26 août 2024 | Arnaud Viviant | Gauche(s) - Littérature - Parti socialiste
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Il y a peu, je lisais un tweet sur X qui disait : « Un jour on réalisera le mal profond qu’a fait le Printemps Républicain à la gauche et plus largement à l’unité du pays, en rendant acceptable d’avoir des discours et des actions clairement racistes et xénophobes sous le masque d’un laïcisme perverti ». Eh bien, ce jour est arrivé avec la parution, dans le cadre de la rentrée littéraire, du nouveau roman d’Aurélien Bellanger, Les derniers jours du Parti socialiste.
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Qu’est-ce que ça raconte ? Eh bien, comment un petit apparatchik du PS, Grémond donc, « un de ces hommes de l’ombre dont les romanciers s’emparent parfois pour définir l’esprit d’une époque », a utilisé le thème de la laïcité pour dépasser le clivage gauche/droite dans une France traumatisée par les attentats.
À titre personnel, je me souviens de m’être méfié à la naissance du Printemps républicain après avoir appris que, parmi les fondateurs du mouvement, il y avait Marc Cohen que je connaissais bien et qui avait été l’un des artisans du regrettable épisode « rouge-brun » dans les années 90. Devenu rédacteur-en-chef de Causeur, il allait publier le manifeste du Printemps républicain, conjointement avec Marianne. On le sait, la pensée du Printemps républicain se retrouve aujourd’hui dans le magazine Franc-Tireur dirigé par Raphaël Enthoven et Caroline Fourest, financé par Daniel Kretinsky, également propriétaire de Marianne, mais qu’il est en train de revendre au milliardaire catholique Pierre-Edouard Stérin.
Comme l’écrit Aurélien Bellanger, par la voix de son personnage Sauveterre, « toute cette histoire de laïcité était un prétexte depuis le début. Votre conception de la laïcité cache quelque chose d’obscurément fascisant et on est sans doute engagé plus loin que je ne l’aurais cru dans un processus de fabrication d’un ennemi intérieur ». Autant de choses qu’on peut constater en regardant CNews (où Onfray dispose désormais d’une émission à sa botte, comme Zemmour en son temps et sans doute pour la même raison que lui : se présenter à l’élection présidentielle de 2027 comme l’imagine d’ailleurs Bellanger dans son roman) ou en écoutant les éditos « d’extrême droite moins une » de Philippe Val sur Europe 1. Bellanger invente cette expression à partir du fameux tweet de Raphaël Enthoven où il disait que « si Mélenchon et Marine Le Pen étaient au second tour, il irait voter pour cette dernière à 19h59 ». Certes, Bellanger a beaucoup moins de force romanesque que Houellebecq à qui il rend d’ailleurs hommage à la fin de son livre. Il est plus dense, plus cérébral, moins marrant ; mais aussi beaucoup plus structuré et pertinent politiquement que l’auteur de Soumission. N’attendez pas le second tour de l’élection présidentielle de 2027 pour lire Les derniers jours du Parti socialiste, et comprendre le piège qui a été tendu à la gauche avec ce simple mot : laïcité.
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Aurélien Bellanger, Les derniers jours du parti socialiste, Le Seuil. Parution : le 16 août 2024.
2 commentaires
- Berthelot Jacques le 26 août 2024 à 15:56 Très juste cet article.
- Réponse David weber le 26 août 2024 à 20:55 La loi de 1905 n’est pas celle de la séparation de l’Eglise et de l’Etat mais DES Églises et de l’Etat. Le pluriel est important. Le terme Église est à prendre dans un sens générique d’organisation religieuse puisque la loi sépare le culte israélite tout comme les cultes protestants ( luthérien et réforme) et catholique. Le théme du livre est la laïcité mais, malheureusement , l’auteur reprend tous les poncifs sur celle ci comme d’ailleurs le fait le Printemps républicain qui n’y connait rien mais instrumente la laïcité.
Est-ce que l’intellectuel le plus influent de France, et je m’en désole un peu, ce n’est pas devenu Jean-Marc Jancovici, plutôt que Bruno Latour ?
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C’est une impression vague, et sans doute due à un biais que je me suis bizarrement imposé sur Twitter, celui de ne suivre à peu près que des pro-nucléaires, à commencer par le prince de ceux-ci, un ingénieur du nom de Tristan Kamin, qui donne l’impression de savoir à peu près tout, de la forme du nuage de Tchernobyl aux défis de la filière sodium, de la technique de l’îlotage post-Fukushima au recyclage des déchets.
Tristan Kamin vire cependant un peu à Don Quichotte, quand il s’attaque à l’éolien allemand, ou à l’énergie hydraulique, dont il arrive facilement à prouver, photos de la catastrophe de Fréjus à l’appui, qu’elle représente pour la France un danger bien plus conséquent que Fessenheim.
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D’où me venait cette ferveur patriotique ? Elle me venait, je le sais, de la bibliothèque de ma classe de primaire, alimentée par EDF et remplie d’élogieuses brochures à la gloire de Superphoenix.
Elle me venait de la famille, si délicieusement bourgeoise, des Le Quesnoy, dans La vie est long fleuve tranquille : si ridicule soit-il, le bon père de famille, en France, est ingénieur à EDF.
En cela le polytechnicien Jean-Marc Jancovici est l’intellectuel organique de la nation. S’il ne travaille pas directement pour EDF, et si ses prises de positions écologiques sont connues, et argumentées, il est, comme le bon élève de la république que j’ai été, que je suis peut-être encore, un partisan dévoué du nucléaire.
Jancovici est un avant tout un énergéticien, et de conférences en conférences, je le soupçonne un peu de se prendre pour le nouveau Marx. Il a d’ailleurs lui aussi fondé une grande partie de son approche historiographique sur l’étude de la Rome Antique : il est connu pour sa théorie des esclaves, à la rhétorique imparable — nous vivrions entourés d’esclaves invisibles, d’esclaves équivalents pétrole. Le Français moyen aurait ainsi la force de 1200 bras à sa disposition permanente — et miracle français, des bras décarbonés par l’atome.
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Chez Jancovici, tout est méchamment plus simple, et strictement monocausal. Le prix du Diesel en se dressant à l’entrée des villes à l’automne 2018, est même venu lui donner raison.
Qu’est-ce qui me gêne, alors ... ? ... Son mépris des réalités sociales
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notre société n’a pas adopté cette forme productiviste car le pétrole était bon marché. Le pétrole est bon marché car nous avions besoin d’un absolu productiviste.
Et il est devenu toxique quand nous avons eu besoin d’une apocalypse — laquelle, j’en suis certain, a pour cause dernière notre manque de courage intellectuel, et cet état confus, pré-religieux où nous sommes entrés, depuis que ne croyons plus à aucune régulation terrestre, ni à celle du marché, ni à celle des économies dirigées.
Ndlr :
- "JMJ méprise les réalités sociales" Vrai ? Sur quoi est fondée cette affirmation ? Approfondir ACT
- "Le pétrole est bon marché car nous avions besoin d’un absolu productiviste" Mr Bellanger se trompe car sur ce point JMJ a raison : le prix du pétrole n'est pas le coeur de son raisonnement car sa fixation répond à une heuristique complexe et une logique de marché. Alors que JMJ met l'accent sur l'aval : la proportionnalité entre la quantité de pétrole consommée et le PIB. Du coup, que reste-t-il de consistant dans cet édito ? Approfondir ACT