( 29 ) Commentaires Tags : Energie , ENR , nucléaire
Catégories : Enjeux et chiffres du mix énergétique
Suite au lancement demandé par le gouvernement d’une étude sur la construction de 6 nouveaux EPR en France, j’ai participé à l’écriture de deux articles pour Enerpresse : Peut-on se passer de nucléaire en France ? [1] (appelé par la suite article GLP) et La montée en puissance des énergies renouvelables électriques ne nous mettra pas sur la paille [2](http://article GQS). Ces deux articles visaient à comparer le coût et la faisabilité d’un mix électrique principalement ENR à un mix 50% nucléaire. Malgré des horizons de temps, des hypothèses de consommation et de choix de moyens de production différents, ces deux articles parviennent à des conclusions similaires. Les coûts des deux mix sont comparables, ce qui rend caduque un des arguments régulièrement avancés contre les EnR électriques, à savoir leur coût exorbitant. L’analyse rationnelle conduit donc à ne pas s’engager tout de suite dans la construction de 6 EPR pour prendre le temps d’étudier les différentes options.
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7. Coûts de renforcement et de raccordement au réseau
Rappelons d’abord que le consommateur final achète l’électricité 170 euros le MWh (17 centimes le kWh) dont 30 % pour financer les coûts de réseau, soit 51 euros le MWh, l’ordre de grandeur du coût de production actuel.
Rappelons ensuite que les installations éoliennes terrestres et solaires ne supportent pas seulement le coût de raccordement, mais également une quote-part (en €/MW) du coût de renforcement total du réseau (à l’échelle d’une région), calculé par ENEDIS et RTE, conformément aux Schémas Régionaux de Raccordement au Réseau des Énergies Renouvelables.
Donc le coût de raccordement et une partie du coût de renforcement du réseau liés aux éoliennes terrestres et au solaire PV est déjà intégré dans leur coût actuel.
Ce n’est, cependant, pas le cas pour l’éolien maritime dont le raccordement est réalisé par RTE, qui estime ce cout à 7 Mds d’euros pour 10 à 15 GW. En ordre de grandeur, cela augmente le coût du MWh de 10 à 20 euros (selon le taux d’actualisation retenu), voire deux fois moins si ce raccordement dure 60 ans (la durée de vie des éoliennes marines étant de 30 ans par hypothèse).
Etant donné que les coûts de renforcement et de raccordement au réseau augmentent plus que proportionnellement à la pénétration des EnR variables, nous avons dans les deux articles inclus des surcoûts de réseaux (en plus de ceux déjà intégrés comme noté ci-avant).
Dans l’article GLP, nous avons estimé les surcoûts de réseau liés aux EnR variables (en plus des coûts de raccordement et de la quote-part EnR terrestre déjà intégrés) à 10 à 20 euros le MWh. Cette estimation « du pouce » mériterait d’être étayée plus solidement. Ce n’est possible que par une simulation fine faite par Enedis et RTE.
Alain Grandjean
Je remercie Cédric Philibert, Philippe Quirion et Behrang Shirizadeh pour leur relecture et commentaires sur cet article, qui n’engage cependant que moi
Notes
[1] Peut-on se passer de nucléaire en France ? Enerpresse Le Quotidien de l’Energie (n°12491 – 16/01/20), avec François Lempérière (Président d’Hydrocoop) et Cédric Philibert (ancien analyste à l’Agence Internationale de l’Energie).
[2] La montée en puissance des énergies renouvelables électriques ne nous mettra pas sur la paille, bien au contraire, lettre d’Enerpresse Le Quotidien de l’Energie (n°12498 – 27/01/20), avec Philippe Quirion (Directeur de recherche au CNRS, CIRED) et Behrang Shirizadeh, (Doctorant au CIRED).
[3] Les parlementaires ont inscrit dans la loi que la part du nucléaire serait plafonnée à 50% en 2035. Ce choix peut évidemment être discuté entre experts. Mais il se trouve que la loi en démocratie doit s’imposer.
[5] Avec un taux d’actualisation de 7% qui est celui qu’utilise EDF dans tous ses calculs
[6] Le LCOE (Levelized Cost Of Energy) se calcule ainsi :
calcul-LCOE
[7] La dernière annonce est de quinze mois de retard et d’un surcoût de 2,15 milliards d’euros. Les coûts « sont désormais estimés entre 24,3 et 25,4 milliards d’euros » selon EDF qui table sur l’objectif de démarrer la production d’électricité sur le réacteur n°1 à fin 2025. Voir ici >
[8] Lazard’s levelized cost of energy analysis, version 13.0.
