Christophe Mincke 1, 2
1 CES - Centre d'études sociologiques (FUSL)
2 DO-crimino - Direction opérationnelle criminologie
Résumé : La médiation est souvent présentée comme révolutionnaire dans notre société de normes imposées. Sa situation est pourtant ambiguë. D'une part, invoquée à tout bout de champ, elle est devenue une figure obligée des discours sur la normativité, ce dans des domaines multiples. D'autre part, les pratiques résistent et son application est loin de présenter l'ampleur que ces discours semblent lui promettre. Pour comprendre ce fait, il faut s'interroger sur les raisons qui font du discours de médiation un " best seller ", en examinant l'hypothèse d'une possible disjonction entre adhésion au discours et désir des pratiques. Notre contribution sera fondée sur une deuxième hypothèse, celle d'un développement du discours de médiation sur les ruines de la légitimité de ses prédécesseurs, au point de former un nouveau lieu-commun, fondé sur des légitimations aujourd'hui largement adoptées. Plus précisément, il nous semble que le succès discursif de la médiation peut être rapportée à ce que nous appelons, avec B. Montulet, l'idéologie mobilitaire. Celle-ci, caractérisée par une valorisation pour elles-mêmes des mobilités (physiques, sociales, affectives, professionnelles, etc.) nous semble sous-tendre bon nombre de pratiques discursives récentes, dont celle ayant trait à la médiation. Notre intervention se fondera sur notre recherche doctorale (portant sur les rapports des pratiques de médiation pénale à leurs idéaux fondateurs, publiée en 2010) et sur nos travaux actuels sur l'idéologie mobilitaire.
Mots-clés : médiation ; médiation pénale ; mobilité ; idéologie mobilitaire
-> https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00834862v2/document
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la médiation n’est pas née d’un questionnement quant à la nécessité de déplacer certaines frontières, par exemple sous la forme de dépénalisations ou de modifications de la procédure pénale classique. Elle a procédé d’une remise en cause des fondements du processus judiciaire, par exemple dans le cadre de la médiation, au premier rang desquels, la loi – matérielle et procédurale –, instrument premier de l’établissement de circonscriptions spatiotemporelles. La loi serait notamment illégitime du fait de sa logique binaire, aboutissant à séparer l’avant de l’après, le permis de l’interdit, le légal de l’illégal, le valide du non-valide, la victime de l’auteur, etc. Ce n’est pas qu’il conviendrait de déplacer les limites,
c’est que celles-ci, en tant que limites, trahissent la réalité des conflits vécus par les parties, lesquels ne se laissent pas enfermer de la sorte (Mincke 2010, 28–29; McCold 1998, 25; Menkel-Meadow 2003a, 484).
La frontière devient cet élément extérieur, plaqué sur une réalité complexe et mobile et donc une violence faite au réel. Elle contraint ainsi l'individu à entrer dans des moules, dans des catégories, dans des circonscriptions qui l'empêchent de vivre sa nature d'être mouvant au sein d'une réalité mouvante. Car la dignité de l'homme découle de sa capacité d'adaptation et d'invention de soi 17, lesquelles sont incompatibles avec une définition des espaces-temps de la forme-limite.
Émerge une nouvelle conception de ce qui doit être : l'impératif mobilitaire. Dans un monde en mouvement permanent, l'ancrage territorial perd tout son sens et il convient, au contraire, de développer des attitudes volontaristes de mobilité, laquelle est devenue impérative.
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association socio-judiciaire, créée en 1998. Les champs d’intervention de l’AEM sont multiples:
– Mesures socio-judiciaires pénales
– Prévention de la délinquance
– Individualisation des sanctions
– Développement des mesures alternatives (stages)
– Mesures socio-judiciaires civiles
– Résolution amiable des conflits
– Accès aux droits
– Soutien à la parentalité
L’AEM dispose de personnels juristes, médiateurs, psychologues, travailleurs sociaux et de personnels administratifs.
L’AEM est présente dans plusieurs département de France où elle est habilitée par les Cours d’Appel et les Tribunaux de grande instance:
NORD-EST: l’Oise, la Somme, l’Aisne, la Meuse, la Haute Marne, la Saône et Loire.
OUEST: Ille et Vilaine, Charente-Maritime, Charente.
SUD OUEST: Gironde, Landes.
Chaque antenne de l’association a vocation à mettre en œuvre l’ensemble des missions proposées par l’Association.
L’AEM travaille également en lien étroit avec les CAF, les Conseils Départementaux, les Préfectures, et les collectivités locales.
Directeur Général Mr CASOL José.
Président Mr GOISLOT Alain
Siège social 26 rue Voltaire, 60100 CREIL ✆ 05 47 80 81 31 – ✎ siegesocial@assoaem.org
AEM 16
04 rue Carnot 16000 ANGOULÊME ✆ 05 17 20 01 67 – fax: 05 45 69 80 79 - ✎ aem16@assoaem.org
La justice Restaurative :
vecteur d'épanouissement du Système de Justice Pénale
par Robert Cario, Professeur de criminologie
Codirecteur du Master de criminologie
Université de Pau et des Pays de l’Adour (UJP/CRAJ)
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les impératifs du procès équitable ont conduit à offrir à la victime la place qui n'aurait jamais dû cesser d'être la sienne, es qualités d'acteur aux côtés de l'infracteur et du procureur. Il ne peut y avoir de vérité judicaire (co-construite par obligation) sans celle de la victime. Une telle posture ne va pas de soi et nombreuses sont les critiques relatives à la poussée "victimaire" actuelle, source "prétendue" de l'aggravation de la sévérité de la réponse socio-pénale à l'égard des condamnés.
