Comment aller vers la sobriété dans un monde de surconsommation ? ©Getty - RapidEye
Série « « Je rêvais d’un autre monde » »
Depuis la rentrée, le mot sobriété est sur toutes les lèvres… Mais dans quelle mesure est-on vraiment prêt à la sobriété dans un monde où le fonctionnement même de la société et de l’économie est basé sur la consommation ?
Il y a 50 ans paraissait un rapport rédigé par Dennis et Donella Meadows : Les limites à la croissance. Ce livre, qui reste une référence encore aujourd'hui, mettait en évidence les risques d'effondrement de nos sociétés si ces dernières continuaient à afficher la poursuite de la croissance comme objectif.
À réécouter : 1972, le rapport Meadows : premier cri d’alarme pour la planète Affaires sensibles 54 min
Sauf que, 50 ans plus tard, force est de constater que ce rapport n'a pas entraîné de changements majeurs, changements qui auraient pu faire gagner un temps précieux dans la lutte contre le réchauffement climatique. Mais aujourd'hui, la crise écologique et économique que nous traversons pourrait être une opportunité finalement pour entrer dans une nouvelle ère.
À l'occasion de la journée spéciale Vous avez dit sobriété ?, "La Terre au Carré" reçoit Dominique Méda, professeure de sociologie à l'Université Paris-Dauphine, directrice de l’Institut de recherche interdisciplinaire en sciences sociales (université Paris-Dauphine-PSL) et Présidente de l’Institut Veblen.
Alors que les injonctions à la sobriété se multiplient, l'invitée rappelle qu’en matière d’écologie, le pouvoir des seuls individus demeure limité : comment diminuer nos consommations si nous continuons à vivre dans un contexte où tout nous pousse à la surconsommation ? Face aux crises écologiques en cours, nos indicateurs de richesse sont-ils encore pertinents ? Comment en finir avec le mythe de la croissance ?
Sobriété, est-ce le bon terme ?
Selon Dominique Méda, nos sociétés sont fondées sur la croissance – du PIB –, et sont quelque peu schizophrènes, dans le sens où les citoyens sont sans cesse sollicités, et excités par le fait de consommer, par le biais de publicités très peu régulées par exemple, mais il leur est aussi demandé de passer à la sobriété. La chercheuse travaille sur ces questions depuis plusieurs dizaines d'années et affirme que le constat des limites de la planète avait été fait il y a 50 ans sans que des actes ne suivent. C’est "un chantier monstrueux" qui s’annonce.
Alors que le gouvernement n’a de cesse en cette rentrée de parler de sobriété – qui signifie au départ une certaine tempérance dans le fait de boire et de manger – l’invitée s’interroge sur l’emploi de ce mot, dont la connotation "punitive et liberticide" selon elle, peut être questionnable. Elle préfère le mot de post-croissance et parle de l'ère d'une nouvelle abondance. Elle souhaite une société qui n'aurait plus de rapports d'exploitation et de conquête avec la nature, une sorte de ré-encastrement des humains dans la nature. On aurait alors des tas de bénéfices.
Sur le répondeur de "La terre au carré", une grande réflexion sur la terminologie a été menée et les auditeurs et auditrices ont proposé des mots pour décrire le grand défi à venir : "croissance adaptative", "prospérité", "partage équitable des ressources", "consommation éclairée", "pérennité", "harmonie"... Tous ces termes sont alors analysés par l'invitée.
Comment pourrait-on, concrètement, changer les choses ?
Dominique Méda l’annonce d'emblée, il faut des politiques radicales, avec un investissement massif. Les chercheurs disent qu'il faudra consacrer à ces transformations entre 30 à 60 milliards d'euros par an. Elle donne des exemples concrets de chantiers à mener :
- Rénover les bâtiments. "Après, on consommera moins de chauffage. Mais ça coûte hyper cher. Si on veut en faire suffisamment, il faut au moins 15 milliards par an."
- S’occuper des transports. "Ce sont 30% des gaz à effet de serre. Tous les gens qui sont dans la périphérie urbaine, qui ont besoin de leur voiture, il faut remplacer leurs véhicules. Et puis il faut leur donner des moyens alternatifs pour se déplacer. Alors pas nécessairement le vélo, parce que tout le monde ne peut pas se déplacer à vélo mais il faut certainement construire des tramways, des trains, des lignes secondaires, etc. Donc ça, c'est des investissements massifs qui nous permettront en effet de moins consommer d'énergie et de vivre autrement."
