Publié dans Données personnelles et vie privée
Tagué communs, données personnelles, droit social, Facebook, graphe social, portabilité, subordination
L’année 2018 aura été marquée par une longue litanie de scandales impliquant le réseau social Facebook, à tel point que le Guardian en a tiré un Best Of (ou Worst Of…) assez croustillant.
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Le terme de « suicide collectif » paraît ici assez approprié. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : même si collectivement, la nocivité de Facebook apparaît de plus en plus évidente, il reste pour beaucoup d’utilisateurs difficile – à titre individuel – de prendre la décision de quitter la plateforme. Dans une telle situation, l’habituel « Privacy Paradox »
https://www.rsln.fr/fil/privacy-paradox-les-cles-pour-comprendre/
est redoublé par un dilemme du prisonnier,
https://fr.wikipedia.org/wiki/Dilemme_du_prisonnier
car c’est la trame même de nos liens sociaux qui se transforme en filet capturant les utilisateurs du réseau. Quitter la plateforme revient pour l’individu à se couper de relations chargées de sens et d’affects et nul ne souhaite être le premier à franchir le pas (avec le risque d’être aussi le seul).
Cette capacité des plateformes à retourner la puissance des liens sociaux contre leurs utilisateurs matérialise un pouvoir de contrainte redoutable contre lequel le droit devrait offrir une protection adéquate.
Or ce n’est pas le cas actuellement, car si le droit envisage la protection des données personnelles des individus pris isolément, il a encore énormément de mal à saisir ces mêmes données dans leur dimension collective.
https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/05/25/les-donnees-personnelles-un-enjeu-collectif_5304520_3232.html
Nos liens sociaux ne font en effet pour l’instant l’objet d’aucune reconnaissance juridique : il n’existe pas même dans les textes de notion qui permettrait de les qualifier. C’est pourtant à cet endroit précis que se situe l’enjeu principal sur lequel il faudrait agir pour desserrer le pouvoir de contrainte des plateformes.
Heureusement, quelques pistes semblent s’ouvrir pour aller dans cette direction, notamment celle de l’établissement d’une « portabilité sociale » des données personnelles, permettant de dépasser les apories du droit à la portabilité tel qu’il est notamment défini dans le RGPD. https://www.cnil.fr/fr/le-droit-la-portabilite-en-questions
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Facebook n’accumule pas des données personnelles pour s’en réserver l’usage à titre exclusif. Le propre de son fonctionnement est au contraire d’ouvrir le graphe social
http://www.internetactu.net/2007/09/28/comprendre-le-graphe-social/
constitué à partir de l’enregistrement de nos relations à des entreprises-tierces. Contrairement à un contresens largement répandu, Facebook ne « revend pas » les données personnelles à ses partenaires (ce n’est pas un Data broker, https://www.zdnet.fr/actualites/data-brokers-aux-etats-unis-votre-vie-privee-est-en-vente-39789295.htm
même s’il a pu envisager d’adopter ce modèle https://www.lemonde.fr/pixels/article/2018/12/05/le-parlement-britannique-diffuse-250-pages-de-documents-internes-de-facebook_5393239_4408996.html) : il ouvre à d’autres des droits d’usage sur ce graphe, afin qu’ils puissent effectuer du ciblage publicitaire à partir des catégories figurant dans ce schéma. Et c’est donc indirectement sur la publicité que Facebook génère ses mirobolants profits.
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L’affaire Cambridge Analytica avait déjà montré que Facebook a laissé pendant longtemps ses API largement ouvertes aux développeurs-tiers afin de maximiser la valeur d’usage de son graphe et donc son attractivité. Les accès privilégiés octroyés à Apple, Microsoft, Yahoo, Amazon, Netflix ou Spotify dont nous avons appris l’existence cette semaine relèvent de la même logique. En réalité, ce qui a construit la position centrale de Facebook au sein du capitalisme de surveillance, ce n’est pas d’avoir monopolisé le graphe social, mais au contraire d’en avoir fait une ressource partagée sous la forme de ce que l’on pourrait appeler un « Commun du Capital ».