Publié le mercredi 5 février 2025 / La terre au carré
Pourquoi X (ex-Twitter) est devenu toxique pour les scientifiques ©AFP - NIKOLAS KOKOVLIS / NURPHOTO
Alors que de nombreux chercheurs utilisaient Twitter comme un véritable outil pour s'informer, partager leurs recherches, communiquer des messages au grand public, comment le réseau social s'est-il transformé au point de devenir si toxique pour l'information scientifique ?
Avec David Chavalarias Directeur de recherche CNRS, au centre d’analyses et de mathématiques sociales, et directeur de l'institut des systèmes complexes de Paris.
Nous sommes en 1986 dans les couloirs du Capitole américain. Le sénateur Lloyd Bentsen se tient devant ses collègues. L'objet de son discours ? Une série de lettres massivement distribuées aux membres du Congrès, toutes semblant provenir de citoyens ordinaires. Mais ces lettres ne sont en réalité pas l'expression spontanée du peuple, mais plutôt des manifestations soigneusement orchestrées par des lobbyistes cherchant à influencer la législation.
Bentsen, qui cherche un terme pour décrire cette pratique manipulatrice, propose une métaphore qui allait bientôt s'ancrer dans le jargon politique américain. Comparant ces faux mouvements de base à un produit bien connu – l'AstroTurf, un type de gazon synthétique utilisé dans les stades sportifs pour imiter l'herbe naturelle – il popularise le terme "astroturfing".
Ce mot fait référence à l'essence de ces campagnes artificielles, conçues pour ressembler à de véritables initiatives citoyennes, aussi authentiques que du faux gazon sur un terrain de sport.
Le terme astroturfing est ainsi devenu synonyme de fausses mobilisations, où des intérêts particuliers créent l'illusion d'un soutien populaire massif.
Après la Première guerre mondiale, Edward Bernays, neveu de Sigmund Freud, a été le premier à théoriser et à généraliser l’utilisation de telles stratégies. S’appuyant sur les travaux de son oncle, mais aussi de Gustave Le Bon en matière de psychologie des masses, il affirme en 1928 : «La manipulation consciente, intelligente, des opinions et des habitudes organisées des masses joue un rôle important dans une société démocratique. Ceux qui manipulent ce mécanisme social imperceptible forment un gouvernement invisible qui dirige véritablement le pays».
Si l’astroturfing n’a donc pas été inventé hier, ses capacités d’influence ont été décuplées grâce à l’avènement du Web et des nouvelles technologies de l’information et de la communication (TIC).
Les techniques de l’astrotufing sont multiples : construction de faux profils en ligne, achat de faux followers sur Twitter ou de faux avis positifs, embauche de personnes pour manifester dans la rue, création de groupes citoyens de façade… La liste et longue.
Le plus souvent, l’astroturfing implique la création massive par des algorithmes de faux comptes (bots) sur les réseaux sociaux ou l’usurpation de comptes existants. Ces programmes informatiques générant automatiquement du contenu sont très présents sur X (ex Twitter) où ils influencent les tendances. Cette “propagande computationnelle” a par exemple particulièrement bénéficié à Donald Trump pendant la dernière campagne présidentielle américaine.
La diffusion de fausses informations est devenue le fond de commerce du réseau social X avec des conséquences majeures pour nos démocraties.
David Chavalarias est mathématicien de formation. Ses recherches, à la croisée entre les sciences cognitives et la science des systèmes complexes, portent sur l’étude de nos comportements collectifs, des dynamiques d’opinion et de la connaissance, à partir de la modélisation et de l’analyse de données du web. Avec le Climatoscope, il a expliqué comment le fonctionnement et la manipulation des algorithmes ont favorisé la montée du climatoscepticisme sur la toile. Aujourd’hui, il est à l’initiative d'un outil de portabilité qui permet de quitter X sans perdre sa communauté, popularisé par le mouvement citoyen HelloQuitteX. Il est l'auteur de Toxic Data (Flammarion) et de l'étude Les nouveaux fronts du dénialisme et du climatosceptisme.
Livre : David Chavalarias, Toxic Data. Comment les réseaux manipulent nos opinions, Flammarion, Champs Actuel, janvier 2023
-> Open Portability...