vertu est trompeuse car elle ne se restreint pas uniquement, contrairement à ce qu'on pourrait croire, à l'urbain, au fait d'habiter dans la ville. C'est une vertu beaucoup plus large : Le philologue explique que "c'est la vertu qui consiste à habiter la même ville, le même lieu et d'avoir des obligations communes qui viennent du fait qu'on partage le lieu comme l'espace".
Être urbain, c'est savoir partager cet espace commun, comment donner la priorité aux autres, aux carrefours de la vie.
Le silence
Au même niveau que la discrétion, c'est, selon lui, "la vertu qui est la plus nécessaire de s'approprier" :
Le silence permet de mieux écouter et celui qui a le plus de pouvoir, c'est celui qui s'exprime le dernier et avec peu de mot.
Aller plus loin 🎧 RÉÉCOUTER - Ces vertus quotidiennes qui rendent heureux https://www.franceinter.fr/emissions/grand-bien-vous-fasse/grand-bien-vous-fasse-04-fevrier-2020
Thèmes associés Vie quotidienne philosophie psychologie
La conduite DE réunion est un thème souvent abordé par les spécialistes du management. Lorsqu'il m'a été demandé ( il y a 20ans ) par l'association des BOUTIQUES DE GESTION ( création d'entreprise ) d'intervenir sur ce thème, j'ai refusé considérant que je n'avais rien d'innovant à proposer dans ce domaine, par contre je proposais la CONDUITE EN RÉUNION.
Quel était le besoin ? Apporter à nos porteurs de projet une méthode pour vendre leur entreprise et la pérenniser. Un groupe de chargés de mission, leur directrice et moi-même, en qualité de président, étions confrontés au problème suivant : comment allions-nous travailler ensemble et être innovants sur ce thème ?
Nous étions 8 ... six hommes et deux femmes (loin de la parité souvent créative), d'âges et cultures très différentes. Chacun de nous avait ou pas d'idée sur ce sujet essentiel. Nous avons travaillé individuellement sur l'arborescence de la pensée ( Tony Buzan ) chacun étant parti du thème " Pérennité de la création", a laissé sa pensée suivre ses mots ... à l'écoute de son cerveau. Tel mot évoque pour moi tel autre mot et ce mot à mot nous a conduits chacun en "terrain inconnu", celui de la créativité. Il fallait trouver une méthode pour vendre l'entreprise sans être devenu un commercial. Chacun de nous a partagé son arbre de pensée, chacun a poussé l'autre au-delà de ses mots pour approfondir sa pensée en l'exprimant. Puis le moment venu nous avons "construit un arbre commun" et l'idée de modifier le regard du nouvel entrepreneur sur sa démarche commerciale a émergé, elle devait avoir du sens en établissant la confiance. Il fallait créer du lien avec le prospect et plus tard avec le client en utilisant les postures de la médiation *afin que la vente ne soit plus perçue par les deux parties comme une agression mais l'aboutissement d'une recherche de besoin et la satisfaction de ce dernier.
Vingt ans plus tard, le vice-président du conseil départemental de la Charente et son binôme chargés des politiques solidaires de l'emploi et de l'économie, m'ont proposé d'intervenir devant l'assemblée des développeurs des solidarités du département. Cette demande m'a surpris et valorisé. Surpris par l'humilité des demandeurs, étonné qu'une institution de cette importance fasse appel à la médiation pour apporter un souffle nouveau sur "comment permettre à des structures sociales de produire en commun des idées neuves pour une meilleure insertion ?" Valorisé car cette demande me prouvait que ceux qui la formulaient partageaient ma vision du concept de la médiation bien au-delà de la résolution des conflits.
Aujourd'hui je fais un parallèle entre les deux situations évoquées ci-dessus. Les problématiques se ressemblent : comment produire de l'intelligence collective génératrice de créativité ?
Lors de mon intervention au conseil départemental j'avais à ma droite une chaise vide et devant elle, face au public, un chevalet vierge... je restais silencieux durant deux minutes cherchant les regards curieux ou étonnés dans " l'hémicycle ". Après ce moment blanc, je retournais le chevalet vierge dont l'autre face portait le mot " silence ". Je m'adressais au personnage virtuel assis sur la chaise et le remerciais pour son intervention judicieuse, lui annonçant que je ferais souvent référence à lui dans mes propos à suivre. Je ne sais pas si neuf mois plus tard les participants se souviennent encore de mon interruption volontaire du son... mais je souhaite qu' ils utilisent, sans modération lors de leurs réunions de travail,cet outil de " construction massive " : "LE SILENCE", pour résoudre collectivement un problème.
Pourquoi faire silence en réunion ? Parce qu'il devient un besoin... dans des échanges où chacun pratique l'écoute Pure (réf) la nécessité du silence s'impose. Comment se traduit cette écoute spécifique? Quand l'autre me parle je ne prépare pas ma réponse... je ne cherche pas à savoir si je suis d'accord ou pas ... là n'est pas le sujet. Il s'agit pour chacun d'entrer dans la vérité de l'autre et, pour se faire, de chercher à retenir les mots qu'il a employés ou des phrases pour les lui reformuler avec précision, au mot pour mot, afin de le questionner et qu'il puisse les approfondir et éventuellement se les expliquer à lui-même. Voilà l'utilité du silence. Il est vital pour prolonger l'écoute pure. Il valorise celui qui s'est exprimé car ses propos sont pris en compte, la reformulation fidèle en est la preuve. Un avis, une réponse immédiate prouvent trop souvent que ce qui vient d'être dit n'est pas considéré comme important puisque immédiatement remplacé par ce qui a été pensé lors d'une écoute parasitée par une réflexion personnelle souvent jugeante. Cette attitude de non écoute est extrêmement fréquente et génère le gâchis des nombreuses réflexions individuelles non exploitées. A contrario si chacun prend en compte et approfondit la pensée de l'autre sa propre réflexion en sera enrichie voire modifiée. Ce processus répété génèrera chez chacun des nuances, des modifications contribuant à l'émergence d'idées neuves et pour le groupe l'étonnement de la CRÉATIVITÉ... chacun pouvant dire : je n'aurais pas eu cette idée si j'avais réfléchi seul ...
Réf.1 : postures Médiation " commerciale " : écoute pure - silence - reformulation avec regard et voix bienveillante - questions ouvertes neutres ...
Réf.2 : l'écoute pure selon Peter Fenner docteur en philosophie du bouddhisme.
=>
évaluer + i /TdM ACT