[9] Coûts des énergies renouvelables et de récupération en France. Données 2019. Ademe
[10] Le calcul du risque dans les investissements publics, Christian Gollier, Centre d’Analyse Stratégique (2011), Evaluation socioéconomique des investissements publics – Rapport de la mission présidée par Émile Quinet – CGSP – 2013
[11] Newbery & alii, Financing low-carbon generation in the UK: The hybrid RAB model, WP UNiversity of Cambridge, 2019.
[12] Voir les données de RTE page 49. A ce jour l’éolien maritime est marginal en France
[13] S. Pfenninger and I. Staffell, 2016. Long-term patterns of European PV output using 30 years of validated hourly reanalysis and satellite data. Energy, 114, 1251–1265. I. Staffell and S. Pfenninger, 2016. Using Bias-Corrected Reanalysis to Simulate Current and Future Wind Power Output. Energy, 114, 1224–1239. Les codes sont en libre accès ici
[14] Moraes Jr, L., Bussar, C., Stoecker, P., Jacqué, K., Chang, M., & Sauer, D. U. (2018). Comparison of long-term wind and photovoltaic power capacity factor datasets with open-license. Applied Energy, 225, 209-220.
[15] LBNL, Wind Technologies Market Report 2018
[16] 18 0000 sites ont été identifiés, dont certains ne seront pas si faciles que cela à exploiter (pour des raisons réglementaires ou de coût). Évaluation du gisement relatif aux zones délaissées et artificialisées propices à l’implantation de centrales – ADEME, TRANSENERGIE – Avril 2019
[17] Observatoire de l’énergie solaire photovoltaïque en France (Déc. 2019). L’autoconsommation croit vite.
[18] Voir les données de RTE
[19] Observatoire de l’Eolien en France – 2019
[20] JRC, “Cost development of low carbon technologies”, 2017
[21] Voir ici. Il est probable que le cout de financement soit assez bas pour cette opération.
[22] En nous basant sur l’étude de Carbone 4 Evolution de la demande électrique à moyen et long terme : quels impacts pour la gestion de la pointe électrique en 2030 et 2050 ? 2019
[23] Bloomberg NEF, 2H 2019 LCOE update.
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Connu / https://tools.immae.eu/Shaarli/ind1ju?R6BOUA dont
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Cette analyse de M. Jancovici diffère également de celle de son associé dans Carbone 4, M. Grandjean, et dont je compare les différentes approches dans cet autre article
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( 11 ) Commentaires
Catégories : Relations entre économie, ressources et énergie ,
Tags : investissement , mobilité , Transition énergétique
Alors que les présidents français et italien viennent d’officialiser leur souhait de voir passer la contribution européenne à la section transfrontalière du Lyon-Turin de 40 à 55%, nous nous interrogeons dans cet article sur les conditions de réussite de ce projet de liaison ferroviaire. La section transfrontalière (constituée principalement du tunnel base, 57km et 8,5 milliards d’euros) est en cours de lancement. Elle constitue la première phase d’un projet plus global dont la configuration n’est pas stabilisée et qui cherche à répondre à deux principaux enjeux : l’évitement du passage de camions et de voitures dans les vallées de l’Arve et de la Maurienne et la décarbonation des flux de marchandises et de passagers. Il nous a, cependant, semblé essentiel de nous pencher sur les conditions de son succès. A ce jour seuls les financements de la section transfrontalière sont acquis ; les intérêts économiques et environnementaux sont-ils confirmés sans construction des sections françaises et italiennes ? Face à un projet très complexe et d’une telle ampleur, il nous semble nécessaire d’oser reposer des questions de base pour éviter le risque d’une mobilisation massive d’argent et de compétences publics au détriment des besoins moins spectaculaires mais peut-être plus urgents pour une relance réussie du ferroviaire.
Introduction : le Lyon-Turin, un projet à clarifier
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1 Le Lyon-Turin est-il cohérent avec la transition énergétique de la France et de l’Europe ?
... le projet Lyon-Turin ne résout pas du tout ce problème de pollution de l’air
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2 Les hypothèses permettant de justifier la viabilité du Lyon-Turin sont à réévaluer
... valider d’abord les solutions à mettre en œuvre pour lever les freins au report modal ... ce projet ne porte donc pas en lui-même de réduction du trafic routier du Fréjus et du Mont-Blanc par rapport à la situation actuelle, bien au contraire, puisqu’il augmenterait de 164% en 2053 par rapport à 2004 selon l’étude italienne http://presidenza.governo.it/osservatorio_torino_lione/quaderni/quaderno8.pdf.
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3 Les impacts du projet : une soutenabilité en discussion
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4 Un projet questionné depuis plus de 20 ans par des services de l’Etat
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5 Ne faut-il pas commencer par améliorer le potentiel des infrastructures existantes et démontrer la capacité à l’exploiter ?
