Article abonné - Entretien
Antoine Buéno est essayiste, auteur de "Futur, notre avenir de A à Z" (Flammarion). Pour lui, le Covid nous place dans une situation inédite d’arbitrage entre les deux piliers de notre civilisation, progrès et humanisme.
Marianne : L’hypothèse selon laquelle la crise sanitaire s’inscrirait dans la durée vous semble-t-elle crédible ?
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Clés : Coronavirus ; Justice
L’histoire retiendra-t-elle que l’épidémie de COVID-19 a été un moment-clé dans un processus de basculement autoritaire de la société française ? De fait, ces dernière semaines, l’attention de l’opinion publique française a surtout été captée sur la crise sanitaire, et sur la sordide comptabilité des morts. Certes, les images de violences policières “radicales” continuaient de se propager sur les réseaux sociaux en plein confinement. Mais ce n’était manifestement que la face émergée de l’iceberg. C’est en tout cas ce que pense Raphaël Kempf.
Raphaël Kempf est avocat au barreau de Paris, spécialisé en droit pénal, auteur du livre “Ennemis d’état” paru aux Editions La Fabrique. Il est aussi auteur d’un article intitulé "Et le gouvernement décida de confiner les libertés", paru dans la dernière édition du Monde Diplomatique. Pour lui, le choix du gouvernement, qui a été celui d’installer un état d’urgence, comme après des attentats terroristes, ne s’imposait pas. Et ce choix a accouché de nombreuses violations de nos droits fondamentaux. Il pointe notamment la prolongation administrative de la détention provisoire pour les prévenus. Pendant le confinement, explique Raphaël Kempf, la police a été mise en situation de fabriquer la loi et d’exercer la justice. Un confinement qui est en train d’être progressivement levé, alors que l’état d’urgence sanitaire demeure. Pour éviter une seconde vague, le gouvernement a mis en place des dispositifs de traçage du virus, comme l’application StopCovid et les bridages sanitaires. Pour Raphaël Kempf, ces dispositifs sont de vraies menaces pour les libertés publiques.
Aussi à https://my.framasoft.org/u/ind1ju/?Gh1n-A
prolong(ation)(é)(e)(ment)(s) arbitr(a)(g)(é)(ir)(e)(s)
i à https://my.framasoft.org/u/ind1ju/?Ui-GVA
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Ce système de tribunaux d’arbitrage - nommés Investor-State Dispute Settlement (ISDS) existe déjà, mais l'Union Européenne veut l'étendre. Pour toute mesure qui pourrait réduire leurs profits, il permet aux multinationales de poursuivre les gouvernements tout en exigeant des milliards d’euros en compensation. Grâce à ces tribunaux, ils ont attaqué des Etats qui tentaient d’augmenter le salaire minimum, de geler les tarifs d’accès à l’eau potable pour aider les plus démunis, ou enfin de stopper l’extraction d’énergies fossiles [3].
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Plus de 3400 traités de commerce et d’investissement protègent les multinationales et leur permettent d’attaquer en justice des Etats par l’intermédiaire d’un système de justice parallèle, l’arbitrage investisseur-Etat. Aucun domaine n’est épargné par ces grandes entreprises qui remettent tour à tour en cause des politiques publiques d’intérêt général relatives à la santé, la fiscalité, l’environnement, le salaire minimum… Ce sont plus de 900 cas d’arbitrage qui sont ainsi recensés !
A l’inverse, aucun traité international ne les contraint à respecter les droits humains et l’environnement.
Les entreprises multinationales ne doivent plus disposer de tels privilèges. Au contraire, elles doivent être soumises à de nouvelles règles, pour les contraindre à respecter les droits humains et l’environnement tout au long de leur chaîne de valeur.
Alors que se profilent à l’horizon diverses négociations internationales et européennes, les citoyens ont une opportunité inédite pour mettre fin à l’arbitrage investisseur-État, et pour soutenir l’adoption de réglementations contraignantes au niveau européen et onusien et garantir l’accès à la justice pour les peuples et communautés affectés par les abus des entreprises multinationales.
Mardi 22 janvier 2019, au lendemain de la réception à Versailles de 150 dirigeants de multinationales par Emmanuel Macron, et en marge de l’ouverture du sommet de Davos, une large coalition d’organisations européennes engagées en faveur de la protection des droits humains, des libertés publiques, de l’environnement et des biens communs lance une grande campagne pan-européenne de mobilisation citoyenne afin de promouvoir une refonte de l’ordre juridique international relatif au commerce, à l’investissement et au respect des droits humains par les multinationales.
Cette campagne réunit plus de 150 associations, syndicats et mouvements sociaux, issus de plus de 16 pays européens.
En France, 42 associations, syndicats et mouvements sociaux ont déjà rejoint la mobilisation