A la fameuse qualité de vie au travail, Yves Clot, professeur émérite au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) préfère… la qualité du travail. Son dernier ouvrage, Le prix du travail bien fait (La Découverte, 2021), devrait inspirer les préventeurs dans la lutte contre les risques psychosociaux.
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On se base sur une clinique, qui est notre marque de fabrique depuis longtemps, selon laquelle la performance réelle n’est pas vouée à détruire la santé. La performance n’est pas seulement le chiffre comptable mais aussi bien l’efficacité du geste, la qualité du produit ou la possibilité individuelle et collective de se reconnaître dans ce qu’on fait.
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trois expérimentations que nous avons conduites dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, un Ehpad, en Normandie, à l’usine automobile Renault de Flins et avec les éboueurs de la ville de Lille.
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mes coauteurs Jean-Yves Bonnefond, Antoine Bonnemain et Mylène Zittoun
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l’intelligence collective ... Le collectif inter-hôpitaux a questionné le pouvoir de décision sur l’organisation des soins. Les soignants ont pu prendre des libertés avec leurs habitudes de travail, ils ont relevé la tête : développer son pouvoir d’agir procure un vrai plaisir éthique.
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Quand, dans le cadre de la méthode dialogique que nous utilisons, on demande à chacun d’évaluer les critères de qualité de son propre travail, au sein du collectif ou avec la hiérarchie, ceux-ci deviennent discutables par les autres (voir l’encadré). Le destin de ce conflit n’est pas écrit, et on n’a aucune certitude de trouver une solution en bout de course.
Le prix à payer, c’est donc d’abord la remise en cause de ses propres manières de faire. C’est ainsi qu’un collectif peut acquérir le crédit nécessaire pour faire autorité auprès des directions. La reconquête du pouvoir d’agir sur les choses fait reculer le pouvoir sur autrui dont abusent trop de directions. Sans cela, il n’y a pas de vraie transformation du travail.
Le terme de conflit effraie en entreprise. Pourquoi est-il selon vous essentiel ?
Y. C. : S’il y a trop de conflits « effrayants », c’est qu’il n’y a pas assez de conflits de critères autour du travail bien fait. Lorsque ces derniers sont refoulés, ils empoisonnent les rapports entre directions, encadrement, salariés, clients ou usagers.
Notre clinique permet justement d’organiser le dialogue sur ces conflits de critères. Il conduit à des arbitrages, qui sont le produit de cette confrontation. Arbitrages qui, soumis à l’épreuve de l’expérience, sont réversibles s’ils ne font pas leurs preuves sur le terrain. C’est cette coopération conflictuelle sur le travail bien fait que nous défendons, plus propice à l’action collective, loin des compromis factices du « dialogue social ».
Vous dressez un inventaire critique de tout ce qui se fait depuis des années sur les risques psychosociaux. Pourquoi rien ne marche-t-il réellement ?
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Notre intervention consiste à « casser » cette division dans l’activité de direction. Nous mettons plutôt sur la table la manière d’organiser la performance. Trop souvent, les acteurs de prévention acceptent que les directions opérationnelles conservent le privilège de définir l’efficacité, plaçant donc cette question hors d’atteinte dans la discussion. Mais si on n’institue pas le conflit de critères au cœur des décisions qui engagent le travail concret, on ne fait que du palliatif.
Votre méthode mise beaucoup sur les « référents métiers », ces salariés élus pour représenter leurs pairs dans les échanges avec le management. Pourquoi ?
Y. C. : Quand le collectif a fait ses preuves dans l’examen des situations, son analyse – qui force souvent le respect mais peut aussi appeler l’objection – mérite d’être rediscutée avec les dirigeants. L’expérience nous a appris que cette discussion est possible « en direct » avec des interlocuteurs désignés dans les collectifs. Ces « référents métiers » instruisent les dossiers du travail réel. Ils doivent apprendre, et les hiérarchies aussi, à tenir le choc du dialogue, un peu comme les intervenants que nous sommes. Notre livre explique comment cette fonction de référent a vu le jour dans l’action, jusqu’à l’élection par les pairs pour assurer leur légitimité.
Les référents ne font-ils pas concurrence aux élus du personnel ?
Y. C. : Il ne s’agit pas de créer un canal bis de représentation des salariés. Il y a un risque mais les référents représentent le travail. L’originalité des expérimentations conduites est qu’elles se font en présence des organisations syndicales ; ces dernières jouent un rôle de tiers entre le management et les référents pour éviter le face-à-face. C’est un préalable pour nous.
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Votre ouvrage se termine sur une vision plus politique, celle d’une écologie du travail ... nous cherchons à faire du travail quelque chose de civilisateur.
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Les auteurs du livre se sont d’abord immergés dans le quotidien ... l’« auto-confrontation simple » ... l’« auto-confrontation croisée » ... « débats d’écoles » ... l’aptitude des salariés à changer de point de vue dans le dialogue. Montrées aux dirigeants, elles poussent ces derniers à manifester une capacité réciproque de changement. En tout cas, une prise de conscience s’opère : les travailleurs faisant preuve de créativité, le sommet de l’organisation doit attester de la même capacité d’initiative. Voilà qui ouvre la voie aux transformations possibles. Sentinelles de la qualité du travail, les référents métiers, élus par leurs pairs, listent les problèmes, instruisent les solutions collectives et les valident auprès de leurs collègues.