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Inscrite dans un processus dynamique, la Justice Restaurative suppose la participation volontaire de tou(te)s celles et ceux qui s'estiment concerné(e)s par le conflit de nature criminelle, afin de négocier, ensemble, par une participation active, en la présence et sous le contrôle d'un "tiers justice" et avec l'accompagnement éventuel d'un "tiers psychologique et/ou social", les solutions les meilleures pour chacun, de nature à conduire, par la responsabilisation des acteurs, à la réparation de tous afin de restaurer, plus globalement, l'Harmonie Sociale.
L'opérationnalisation des mesures de Justice Restaurative provoque de réelles ruptures épistémiques au bénéfice incontestable du Système de Justice pénale, en totale complémentarité. Dans le modèle de justice pénale actuel, le crime est considéré comme un acte portant atteinte à l'Etat. La justice met exclusivement l'accent sur la responsabilité abstraite de l'infracteur, sur le passé de la faute, dans le but de lui appliquer la peine prévue par la loi. La justice est vue au travers d'une procédure d'opposition entre adversaires, infracteurs et victimes demeurant passifs, voire ignorés. Le droit positif réduit ainsi "la procédure à une question technique". La peine prévue par la loi est juste en elle-même, le respect des règles l'emportant sur les résultats.
Selon la philosophie restaurative, le crime est davantage une atteinte aux personnes et aux relations interpersonnelles. La justice a, par conséquent, pour but d'identifier les besoins et les obligations de chacun des protagonistes. La justice se conçoit comme un processus impliquant, de manière active, toutes les personnes intéressées. Par le dialogue, on encourage réciprocité et partage des émotions. La responsabilisation concrète de tous conduit à la recherche de solutions consensuelles, tournées vers l'avenir et destinées à réparer tous les préjudices. Les résultats, tout autant que le processus, apparaissent ici essentiels, comme l'indiquent les différentes mesures disponibles.
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- Mise en œuvre des mesures de Justice Restaurative
Ces principales mesures sont : la médiation victime - infracteur, la conférence du groupe familial, le cercle de détermination de la peine (ou cercle de sentence). D'autres mesures s'en rapprochent, comme les Commissions vérité-réconciliation (CVR) ou les Cercles de soutien et de responsabilité (CSR). La plupart de ces mesures sont mises en œuvre "en face à face", à tous les stades de la procédure. La gravité des actes importe peu, dès lors que les conditions énoncées plus haut dans la définition sont remplies. Les Rencontres détenus-victimes y occupent une place particulière en ce qu'elles offrent, après condamnation, un dialogue entre un "groupe" de condamnés et de victimes, anonymes.
Elles se déroulent selon un protocole assez proche, à deux conditions préalables près : que l'ensemble du processus soit maîtrisé par un authentique professionnel, dans le cadre d'une préparation très aboutie. Quatre phases sont généralement identifiées : l'éligibilité (du cas, des personnes), la rencontre, la négociation, le suivi de l'accord, avec des variantes parfois importantes selon que la mesure est retenue dans le pré- ou le post-sententiel notamment.
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Les questions du "pourquoi" et du "comment" sont essentielles pour les victimes et leurs proches, mais d'une certaine manière pour les proches de l'infracteur et l'infracteur aussi (en termes de prise en compte des réalités concrètes des victimisations consécutives à son acte).
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Magistrats et acteurs socio-judiciaires considèrent que la complémentarité entre les mesures de Justice restauratrice et celle de la Justice est parfaitement viable, vecteur d'humanisation, facteur de gain de temps pour tous. Ainsi socialisé, le désir de "vengeance vindicative et destructrice" s'estompe pour laisser place au partage, à la réciprocité, à l'intercompréhension, à la vengeance vindicatoire qui rend à nouveau actif, qui permet de reprendre le pouvoir sur sa vie. La peur du crime, comme expérience vécue, s'estompe à l'écoute des infracteurs, de la sincérité de leurs regrets et de leurs engagements pour l'avenir. Si des coûts judiciaires, sanitaires et sociaux sont ainsi épargnés, il convient encore de remarquer, et ce n'est pas le moins important, que le taux de récidive est bien moins élevé, grâce à la responsabilisation subséquente du condamné. Prenant conscience qu'il appartient à la communauté, prête à l'accueillir de nouveau après s'être acquitté de ses obligations, il mesure clairement que c'est l'acte qu'il a commis qui est stigmatisé comme inacceptable, alors que lui-même demeure une personne, ayant toute sa place parmi les autres êtres humains.
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Car mises à part la médiation pénale (à l'égard des adultes et au seul stade des poursuites) et la réparation pénale à l'égard des mineurs (plus heureusement susceptible d'être prononcée à tous les stades de la procédure), l'arsenal restauratif français est bien pauvre. D'autant plus que ces mesures sont davantage destinées à "mordre" sur les classements sans suite que sur les poursuites mêmes (y compris en ce qui concerne les mineurs, puisque 90 % des mesures sont prononcées par le parquet), s'apparentant par là à des ajouts punitifs de nature à élargir, abusivement, le filet pénal tendu par les organes de contrôle social contemporains. L'optimisme de l'action doit néanmoins ne pas céder devant le pessimisme de l'intelligence . En effet la Session de Rencontre détenus-victimes qui a été mise en place au sein de la Maison centrale de Poissy en 2010 augure de perspectives remarquables si le législateur veut bien lui donner force de loi. Dans le même esprit, quelques sanctions "à visée" restaurative, en associant pleinement la victime à leur déroulement, pourraient être de nature à épanouir l'œuvre de Justice.