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N’ayant pas la prétention d’avoir présenté ici une analyse conclusive, nous demandons donc à ce qu’au moins le projet soit suspendu au vu de clarifications nécessaires, qu’un véritable débat public soit réalisé sur les traversées alpines du Léman à la Méditerranée. Ce débat pourrait avoir l’originalité d’être franco-italien. Il devrait être éclairé par des expertises, neutres et indépendantes afin de permettre in fine une décision résiliente aux incertitudes, cohérente avec la stratégie de décarbonation de la France et garantissant l’efficacité de l’engagement de l’argent public qu’il soit français, européen ou italien.
Annexes
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Alain Grandjean et Jacques Portalier (expert transports et climat)
Notes
[1] Comme on le verra dans la présente note ce projet est très évolutif. Alors qu’il s’agissait au départ une LGV voyageurs et une ligne nouvelle de fret entre Lyon et Chambéry, il n’est plus question aujourd’hui que d’une ligne nouvelle mixte ; on ne sait pas encore si son tracé passera par Chambéry ou par le tunnel « sous Chartreuse », ni si la ligne Grenoble-Lyon sera raccordée à la ligne nouvelle à Saint André le Gaz ; enfin les tunnels de Belledonne et du Glandon sont en voie d’abandon.
[2] Voire plus faibles si l’on raisonne en prolongeant les tendances des 10 dernières années et en tenant compte de la dynamique de la production industrielle en France et en Italie.
[3] Nous ne discuterons pas ici de l’autre axe, Marseille – Gênes, important aussi surtout pour le Sud de l’Europe dont la liaison Espagne- Italie.
[4] Ce tunnel a été construit fin 19ème, et a été modernisé début 2000 son gabarit a été accru et sa sécurité améliorée ainsi que l’ensemble de la ligne actuelle depuis Dijon.
[5] Evaluation par la direction du Trésor qui confirmait le coût de 24,078 milliards d’€ valeur 2009 annoncés par RFF.
[6] Les dates objectifs d’achèvement des autres phases du programme ne sont pas confirmées.
[7] Le traité (accord sur le Lyon-Turin) Franco-Italien prévoit un déséquilibre de financement en défaveur de l’Italie pour le tunnel base (57,9% contre 42,1% pour la France article 18 du traité). Tout dépassement des couts certifiés sera à charge de l’Italie et de la France à parts égales.
[8] Nous ne développerons pas ce point ici. Rappelons juste que la part modale du fret ferroviaire a chuté de 20% à moins de 10% de 2000 à 2019.
[9] Il semble qu’il y ait une reprise du trafic depuis quelques années, mais c’est à confirmer.
[10] Notamment constitué de plusieurs sections découpées en plusieurs phases avec des gouvernances différentes : section française, section internationale (incluant le tunnel base) et section italienne.
[11] Source : La Transalpine.
[12] Environ 50 dans l’éventualité non confirmée d’une circulation en voie unique selon une communication SNCF de décembre 2019.
[13] Page 51 du dossier Dossier d’enquête publique 2012 préalable à la DUP (SNCF – Réseau) (4h02 contre 5h30 dans le dossier LTF de l’enquête publique de 2006). Ce gain de temps se répartirait ainsi : tunnel de base : 43 mn ; phases 1 &2 des accès Français : 20 mn ; phase 3 (bi-tube) : 17 mn ; phase 4 (LGV au lieu de ligne mixte) : 10 min.
[14] Gabarit dit GB1, permettant avec des wagon adaptés d’embarquer des camions type P400 et des containers ISO et high cube (source).
[15] Gabarit dit GC (source)
[16] Une valeur de gain de 15-20% est mentionné pour le cas du Gothard.
[17] 265 km à 97gCO2/tkm (facteur moyen pour le fret PL France en 2018 – compte des transports)
[18] 103kg CO2e/vol pour un Paris Milan suivant calculateur DGAC
[19] Bilan CO2 du projet considérant une durée de 57 ans, dont phase de construction Source : Dossier d’enquête publique 2012 préalable à la DUP (SNCF – Réseau). On peut estimer en ordre de grandeur les émissions de construction du tunnel à 40 000 tonnes de CO2 par km à quoi il faut rajouter les émissions d’exploitation (liés à l’énergie nécessaire pour ventiler et refroidir).
[20] 1er rapport annuel du Haut conseil pour le climat « Agir en cohérence avec les ambitions »
[21] Environ 19 Mt/an de marchandise passent par ces tunnels. 265km de trajet considéré (Saint Laurent de Mure – Chiusa di San Michele).
[22] 26 aller/retour par jour pendant 365 jour et une capacité de 150 sièges.
