Les conclusions du rapport du GIEC – plus précisément de son Groupe de travail 1 – sont on le sait effrayantes tant elles décrivent un monde pris dans la catastrophe environnementale en cours. Cet article de Daniel Tanuro les analyse précisément et ouvre des perspectives radicales, anticapitalistes, seules à même d’empêcher le désastre.
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solution miracle : l’augmentation de la part des « technologies bas carbone » (nom de code pour le nucléaire, notamment les « microcentrales) et, surtout, le déploiement des dites « technologies à émissions négatives » (TEN – ou CDR, pour Carbon Dioxyde Removal), censées refroidir le climat en retirant de l’atmosphère d’énormes quantités de CO2 à stocker sous terre. C’est l’hypothèse dite du « dépassement temporaire du seuil de dangerosité » de 1,5°C.
Sur le nucléaire, inutile de s’étendre après Fukushima. Quant aux « technologies à émissions négatives », elles n’existent pour la plupart qu’au stade du prototype ou de la démonstration, et leurs effets sociaux et écologiques promettent d’être redoutables (on y revient plus loin). Qu’à cela ne tienne : on veut nous faire croire qu’elles sauveront le système productiviste/consumériste et que le marché libre se chargera de les déployer. En vérité, ce scénario de science-fiction ne vise pas avant tout à sauver la planète ; il vise avant tout à sauver la vache sacrée de la croissance capitaliste et à protéger les profits des plus grands responsables du gâchis : les multinationales du pétrole, du charbon, du gaz et de l’agrobusiness.
Le GIEC entre science et idéologie
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le résumé du GT1 cautionne l’idée que les technologies à émissions négatives pourraient ne pas être déployées uniquement pour capter les « émissions résiduelles » des secteurs où la décarbonisation est techniquement difficile (l’aviation par exemple) : elles pourraient aussi être mise en œuvre à une échelle massive, pour compenser le fait que le capitalisme mondial, pour des raisons qui ne sont pas « techniques » mais de profit, refuse de renoncer aux combustibles fossiles. Le texte continue d’ailleurs en vantant les avantages de ce déploiement massif comme moyen d’arriver à des émissions nettes négatives dans la seconde moitié du siècle :
« Le CDR conduisant à des émissions négatives nettes mondiales réduirait la concentration de CO2 atmosphérique et inverserait l’acidification de la surface des océans (degré de confiance élevé). »
Le résumé formule une réserve, mais elle est sibylline :
« Les technologies CDR peuvent avoir des effets potentiellement étendus sur les cycles biogéochimiques et le climat, ce qui peut soit affaiblir soit renforcer le potentiel de ces méthodes pour éliminer le CO2 et réduire le réchauffement, et peut également influencer la disponibilité et la qualité de l’eau, la production alimentaire et la biodiversité (degré de confiance élevé). »
En clair, il n’est pas certain que les TEN soient si efficaces que cela, certains « effets » pourraient « affaiblir (leur) potentiel pour éliminer le CO2 ». La dernière partie de cette phrase fait allusion aux impacts sociaux et écologiques : la bioénergie avec capture et séquestration du carbone (la plus mature des TEN à l’heure actuelle) ne pourrait réduire significativement la concentration atmosphérique en CO2 que si une superficie égale à plus d’un quart des terres en culture permanente aujourd’hui servait à produire de la biomasse énergétique – au détriment des réserves en eau, de la biodiversité, et/ou de l’alimentation de la population mondiale1.
Ainsi, d’un côté le GT1 du GIEC se base sur les lois physiques du système climatique pour nous dire que nous sommes au bord du gouffre, sur le point de basculer irréversiblement dans un cataclysme inimaginable ; de l’autre, il objective et banalise la fuite en avant politico-technologique par laquelle le capitalisme tente, une fois de plus, de reporter devant lui l’antagonisme irréconciliable entre sa logique d’accumulation illimitée du profit et la finitude de la planète. « Jamais un rapport du GIEC n’aura laissé sourdre à ce point l’angoisse suscitée par l’analyse scientifique des faits à l’aune des lois incontournables de la physique », écrivions-nous au début de cet article. Jamais non plus un tel rapport n’aura illustré aussi clairement qu’une analyse scientifique qui considère la nature comme un mécanisme et les lois du profit comme des lois physiques n’est pas vraiment scientifique mais scientiste, c’est-à-dire, partiellement au moins, idéologique.