- Réformer le monde professionnel. "Créer de nouveaux types d'emplois. On pourrait rompre avec la division internationale du travail. Un produit fait quatre fois le tour du monde avant d'arriver chez nous. On pourrait par exemple avoir des entreprises de taille plus petite, mieux installées, mieux ancrées dans leur territoire, avec des circuits courts. Mais aussi démocratiser le travail, c'est-à-dire avoir des gens qui font d'abord un métier beaucoup plus utile. Et ça, on sait que les gens demandent beaucoup ça aujourd'hui. Un sens dans leur travail. [...]" La chercheuse parle notamment d'augmenter de façon conséquente le nombre d'agriculteurs.
- Selon Dominique Méda, il faut faire comprendre aux plus riches qu’ils doivent faire des efforts et arrêter la consommation ostentatoire. Pour elle, l'on ne peut prôner la sobriété que si on arrive à une sorte de justice dans les efforts. Ceux qui doivent faire les efforts les plus importants, ce sont les plus aisés, parce que les classes les plus modestes, elles, sont déjà à peu près au niveau.
La suite est à écouter...
Dominique Méda publie Faut-il attendre la croissance ? avec Florence Jany-Catrice, qui est paru le 20 septembre à la Documentation française dans une version actualisée.
2030 c’est demain, collectif de l’Institut Veblen, éditions Les petits matins, mai 2022.
À réécouter : Décroissance : solution ou contrainte ? La Terre au carré 53 min
Chroniques Camille passe au vert Que se cache-t-il derrière le mot "sobriété" répété par nos dirigeants ? Face à la menace de pénurie d'énergie, nos dirigeants n'ont plus qu'un mot à la bouche : sobriété. Il faut réduire notre consommation, faire des petits gestes, mais pas question pour autant de produire moins. Pas facile de tout comprendre en se plongeant dans leurs discours. 5 min
Clés : Environnement Économie Consommation Écologie Dominique Méda
La transition écologique des entreprises ©Getty - the_burtons
De nombreuses entreprises prennent conscience des limites planétaires et de la nécessité d'évoluer. Mais est-ce possible au sein d’un modèle de développement économique actuel reposant largement sur l’injonction de « vendre plus pour gagner plus » ?
Avec
- Eric Duverger Initiateur de la Convention des Entreprises pour le Climat
- Dominique Méda Professeure de sociologie à Paris-Dauphine, Productrice chez France Culture
Aujourd’hui, près de 90% des entrepreneurs français déclarent vouloir s’engager dans une transformation à la fois sociétale et environnementale.
Des critères dits « ESG » (environnementaux, sociaux et de gouvernance) ont été conçus pour estimer la manière dont une entreprise prend en considération les questions environnementales et sociales et organise sa gouvernance. De plus en plus utilisés pour aider les investisseurs à prendre leurs décisions, ils sont néanmoins critiqués pour leur trop grand nombre et pour l’absence de transparence dans leur fabrication et leur usage.
Où en sont les entreprises ? Comment accélérer leur transition dans un contexte de limites planétaires dépassées et de fin d’abondance ?
On en parle avec nos invités :
Eric Duverger, fondateur et délégué général de la Convention des entreprises pour le Climat
Caroline Neyron, directrice générale du Mouvement Impact France. Ce mouvement a développé l’Impact Score, un outil permettant d’évaluer l’impact social et écologique de son entreprise.
Dominique Méda, professeur de sociologie à l’université Paris Dauphine, directrice de l’Institut Interdisciplinaire en Sciences Sociales
Réussir à concilier profit et écologie
Si l'on en croit les enquêtes, la très grande majorité des entrepreneurs français déclarent vouloir s'engager dans une transformation à la fois sociétale et environnementale. Cette tendance témoigne d'une prise de conscience croissante de la responsabilité des entreprises face aux enjeux planétaires auxquels nous sommes confrontés.
Cependant, les entreprises restent peu nombreuses à mettre en place des transformations profondes et le modèle économique repose encore sur l'injonction de vendre plus pour gagner plus. Alors, est-il possible de concilier profit et écologie dans le secteur entrepreneurial, en réduisant drastiquement les émissions de gaz à effet de serre et où en sont les entreprises dans cette démarche ?
