Opinion
Seule l’agroécologie peut rendre le métier d’agriculteur attractif - Le 13 Février 2025 / Harold Levrel
6 min - Harold Levrel, professeur d’économie écologique au Muséum national d’Histoire naturelle - 3 Commentaire(s)
Le Sénat mène depuis plusieurs semaines une offensive contre l’agroécologie avec, notamment, les propositions de supprimer l’Agence bio et de réintroduire un néonicotinoïde destructeur de biodiversité. Certes, la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, a assuré le 27 janvier que l’Agence bio continuerait son travail. Mais le discours selon lequel la réglementation environnementale « entraverait » l’exercice du métier d’agriculteur fait son chemin.
Avec 50 % des exploitants qui vont partir à la retraite d’ici 2050, le sujet des entraves au métier d’agriculteur est indéniablement important. Mais, il faut l’analyser à l’aune de l’attractivité de cette profession, garante du renouvellement de la population d’actifs dans ce secteur.
Or, qui peut croire que le modèle hyperproductiviste promu par les pouvoirs publics, avec la crise perpétuelle qu’il vit et qu’il engendre, est attractif pour de jeunes actifs ? Quelques rappels s’imposent sur ce qui est promis à ces futurs candidats.
...
Aujourd’hui, le système économique agricole français est organisé autour de la captation, par une minorité d’acteurs, des gains liés au modèle productiviste, dont le président de la FNSEA Arnaud Rousseau, directeur de multiples entreprises et d’une multinationale et bénéficiaire de 170 000 euros de subvention annuelle de la Politique agricole commune (PAC), est un symbole.
...
Une agriculture bio attractive…
...
les faits scientifiques sont là.
Côté revenus, il a été démontré que les agriculteurs bio gagnaient significativement mieux leur vie que les agriculteurs conventionnels. Côté dimension sociale, en étant plus intensive en travail qu’en capital (18 % du travail agricole pour 10 % des surfaces), l’agriculture bio revitalise les campagnes et recrée du lien. Côté santé, les agriculteurs ne sont pas exposés aux mêmes produits cancérigènes que les agriculteurs conventionnels.
Pour ce qui concerne les coûts sociaux, ils sont très fortement réduits grâce à un cahier des charges exigeant qui interdit l’usage de pesticides et fertilisants de synthèses, tout autant que d’antibiotiques.
Et les résultats sont là. Les aliments bio contiennent trois fois moins de résidus de pesticides que les autres. La biodiversité est 30 % plus importante autour des exploitations bio. Enfin, il a été démontré que la conversion au bio permet d’améliorer la qualité de l’eau dans les zones de captage.
Ces éléments expliquent l’attractivité dont a bénéficié l’agriculture bio ces dernières années, le nombre d’exploitations labellisées ayant été multiplié par deux entre 2011 et 2021. Mais, depuis 2022, un reflux s’observe du fait de la crise du pouvoir d’achat.
… que l’Etat entrave
...
comme le constatait la Commission européenne en 2023, la France accorde aux agriculteurs bio un tiers de subventions en moins par unité de travail agricole comparativement aux agriculteurs conventionnels. Il s’agit d’un cas unique en Europe. En Allemagne, Autriche ou Italie, les agriculteurs bio touchent 50 % de plus que les exploitants conventionnels.
...
le gouvernement français a mis en place un label HVE (Haute valeur environnementale) dont tous les scientifiques s’accordent à dire qu’il ne produit aucun bénéfice pour l’environnement. En revanche, ce label crée une concurrence déloyale pour les agriculteurs bio, que ce soit vis-à-vis d’opérateurs publics ou des consommateurs.
La tentative avortée de supprimer l’Agence bio ou la volonté de réintroduire un néonicotinoïde interdit en France depuis 2018 par le Sénat vont dans le même sens.
...
Lexique Attractivité, n.f. : capacité d’un pays, d’une région ou d’une ville à courber l’échine face à des entreprises privées en recherche de main-d’œuvre pas chère, des cadres en costume bleu et baskets blanches en quête de soleil et d’écoles privées, et des actionnaires en manque de paradis fiscal.
« Nous sommes aujourd’hui le pays le plus attractif en termes d’investissements productifs », a affirmé Emmanuel Macron devant un parterre de 200 patrons invités au château de Versailles le 17 janvier 2020.
...
« une majorité des dirigeants étrangers interrogés par Business France pense que les deux mouvements [gilets jaunes et contre la réforme des retraites| ont eu un impact négatif sur l’attractivité de la France », fulmine le journal Les Echos. Les gueux ont gâché la fête, l’attractivité en a pris un coup. Rien n’est cependant perdu, apprend-t-on depuis Bordeaux, « parce que nous avons tous besoin d’une dynamique de territoire, la Région a lancé une démarche d’attractivité transversale et partagée avec les acteurs de la Nouvelle-Aquitaine. Car ensemble, nous partageons les mêmes défis, et ensemble nous serons plus forts », nous explique avec enthousiasme la région Nouvelle Aquitaine (ex-Aquitaine, Poitou-Charentes, Limousin – on ne vous demandera pas qui est le plus attractif parmi les ex). Heureux, ces dirigeants ont lancé un « club de l’attractivité » qui est, accrochez-vous, une « démarche partagée et fédérative qui a pour but de co-construire l’attractivité de notre territoire avec l’ensemble des acteurs qui souhaitent s’y associer. » ce n’est plus une phrase, c’est un bingo de tous les mots creux, pardon, clefs, de notre époque.
