Durée de lecture : 9 minutes - Enquête — Énergie
Pour subvenir à ses besoins en électricité verte, l’Allemagne veut couvrir ses espaces maritimes d’éoliennes. Au risque d’impacts sur la biodiversité marine. [4/4]
Vous lisez la partie 4 de l’enquête « En Allemagne, la transition à tout prix ». Relisez la partie 1, la 2 et la 3.
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regroupement de trois parcs éoliens, baptisé « Baltic Hub », est le plus grand jamais construit en mer Baltique : d’une capacité de 1,1 gigawatt, soit l’équivalent d’une grande centrale nucléaire, il alimentera au total plus de 1 million de ménages. Traditionnellement implantée en Amérique latine, la compagnie espagnole Iberdrola investit pas moins de 3,5 milliards d’euros dans le projet. Et ne compte pas s’arrêter là. « L’Allemagne est devenue un marché essentiel pour nous », confirme Iris Stempfle, directrice de la filiale locale
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l’éolien en haute mer. Les parcs se situent au moins à 30 kilomètres des côtes, contre seulement 12 pour le parc français qui vient d’ouvrir au large de Saint-Nazaire. « Au départ, il s’agissait de s’adapter aux contraintes locales », explique Karina Würtz, directrice de la Fondation pour l’éolien offshore, qui dépend du ministère fédéral de l’Environnement. Une grande partie du littoral est en effet protégée, à l’instar de la réserve de biodiversité de la mer des Wadden, en mer du Nord. Aucune éolienne ne peut y être construite.
S’éloigner des côtes rend les chantiers plus complexes et plus coûteux. Mais ce qui était perçu, au départ, comme un inconvénient est devenu un atout : la régularité et la force des vents en haute mer sont bien plus importantes que sur le continent ou même le littoral. Les éoliennes produisent non seulement davantage de courant, mais de façon plus continue
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Des eaux trop petites
Le défi n’en reste pas moins immense. L’Allemagne, qui compte déjà plus de 1 500 turbines en mer du Nord et en Baltique, veut multiplier par neuf ses capacités de production d’électricité offshore. L’objectif est d’atteindre 30 gigawatts (GW) en 2030, puis 70 GW en 2045. C’est bien plus que la France, qui vise 40 GW en 2050. L’accélération du déploiement des turbines nécessite « un énorme effort collectif », reconnaît le vice-chancelier écologiste Robert Habeck.
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le gouvernement compte avant tout sur la simplification administrative. Comme tous les renouvelables, les éoliennes marines ainsi que les infrastructures associées (réseaux, plateformes de conversion électrique… ) sont désormais classées d’« intérêt public majeur » au service de la « sécurité nationale ». À compter du 1er janvier 2023, leur construction deviendra prioritaire afin d’accélérer les procédures. Les parcs ne seront plus subventionnés par l’État, mais l’assurance de la rentabilité des projets et de la stabilité juridique doit séduire les entreprises.
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Dans son bureau de la ville portuaire de Hambourg, Kai Trümpler est fier que l’Allemagne soit le numéro 3 mondial de l’éolien marin derrière la Chine et le Royaume-Uni, en dépit, dit-il, d’un espace maritime « minuscule ». La zone économique exclusive (ZEE) s’étend en effet sur quelque 33 000 km2, soit 300 fois moins que la France.
Au sein de l’Office fédéral de la navigation maritime et de l’hydrographie (BSH), ... déterminent les zones où les parcs éoliens ont le droit de s’installer. Cartes à l’appui, le fonctionnaire montre les zones réservées à d’autres usages comme le trafic maritime, les exercices militaires, la recherche scientifique ou encore les parcs naturels. Impossible d’y toucher ; ce sont donc les pêcheurs, peu puissants outre-Rhin, qui devront faire de la place. Pour atteindre les nouveaux objectifs, « environ 20-25 % de la ZEE de la mer du Nord » sera désormais dédiée aux parcs éoliens
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Durée de lecture : 10 minutes - Clés : Énergie Ukraine
L’Allemagne est contrainte, en urgence, de miser sur des énergies fossiles dont elle veut pourtant se débarrasser. Quitte à mettre en danger ses objectifs climatiques. [2/4]
David Dresen a des raisons de se réjouir. Sa coquette maison de briques rouges, typique de la campagne rhénane, ne sera pas détruite. Par un accord passé au mois d’octobre avec les autorités, le géant allemand de l’énergie RWE a renoncé à exploiter le sous-sol riche en charbon de Kuckum, son village natal, ainsi que celui de quatre autres communes avoisinantes. L’aboutissement d’un long combat pour la famille Dresen.