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lire le rapport du GT1 du GIEC en ayant à l’esprit qu’il est à la fois la meilleure et la pire des choses ... diagnostic rigoureux ... La pire, parce qu’il sème à la fois la peur et l’impuissance ... Son idéologie scientiste noie l’esprit critique dans le flot des « données ». Elle détourne ainsi le regard des causes systémiques, avec deux conséquences : 1°) l’attention se focalise sur les « changements des comportements » et autres gestes individuels – pleins de bonne volonté mais pathétiquement insuffisants ; 2°) au lieu d’aider à combler le fossé entre conscience écologique et conscience sociale, le scientisme l’entretient.
Écologiser le social et socialiser l’écologie est la seule stratégie qui peut arrêter la catastrophe et faire renaître l’espérance d’une meilleure vie. Une vie du prendre soin des personnes et des écosystèmes, maintenant et dans une vision de long terme. Une vie sobre, joyeuse et chargée de sens. Une vie que les scénarios du GIEC ne modélisent jamais, où la production de valeurs d’usage pour la satisfaction des besoins réels, démocratiquement déterminés dans le respect de la nature, remplace la production de marchandises pour le profit d’une minorité.
Article écrit pour le site de la Gauche anticapitaliste (Belgique)
Photo: G. Blevins, Reuters
Connu / https://twitter.com/SRContretemps/status/1425104122932563975
Ndlr : tant que le GIEC et l'IPBES N'AURONT Pas fusionné dans une approche holistique et holomidale on aura des pb ? ACT
... mettre à disposition des textes plus ou moins inédits pour susciter la réflexion autour de ce thème et de quelques autres connexes, notamment la critique de la société capitaliste et industrielle dont la technoscience est devenue la religion officielle…
Ce faisant, nous nous sentons proches de la technocritique et du mouvement luddite.
Il va sans dire – mais cela va tout de même mieux en le disant – que nous nous situons sur le terrain du matérialisme épistémologique. A savoir que nous nous efforcerons, dans nos explications et nos critiques, de ne faire intervenir aucun phénomène surnaturel, aucune force mystérieuse ou inconnaissable, et moins encore la volonté ou la puissance divine. Nous essaierons en outre, contrairement à beaucoup de scientifiques, de ne pas nous payer de mots (complexité, émergence, etc.) en tentant de définir et de préciser ceux que nous emploierons (d’où prochainement la création d’un Dictionnaire des idées reçues du scientisme ordinaire).
Tout cela ne nous empêchera pas d’avoir une approche plus philosophique que strictement “scientifique”. Il sera donc peut-être utile de préciser que nous sommes plutôt proches du courant phénoménologique, que de celui, cybernétique, dominant actuellement dans les sciences…
Eugène Brelandage, boucher-charcutier.
Ndlr : date de création 2010 ?
Effondrement dans les Alpes, lacs asséchés, vendanges aléatoires… Cet été, les signes du changement climatique se sont répétés et multipliés en Auvergne-Rhône-Alpes, au point que sa conscience gagne la population. Malgré cela, explique notre chroniqueuse, l’exécutif régional ne change pas d’orientation.
Corinne Morel Darleux est secrétaire nationale à l’écosocialisme du Parti de gauche et conseillère régionale Auvergne - Rhône-Alpes.
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Le lien entre ces éboulements (on parle d’écroulement au-delà de 100 m3) de plus en plus fréquents et la fonte du pergélisol, qui sert de ciment aux géants de roche, est aujourd’hui avéré.
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l’assèchement spectaculaire du lac d’Annecy. Un lac alimenté par des sources de montagne qui sert de repère, tout à la fois lieu de plaisance, de baignade, repos du regard et petit écosystème entre pression foncière et préservation du littoral montagnard. Alors que le lac était placé au premier stade de vigilance pour les crues cet hiver après des pluies importantes, son niveau est aujourd’hui tombé plus bas que durant la canicule de 2003, plus bas, en fait, que ce qu’on n’a jamais vu — et c’est un effet curieux qui vous glisse dans le dos que de voir le fond du lac mis à nu… À tel point que l’usage de l’eau a été restreint et la région d’Annecy placée en situation d’alerte renforcée.