...
Attirer “les talents et les créatifs”, mode d’emploi
...
« Talent » est un terme du globish d’entreprise multinationale qui désigne les salariés qualifiés qu’il faut à tout prix garder. ... « Créatif » est un terme quant à lui promu par un géographe médiatique nord-américain au nom de jus de fruit industriel : Richard Florida. ... La région Nouvelle Aquitaine se réclame directement de Florida dans son « guide de bonne pratique » pour des politiques locales d’attractivité : « L’enjeu consiste à amorcer et soutenir le cercle vertueux de l’attrait auprès de la classe créative », explique le document. Cette population que Wikipédia définit comme « urbaine, mobile, qualifiée et connectée », ne comprend clairement pas votre oncle artisan dans les Landes. Lui ne figure pas dans le cercle vertueux que la région compte « amorcer et soutenir ».
Cette classe qui monopolise diplômes, branchitude et montres connectées Apple, nous l’appelons, en France, « les CSP+ » et chez Frustration, la sous-bourgeoisie. Elle est la courroie de transmission entre les possédants et le reste de la société et utilise ses savoirs et son réseau pour garantir aux premiers le meilleur taux de remontée de dividendes. Elle sort de grandes écoles : de commerce, d’ingénieur… Bref, la classe créative ne compte ni votre cousin étudiant en socio, ni votre sœur titulaire d’un CAP.
...
la mise en concurrence officielle des régions, des villes et des pays au sein du grand jeu de plateau pour riches appelé mondialisation ... mettez-moi quelques friches industrielles reconverties en salle de concert / bar à Smoothy, un campus avec un tramway, deux-trois « éco-quartiers » avec terrasses plein sud et tenez bien éloignés de ces zones « attractives » les quartiers où vivent les ouvriers et employés qui feront tourner tout ça.*
“Il faut souffrir pour être attractif”
Des tas d’organismes plus ou moins bidons ont été créés pour gagner la bataille de l’Attractivité. En 2001, L’Agence française pour les investissements internationaux ... Devenue depuis Business France ... dirigée par Muriel Pénicaud, ex ministre du Travail, qui a fait le plus grand pas en faveur de l’attractivité de la France une fois nommée au gouvernement : ses ordonnances travail permettent aux grands groupes d’embaucher en France, puis de licencier quand ça leur chante.
Emmanuel Macron, qui était en 2016-2017 le candidat le plus attractif pour les capitalistes étrangers et exilés fiscaux (envers qui il a multiplié les levées de fonds pour financer sa campagne), est un partisan enthousiaste de « l’attractivité ». Il a lancé un grand plan intitulé « Choose France » (mais pas la langue française) ... permettant aux entreprises d’embaucher et d’investir, en développant l’offre scolaire internationale et en mettant en œuvre la loi PACTE (sur la croissance et la transformation des entreprises). »
La loi PACTE, votée en 2018, est venue « alléger » à nouveau le droit du travail et a lancé la privatisation d’Aéroport de Paris, de la Française des Jeux et ouvert encore un peu plus le capital d’Engie (ex-Gaz de France). ... les gouvernements successifs ont donné des millions d’euros – via le CICE par exemple –, continuent de virer des gens. C’est le cas de Sanofi par exemple, ou de Michelin, qui a utilisé l’argent donné pour acheter des machines et… les envoyer dans ses usines d’Europe de l’Est et d’Espagne. Désolé mais le niveau du SMIC Français n’était pas assez attractif pour leurs actionnaires.
...
Grand match Paris-Bordeaux-Marseille : qui attirera le plus de connards en basket blanches ?
...
les « métropoles » ... Le passage de plusieurs grandes villes aux mains des écolos lors des dernières municipales représenterait-il un coup de frein à la concurrence entre villes pour la quête de CSP+ ? Pas si sûr. Les pistes cyclables, les défis zéro déchets et les façades végétalisées sont devenues essentielles à une classe sociale qui est la plus polluante et la moins désireuse d’en finir avec le capitalisme et qui a donc besoin de verdure et de bicyclettes pour pouvoir se regarder dans le miroir et se kiffer toujours autant. ... des zones répulsives pour tous les autres. Celles et ceux qui travaillent, celles et ceux qui créent, celles et ceux qui vivent et que nos dirigeants mettent à genoux pour produire des villes, régions et pays conformes aux désirs et appétits de la bourgeoisie.
Ndlr : Hypothèse NF a PLPDLA ? vérif ACT