Pourtant, David est « en colère », « extrêmement déçu ». À quelques kilomètres de chez lui, son compagnon de lutte, l’agriculteur Eckardt Heukamp, n’a pas eu sa chance. Le dernier habitant du hameau de Lützerath a bel et bien été exproprié. La localité doit être rasée cet hiver pour agrandir la mine à ciel ouvert de Garzweiler II. « Avec cet accord, le gouvernement autorise RWE à extraire 280 millions de tonnes de charbon supplémentaires d’ici 2030, déplore David Dresen, devenu le porte-parole de l’association Alle Dörfer bleiben (Tous les villages restent). Cela revient à dire adieu à l’engagement de l’Allemagne de contenir le réchauffement planétaire à 1,5 °C. » Garzweiler II est l’une des 425 « bombes climatiques » mondiales, selon les scientifiques.
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Pour tenir ses objectifs climatiques, Berlin s’est engagée à fermer Neurath ; sur ses sept unités de production, deux ont cessé de produire. Trois autres étaient censées les rejoindre cette année. Mais il n’en sera rien. L’accord du mois d’octobre permet à RWE d’exploiter les unités C, D et E de Neurath jusqu’en mars 2024.
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décision ... prise par le parti ... les Verts, membres de la coalition tripartite qui dirige l’Allemagne depuis un an, aux côtés des sociaux-démocrates du SPD et du parti de droite libérale FDP. Du côté du gouvernement, on assume. « C’est une décision amère, mais indispensable », selon l’écologiste Robert Habeck, ministre fédéral de l’Économie et du Climat. Hors micro, des interlocuteurs nous glissent que les autorités ne veulent pas prendre le risque de se fâcher avec un acteur aussi puissant que RWE, appelé à jouer un rôle majeur dans l’éolien marin et l’hydrogène vert.
L’Allemagne « appuie sur tous les boutons »
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Claudia Kemfert de l’Institut pour la recherche économique (DIW). Freinées sous les gouvernements Merkel, les renouvelables représentent aujourd’hui moins de la moitié du mix électrique allemand — encore trop peu pour répondre à une augmentation massive et soudaine de la demande. En outre, aucun parc photovoltaïque ou éolien ne fait partie de la « réserve de sécurité » dont l’Allemagne dispose en cas de coup dur.
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« À court terme, garantir l’approvisionnement en énergie est la mission prioritaire de l’Allemagne », a expliqué le 22 novembre Robert Habeck
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En cause, notamment : les défaillances du parc nucléaire français, qui enregistre une production au plus bas depuis trente ans. Pour compenser, l’Allemagne doit produire plus. Depuis le début de l’année, elle a exporté massivement vers la France (15 térawattheures, TWh)
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« Au troisième trimestre, il a manqué plus de 30 TWh français sur le marché européen », observe Bruno Burger, chercheur à l’institut Fraunhofer et créateur du site Energy Charts. À Berlin, on s’inquiète de voir EDF repousser la réouverture de ses centrales et on redoute de devoir compenser d’autant plus longtemps le déficit français.
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En complément du charbon, les écologistes ont aussi, après des débats houleux, accepté de jouer les prolongations avec le nucléaire. Le parlement a donné son feu vert à une exploitation des trois dernières centrales nucléaires du pays au-delà du 31 décembre 2022, date fixée initialement pour la fin définitive de l’atome. Représentant moins de 5 % du mix électrique actuel, les trois sites fonctionneront jusqu’au 15 avril 2023, le temps d’épuiser les barres de combustibles entamées.
« On saute sur n’importe quelle source d’énergie »
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talon d’Achille de l’Allemagne : son addiction au gaz naturel russe, bon marché et acheminé directement par gazoduc. Dépendante de cette énergie fossile pour son industrie et le chauffage, la première économie d’Europe se voit aujourd’hui contrainte non seulement de faire tourner davantage de centrales à charbon pour économiser la ressource, mais aussi de courir après une alternative encore plus polluante : le gaz naturel liquéfié, issu notamment de la fracturation hydraulique aux États-Unis.
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« J’ai le sentiment que le gouvernement cède à la panique, déplore Constantin Zerger, expert en énergie de l’association environnementale Deutsche Umwelthilfe
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Le déploiement des renouvelables doit aller trois fois plus vite qu’auparavant, pour viser un mix électrique renouvelable à 80 % d’ici huit ans. Les infrastructures liées aux renouvelables sont désormais classées d’« intérêt public majeur »
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plan de sobriété énergétique : corrigée des variations saisonnières, la consommation d’électricité a baissé de 7,5 % en octobre par rapport à l’an passé
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Dans le bassin minier rhénan, les autorités ont avancé la fin de l’exploitation du charbon à 2030, contre 2038 auparavant.