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Pour la grêle, la calamité peut monter à 80 % de pertes
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j’adorerais vous dire que, du coup, ça a provoqué des discussions enflammées sur la manière de faire face en tant que collectivité, d’aider les agriculteurs à diversifier leurs cultures et à privilégier les moins gourmandes en eau, les plus résistantes et adaptées à un climat de plus en plus mouvant. J’aimerais tant écrire que les yeux se sont grand ouverts autour de la table et que l’exécutif a soudain réalisé que financer des canons à neige précipitait les stations dans de futurs déficits abyssaux. Que la dernière salve de subventions a été immédiatement transférée vers les programmes de tourisme estival, et la politique du tout-ski dans nos montagnes remisée. J’aurais naturellement voulu vous dire que le projet de nouvelle autoroute A45 entre Lyon et Saint-Étienne a été abandonnée, le Lyon-Turin remplacé au profit d’un report immédiat des camions sur les rails de la ligne existante, les trains de l’étoile de Veynes assurés de rouler pour les décennies qui viennent, un grand programme de rénovation thermique lancé, que les crédits affectés au développement de la résilience ont été doublés, et les subventions de santé environnement rétablies.
Las. L’effet d’inertie du système et les blocages idéologiques sont plus puissants que les montagnes qui s’effondrent et que les lacs qui s’assèchent, plus puissants que le rapport du Giec et que les milliers de personnes réunies dans les marches pour le climat ou à Alternatiba. Pour l’instant.
La croyance dans la technique semble inépuisable. Et c’est ainsi que les « solutions » qui ont été discutées en commission Montagne, c’est le remplacement des anciens canons à neige par de nouveaux, moins énergivores, donc plus « verts ». Et j’ai eu beau expliquer la gabegie d’énergie grise provoquée par le fait de produire ces canons tout neufs pour remplacer les anciens, au-delà de leur consommation quand ils fonctionnent, rien n’y a fait. Autre trouvaille, l’équipement de GPS sur les engins des stations pour sonder le manteau neigeux et déterminer où il faut aller cracher la neige artificielle, au mètre cube près. Là aussi un dispositif moderne en diable, présenté tout fièrement comme une rationalisation qui permet des économies d’énergie et d’eau. Le coût en ressources de tels équipements semble purement et simplement ne pas exister. Et évidemment, tout cela ne dit pas ce qu’on fera de ces enneigeurs quand la pression sur l’eau sera trop forte : les restrictions d’eau autour du lac d’Annecy conduiront-elles à l’arrêt des canons à neige ? Et que ferons-nous quand la température sera trop élevée pour les faire fonctionner ?
Côté agriculture, même constat : au lieu de s’attaquer aux causes du dérèglement climatique, au lieu de trouver des stratégies d’adaptation, on effleure la surface en agissant à la marge sur les premiers effets, au risque parfois d’aggraver le mal. Ainsi de l’iodure d’argent utilisé pour contrer la grêle, dont on ne connaît pas le niveau de toxicité, notamment en cas d’accumulation dans les sols. Ou encore des canons anti-grêle, qui envoient des ondes de choc telles qu’elles peuvent briser les grêlons… et les oreilles des voisins, à 130 décibels — soit l’équivalent d’une sirène de pompier, alors que la limite autorisée est fixée à 65 décibels ; et à haute dose : 4.700 tirs en une année pour le seul village de Mercurol, dans la Drôme. Tout ça génère une élévation considérable du niveau de tensions entre habitants naturellement, ce qui est aussi un des risques afférents à la pénurie d’eau et aux aléas climatiques qui vont se multiplier. Ce n’était sans doute pas nécessaire d’y ajouter le bruit des canons.
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quand un autocariste m’explique que la région a envoyé balader ses arguments de véhicules moins polluants pour le transport scolaire en zone rurale pour privilégier le « mieux-disant » en matière de coût, ça choque. Il n’est pas complètement impossible qu’on soit en train d’arriver à un point de bascule : ceux qui pensent encore que le climat est un truc d’écolos bobos urbains feraient bien d’y songer.