Le mouvement Impact France
Caroline Néron est directrice générale du mouvement Impact France depuis 2016, un mouvement patronal et d'entrepreneurs qui met l'impact social et écologique au cœur de leur modèle : « Quand j’ai rejoint ce mouvement, il réunissait à peu près 400 entrepreneurs et portait sur des enjeux sociaux et écologiques comme la mobilité verte, le gaspillage alimentaire, l'intégration des réfugiés. Le mouvement a grandi, s'est développé en accueillant de plus en plus d'entrepreneurs dans des parcours de transformation qui se rejoignent sur le fait qu'il faut changer les règles du jeu ».
Réduire 55 % des gaz à effets de serre d’ici 2030 pour les entreprises
La convention des entreprises pour le climat dont Eric Duverger est le fondateur regroupe 700 entreprises. Selon lui : « Les gaz à effets de serre et l’enjeu de décarbonisation sont des sujets importants, mais au sein de la convention, on traite toutes les limites planétaires comme la question de l’eau, des pollutions et plus globalement des ressources ». Pour lui, l'objectif principal est que les entreprises réduisent de 55 % leurs gaz à effets de serre d'ici 2030.
Penser la réussite des entreprises différemment
Dans cette émission, Caroline Neyrou évoque le terme de "licorne à impact" : « Aujourd’hui, on peut penser le développement des entreprises avec d'autres critères. Par exemple, on peut travailler sur l'impact positif et prendre ce curseur comme une nouvelle boussole. Si on garde la seule boussole économique, on ne peut pas évaluer la réussite des entreprises. Il faut à minima en avoir une deuxième. Le terme de licorne à impact sert à caractériser les entreprises qui ont choisi d'avoir en premier la boussole écologique et sociale et qui peuvent devenir des leaders qui changent nos comportements ». La directrice générale du Mouvement Impact France prend l’exemple de Yuka, une application mobile qui permet de scanner les produits alimentaires et d'obtenir une information claire sur l'impact du produit sur la santé, une démarche à la fois écolo et vertueuse : « 40 millions de personnes l’utilisent, et pourtant, l’entreprise ne compte toujours que dix salariés. Ça montre qu’on peut penser la réussite des entreprises différemment ».
À écouter : Nathan Méténier : "Ce qui nous a amenés à cette crise climatique, c'est bien souvent une crise sociale" L'invité de 6h20 6 min
La CSRD, une nouvelle directive obligatoire pour les entreprises
Jusqu’ici la RSE, la responsabilité sociétale des entreprises était le principal baromètre des entreprises, mais pour Dominique Méda, professeur de sociologie, beaucoup d’entreprises disent qu’elles en font, mais il y a un manque de transparence et il est difficile de comparer les entreprises, même s'il y a des labels comme la ESG, pour environnement social gouvernance, sur lesquels les investisseurs jugent des réussites ou des échecs des entreprises : « Tout ça reste un peu flou. Ce qui est intéressant, c’est qu’en 2001, a été votée une nouvelle directive, la CSRD, pour Corporate Sustainability Reporting Directives par l'Union européenne qui va devenir obligatoire. Elle exige qu'un certain nombre d'entreprises, les plus grandes pour l'instant, sortent des chiffres sur ce qu'on appelle la double matérialité, c'est-à-dire à la fois ce que leur environnement fait à leur compte, et ce que les entreprises font à l’environnement. Elles auront donc à rendre des comptes sur une base comparable entre les différentes entreprises. Cela va permettre de guider les investisseurs pour voir celles qui ont un comportement vertueux ou non ».
Des outils plus simples pour ne pas pénaliser les entreprises bio
Pour Caroline Neyrou, l’économie est au centre de cette transition écologique des entreprises : « Aujourd’hui, la compétitivité d'une entreprise est attaquée quand elle engage des transitions écologiques. Il faut bien payer ses salariés, travailler en circuit court, utiliser des produits de bonne qualité et ça coûte. Dans les périodes d'inflation, les entreprises les plus engagées ont des produits qui coûtent potentiellement plus cher, et elles sont donc pénalisées. Actuellement, nous avons des acteurs qui perdent 30 % de leur chiffre d'affaires à cause des enjeux d'inflation, et ces évaluations nous donnent une meilleure compréhension pour aider les entreprises les plus vertueuses ».
Un puissant lobbying pour changer cette directive
Un des principaux freins à cette directive qu’évoque Dominique Méda, c’est un lobbying intense qui fait tout son possible pour que cette directive soit la moins contraignante : « Il y a une lutte silencieuse entre les normes comptables aux États-Unis, qui n'ont pas envie qu'on regarde ce que les entreprises font à l’environnement et les normes européennes vertueuses pour l’environnement qui pourraient s’imposer ».
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Connu / tg 20/2/22 à 11:32