Résumé
Alors que les limites planétaires sont dépassées les unes après les autres, un récit mortifère opposé fleurit tout de même : celui de l’illimitisme, la croyance dans la toute-puissance des capacités humaines, la croyance dans un progrès sans fin...
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Il y a 50 ans paraissait un rapport scientifique rédigé par une équipe du MIT supervisée par le chercheur Dennis Meadows, qui évaluait pour la première fois l’impact de l’activité́ humaine sur notre planète.
Ce rapport intitulé Les limites à la croissance, publié en 1972, était sans appel : poursuivre la croissance économique, qui va de pair avec une consommation toujours plus grande des ressources planétaires, mène inévitablement à une impasse au cours du XXIe siècle.
Pourtant l’époque Anthropocène se caractérise plutôt par une perte du sens des limites, avec l’illusion de l’infini induite par les puissances thermo-industrielles extractivistes.
Incarné par un Jeff Bezos et un Elon Musk (« only the sky is the limit »), l’illimitisme vise à conjurer les limites de la Terre et les menaces d’effondrement climatique par la croyance en la toute puissance de l’innovation, incarnée par le transhumanisme.
Comment un tel récit s’est-t-il construit ? Dans un contexte de contraction des ressources et de déséquilibre climatique peut-on espérer le dépasser pour le remplacer par un récit soutenable ?
Nous en parlons avec notre invité Johann Chapoutot, historien professeur d’histoire contemporaine à la Sorbonne spécialiste du nazisme et la modernité occidentale. Auteur du livre Le Grand récit, aux PUF, il va publier prochainement un tract Gallimard avec Dominique Bourg « Manifeste contre l’impuissance publique ».
Depuis maintenant près de 4 milliards d'années, notre planète a la chance de se situer dans une zone habitable par rapport au soleil. Ce qui a été fondamental dans l'apparition de vie biologique. Aujourd'hui, ce sont les conditions même d'habitabilité de la Terre qui posent problème en raison d'un grand nombre de limites planétaires qui ont été dépassées et qui deviennent critiques pour notre humanité. Que signifie justement ce concept de limites planétaires ? Comment résonne-t-il dans un contexte où nos modes de vie restent ancrés dans un modèle de progrès sans fin ?
Le rapport Meadows
Il y a 50 ans, paraissait le rapport scientifique Meadows qui évaluait pour la première fois l'impact de l'activité humaine sur notre planète. Un rapport a la diffusion planétaire qui a eu de véritables effets cognitifs et politiques, d'abord aux États-Unis où il y a eu une véritable prise de conscience, qui a commencé sous la présidence Nixon. Selon Johann Chapoutot, le gouvernement français actuel est plus à droite que Nixon, qui lui avait encouragé les politiques environnementales aux Etats-Unis : « L'identification de la planète comme système cohérent et global date du XIX siècle avec la naissance de l'écologie comme science. À l'époque, l'effet de serre, par exemple, a été identifié par des physiciens français en 1824. Deux siècles plus tard, notre président de la République dit que la solution, c'est de produire plus. Cela veut dire que depuis la parution du rapport Meadows qui a été une onde de choc, nous n'en avons tiré aucune leçon. »
Un parallèle entre le nazisme et le capitalisme face à l'écologie
Pour Johann Chapoutot « toutes les dictatures ont toujours été liées aux industries d'extraction fossile. Il y a une espèce de conjonction de sympathie entre les intérêts politiques dictatoriaux d'un côté, et l'accumulation délirante de capital des compagnies de l'autre. À l'époque, le nazisme, avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, c'était encore une expérience politique et sociale, mais aussi biologique et eugéniste que les élites regardaient avec beaucoup de sympathie et d'intérêt. Il se passe la même chose actuellement avec la Chine. »
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Le dépassement des limites planétaires
D'après les plus récents rapports du GIEC, sept limites planétaires sur neuf ont été dépassées. Une situation unique dans l'histoire de l'humanité. Mais y a-t-il un moyen de revenir en arrière ? Quel est le rôle du capitalisme sur ce dépassement ? L'idée, défendue par de nombreux autres historiens, est que le génocide, et par extension les crimes contre la nature, sont le stade suprême du capitalisme.
D'après Johann Chapoutot « nous sommes dans un capitalisme qui est complètement délié de tout principe moral et qui prône l'accumulation, l'enrichissement. C'est une course aux profits qui est complètement décorrélée de toute quête spirituelle, intellectuelle, artistique, de tout rêve, de toute ambition proprement humaine. C'est déjà ce qui est en train de se produire. On le voit avec la Coupe du Monde dans des stades climatisés au Qatar en plein désert, qui ont été construits au prix de 6 à 15 000 morts. »
"L'illitisme"
Dans cette émission, Johann Chapoutot évoque "l'illitisme" : au paroxysme du progrès, il y a l'illimité : « Auparavant, on parlait de progrès, désormais, on parle d'innovation, c'est le mot à la mode qui d'ailleurs, permet de dire que si tout est limité, il y a quelque chose qui est illimité : c'est la matière grise, humaine et l'intelligence qui nous permettra de nous en sortir. Mais le fait que l'intelligence supposée soit incarnée par des milliardaires immatures et prédateurs, je trouve cela quand même assez inquiétant. »
Thèmes associés Sciences et savoirs Sciences Croissance économique
L'équipe
Mathieu Vidard, Production - Valérie Ayestaray, Réalisation ; Chantal Le Montagner, Collaboration ; Anna Massardier, Collaboration : Lucie Sarfaty, Collaboration ; Thierry Dupin, Collaboration ; Camille Crosnier, Journaliste
Ndlr : complété pour la rediffusion du 26/12/22