L’inondation de carrières de quartz aux Etats-Unis fait trembler le monde des semi-conducteurs et du solaire
[Matière à penser] Les inondations causées par l’ouragan Hélène dans la ville américaine de Spruce Pine, en Caroline du Nord, sont scrutées de près par l’industrie. La zone est la seule au monde à produire du quartz de très haute pureté quasi indispensable à la production de silicium pour les semi-conducteurs et les panneaux solaires. Les stocks et les solutions alternatives devraient prévenir tout impact notable.
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04 octobre 2024 \ 09h00 / Nathan Mann
4 min. de lecture
L’inondation de carrières de quartz aux Etats-Unis fait trembler le monde des semi-conducteurs et du solaire
© The Quartz Corp
Les carrières et les usines de quartz de Spruce Pine produisent un matériau très pur, crucial pour les industriels de l'électronique et du photovoltaïque.
On a beau le savoir, la dépendance de certains secteurs industriels à une poignée de sites ultra-spécialisés – qui servent de base aux productions les plus complexes et alimentent les chaînes de valeur les plus longues – ne finit pas d’étonner. Dernier épisode en date : les inondations que connaît la ville américaine de Spruce Pine, en Caroline du Nord, à la suite du passage de l’ouragan Hélène fin septembre. En quelques jours, les médias américains se sont enflammés. Redécouvrant un secret bien gardé de l’industrie du silicium, le matériau de base des puces électroniques, des panneaux solaires et des fibres optiques : son extrême dépendance au quartz de très haute pureté (ou HPQ) extrait dans cette petite zone de la chaîne de montagne des Appalaches.
Imerys, Norsk Mineral et Sibelco affectés
La catastrophe, renforcée par le réchauffement climatique, a entraîné la destruction de nombreuses infrastructures, y compris routières, ferroviaires et électriques. Les deux entreprises qui produisent du quartz très haute pureté à Spruce Pine ont été touchées. «A partir du 26 septembre, nous avons temporairement mis en pause les opérations dans nos installations », écrit le belge Sibelco, sans donner de date de reprise. Le groupe, très discret, qui ne publie pas ses chiffres de production, est considéré comme le principal producteur de quartz de très haute pureté du monde. En 2023, l’entreprise avait annoncé investir 200 millions de dollars pour doubler la production de ce minéral critique à Spruce Pine.
Chez son homologue The Quartz Corp (TQC), la tonalité est la même. Cette coentreprise entre le groupe norvégien Norsk Mineral et son homologue français Imerys (auquel cette activité a rapporté 80 millions d’euros d’Ebitda en 2023), est l'autre à exploiter le quartz de la région. Peu portée sur la publicité, elle ne détaille pas non plus sa production et son outil industriel mais souligne sur son site internet la qualité de vie à Spruce Pine, où l’on compterait pas moins de 60 brasseries locales.
«Il est encore trop tôt pour évaluer quand TQC pourra reprendre ses opérations, car cela dépendra de la reconstruction des infrastructures locales», explique l’entreprise. Le groupe estime par email qu'une première inspection visuelle laisse penser que ses installations «ont été plutôt bien préservées», mais que sa capacité «à redémarrer les opérations dépendra aussi largement des infrastructures environnantes».
Creusets du numérique
Pourquoi se soucier de ces quelques carrières, alors que plus de 300 millions de tonnes de quartz (aussi désigné sous le nom de silice) sont extraits chaque année dans le monde ? Comme le raconte un long article du journal américain Wired paru en 2018, le quartz du coin, issu de pegmatites, est unique au monde. Géologiquement, il comporte très peu d’impuretés et possède une structure cristallographique qui permet de le purifier encore davantage via différents procédés notamment des attaques acides. De quoi permettre à Silbeco et TQC de produire du sable de quartz ultra-pur (ou HPQ), composé d’oxyde de silicium à 99.999% pour les qualités les plus élevées.
Ce matériau, inerte chimiquement et qui ne fond pas à des températures inférieures à 1700°C, est indispensable aux producteurs de wafer en silicium, ces tranches de métal semiconducteur qui servent de substrat aux puces électroniques et aux panneaux solaires. Pour produire du silicium ultra-pur (à 99,999999999% parfois) et lui donner la composition cristalline qu’ils souhaitent, cette industrie a besoin de creusets en quartz ultra-pur. Ces récipients en forme de bols, d’un blanc laiteux, lui permettent grossièrement de fondre et de transformer le silicium métallique sans risque que les parois ne le contaminent (au cours d’un procédé dit de Czochralski).
Des stocks suffisants
C’est pour cette étape vitale que le quartz de Silbeco et TQC est sans rival ou presque. Selon Bloomberg NEF, les deux usines actuellement à l’arrêt produisent autour de 20000 tonnes par an et sont à la source de l’ordre de 80% du marché actuel, qui alimente notamment le solaire pour des questions de volume. D’où un certain alarmisme, puisque sans creusets, ce sont toutes les industries des puces et du photovoltaïque qui seraient contraintes de s'arrêter. Nous n'en sommes pas encore là : l’existence de stocks de quartz, creusets et wafer devrait alléger le choc à court et moyen terme, notent les industriels du secteur.
«Nos fournisseurs de creusets ont assez de stocks pour répondre à nos besoins. La chaîne d’approvisionnement est assez résiliente pour faire face à une perturbation», a ainsi affirmé le géant taïwanais des puces TSMC auprès de BNN Bloomberg. «Notre compréhension est qu’il existe suffisamment de stocks de sécurité dans la chaîne d’approvisionnement pour atténuer les risques à court-terme. Qui plus est, Siltronic maintient ses propres stocks de sécurité de matériaux à base de quartz pour amortir les fluctuations de court-terme», precise aussi l’allemand Siltronic, un grand fabricant de wafers en silicium, dans un message à l’Usine Nouvelle.
«Cette histoire a pris une importance démesurée. Les stocks vont supporter l'industrie jusqu'à ce que les mines rouvrent, ou que la production de quartz synthétique augmente», réagit aussi Jenny Chase, analyste chargée du solaire chez Bloomberg NEF dans un message électronique à L'Usine Nouvelle. Le groupe Mitsubishi, par exemple, peut déjà produire du quartz analogue à celui de Spruce Pine, mais «avec des coûts significativement plus élevés et une capacité limitée», note l'analyste. D'autres entreprises, en Chine (Jiangsu Pacific Quartz) et en Russie (Russian Quartz) peuvent aussi produire du quartz de haute pureté, mais pas forcément de la qualité de celui de Spruce Pine.
Le redémarrage des industriels du quartz américain sera donc scruté de prêt. «La rareté du quartz haute pureté va inévitablement provoquer une hausse des prix substantielle», prévoit ainsi Oddo BHF dans une note récente. L’analyste de la banque d’investissement, qui avait déjà souligné la valeur de cette activité quartz haute pureté pour Imerys, juge que la dynamique devrait favoriser TQC, dont la raffinerie est en Norvège et peut continuer à fonctionner. Par email, TQC précise : «Quartz Corp opère au sein de chaînes de valeur longues, où tout le monde a appris durant le Covid l’importance d’avoir des stocks de sûreté conséquents. Entre nos propres stocks de sûreté à différents endroits et ceux en aval de la chaîne de valeur, nous ne sommes pas préoccupés par le risque pénuries à court ou moyen terme».
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