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pour remplacer à terme le gaz naturel, le gouvernement assure que les futurs terminaux méthaniers pourront être utilisés pour approvisionner l’Allemagne en hydrogène vert. « La coalition au pouvoir a fait plus en un an pour la transition énergétique que les gouvernements précédents en dix ans », juge le climatologue Manfred Fischedick. La stratégie emporte l’adhésion : 86 % des Allemands sondés sont favorables à davantage de renouvelables.
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« Les premiers effets ne seront vraiment visibles qu’à partir de 2024-2025 », souligne toutefois Muriel Gagnebin, experte en énergie du groupe de réflexion Agora Energiewende
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Pas de quoi rassurer les défenseurs du climat. La Deutsche Umwelthilfe de Constantin Zerger a déposé un recours contre le gazoduc en construction pour connecter le terminal GNL de Wilhelmshaven au réseau national. Quant à David Dresen, il espère encore faire plier les autorités pour éviter la destruction du hameau de Lützerath. Dans une pétition, 10 000 personnes se sont déclarées prêtes à lui prêter main forte. Au rythme actuel, l’Allemagne manquerait « largement » ses objectifs climatiques en 2030, alerte le comité d’experts pour le climat mandaté par le gouvernement.
Ndlr : que représente 15TWh de conso élec en Fr. ? ACT
Durée de lecture : 7 minutes - Énergie Monde
La nouvelle coalition allemande a défini la politique énergétique du pays. L’éolien et le solaire représenteront 80 % de la production d’électricité en 2030. Et la neutralité carbone est visée en 2045.
Berlin (Allemagne), correspondance
C’était une promesse des Verts allemands durant la campagne électorale. La sortie du charbon, initialement prévue en 2038, sera avancée à 2030, selon le contrat de coalition présenté mercredi 24 novembre par les futurs dirigeants outre-Rhin : les sociaux-démocrates du SPD [1], les libéraux démocrates du FDP [2] et l’Alliance 90/Les Verts (Grünen/Bündnis 90’).
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Notes
[1] Sozialdemokratische Partei Deutschlands
[2] Freie Demokratische Partei
Durée de lecture : 14 minutes - Énergie Europe
Pendant plus d’une décennie, les lobbies fossiles ont usé de leur influence pour ralentir le développement des renouvelables, largement portés par des mouvements citoyens. [1/4]
Vous lisez la première partie de l’enquête « En Allemagne, une transition à tout prix ». La suite sera publiée demain.
Berlin, correspondance
La neutralité carbone est-elle une utopie ? Pas du tout, répondent les habitants de Rhein-Hunsrück, à l’ouest de Francfort. Eux l’ont réalisée. Les émissions de CO2 de leur canton, qui s’élevaient autrefois à 690 000 tonnes par an, sont nulles depuis 2018. Un succès fait de sobriété énergétique et d’abandon des énergies fossiles : éoliennes, panneaux solaires et déchets végétaux alimentent en électricité et en chauffage les quelque 100 000 habitants du canton. Le surplus est revendu sur le marché, les millions d’euros de bénéfices en sont redistribués entre les communes et les coopératives citoyennes. « Chacun tire profit de la transition, ça génère une très forte acceptation », explique Frank-Michael Uhle, en charge des questions climatiques au sein du canton.
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l’unique canton neutre en carbone outre-Rhin
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Le pouvoir des lobbies
« Les coopératives ne suffisent plus, il faut organiser les choses de manière professionnelle », assurait en 2018 Bernd Westphal, porte-parole du SPD, le parti social-démocrate qui cogouverna avec le parti conservateur durant trois des quatre mandats d’Angela Merkel. Sur ce sujet comme sur le reste, le gouvernement reprenait l’argumentaire des énergéticiens : le coût des renouvelables, le risque de manquer d’électricité, ou encore le coût social de la disparition des emplois liés au charbon — ils n’étaient qu’à peine plus de 26 000 à l’époque.
Tous les moyens semblaient bons pour influencer les choix politiques. Commandes d’études orientées [1], invitations de dirigeants à des voyages, offres d’emploi grassement rémunéré… et même des pratiques illégales, comme l’a révélé « l’affaire RWE » de 2004 : deux dirigeants de la CDU d’Angela Merkel furent contraints à la démission après que la presse ait révélé qu’ils avaient indûment perçu des dizaines de milliers d’euros de la part de l’énergéticien. En Rhénanie, où RWE exploite des mines, près de 200 élus locaux étaient alors des salariés de la société.
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Notes
[1] Comme cette étude qui, avec des calculs nébuleux, affirmait que 1 emploi sur 3 dans l’énergie dépend du charbon. https://www.iwkoeln.de/studien/roman-bertenrath-cornelius-baehr-thilo-schaefer-strukturwandel-in-den-braunkohleregionen.html