[23] RTE-T, Axes et projets prioritaires (2005)
[24] Voir le Dossier d’enquête publique 2012 préalable à la DUP (SNCF – Réseau) et le dossier italien (2011)
[25] La stratégie nationale bas carbone (SNBC) est le cadre d’engagement de la France pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Voir Présentation Scénario projet SNBC2 mars 2019
[26] Voir L’évaluation socio économique du Dossier d’enquête publique (avril 2006)
[27] Part modale du rail : 55% en 2035 (projet complet), 47% en 2050 (Source)
[28] Liaison Perpignan Figueras : 1Md d’Euro investis pour la ligne, trafic plus de 10 fois inférieur à celui considéré en hypothèse pour le projet. Mis en liquidation. On peut évidemment discuter des causes de cet échec. Mais il montre bien que les questions d’accès sont déterminantes. Voir par exemple ici.
[29] Malgré les travaux d’amélioration de la ligne entre Dijon et le tunnel du Mont Cenis, le flux de fret est 2 à 3 fois inférieur à celui du début des années 2000.
[30] Ligne de fret Perpignan-Luxembourg : trafic visé non atteint, plus de 10 ans après sa mise en service (voir article sur le site actu-environnement)
[31] 15 Mt/an de capacité de Fret sur la ligne actuelle (Dossier d’enquête publique 2012 préalable à la DUP (SNCF – Réseau)
[32] L’amélioration de la ligne actuelle aurait couté environ 1Milliard d’Euros entre 2004 et 2011, avec pour objectif la croissance du fret ferroviaire et la sécurité (source : déclaration de projet opération de modernisation du tunnel ferroviaire du Fréjus Mont Cenis et travaux connexes)
[33] Selon le dossier italien (2011)
[34] Comptage routier Fréjus et Mont-Blanc 2019 – transport de marchandises à travers les alpes – Agate Territoires 08/2019
[35] Il existe une autre option pour réduire cette pollution c’est l’autoroute électrique, mais elle n’a pas étudiée dans ce cas. Voir http://www.carbone4.com/autoroute-electrique/
[36] Dossier d’enquête publique 2012 préalable à la DUP (SNCF – Réseau) (année de référence 2006, achèvement des phases de travaux entre 2020 et 2035)
[37] Selon les études européennes
[38]Un symptôme : décision de moindre augmentation de la taxation poids lourd pour la traversée du Fréjus et doublement du tunnel routier du Fréjus (déclaration Frédéric Cuvilier – Ministre des transports France et Mario Ciaccia – Vice ministre des infrastructures et des transports Italie actée en 3/12/2012)
[39] 25Md€ pour un gain CO2 net au mieux 25 ans après l’engagement du projet, soit 2040-45 (avec des hypothèses semblant très favorables : de 1 à 3 MtCO2/an économisés suivant les dossiers) : le Lyon-Turin est-il le projet d’infrastructure de transport répondant le mieux à l’urgence climatique et contribuant le plus efficacement à réduire nos émissions de GES ?
[40] Le traité ne prévoit pas explicitement de pénalités. Un tribunal arbitral serait constitué pour régler les litiges et déterminer les éventuelles mesures compensatoires. Voir ici.
[41] Cet historique s’appuie sur un article d’Hubert Tournier et sur wikipedia
[42] Le 4 septembre 2014 François Hollande et Manuel Valls signent le décret n°2014-1002 qui porte publication de l’accord signé à Rome le 30 janvier 2012.
[43] Dont une partie se situe dans le traité franco-italien : la partie commune Franco Italienne, voir carte.
[44] Le deuxième tube du tunnel du Glandon est à priori absent de ce chiffrage alors qu’il apparait dans des éléments du dossier DUP 2012 et dans le traité franco italien de 2012
[45] Pour des motifs de sécurité (nota : les travaux d’amélioration achevés en 2011 portaient en partie sur la sécurité). Les règles de sécurité invoquées ne seraient des obligations que pour des infrastructures nouvelles, et seraient plus sévères que les règles françaises.
[46] Déterminer les capacités d’une ligne dépend certes des capacités des différents éléments qui composent le parcours (tel que les tunnels, gares, nœuds, tronçons, équipements) et de leurs limitations, vitesses autorisées mais aussi de la gestion des différentes circulations (voyageur régionaux, nationaux, internationaux, fret), des priorités allouées aux différents services etc.
[47] D’autres calculs conduisent à plus de 70% du fret routier avec 120 trains/jour.
[48] Dossier d’enquête publique 2012 préalable à la DUP (SNCF – Réseau)
[49] D’autant qu’à l’époque des contraintes opérationnelles plus importantes existaient : contrôles douaniers, changement de motrices, gabarit inférieur.
[50] Ce tunnel est très semblable au tunnel du Mont Cenis : accès avec pente max 3%, longueur et altitude comparable, monotube.