Manon Loisel : « Il faut en finir avec la démocratie participative, qui accentue la crise qu’elle prétend résoudre » - Le 13 Avril 2024 | Alternatives Economiques
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Manon Loisel Consultante en stratégies territoriales et enseignante à l’Ecole Urbaine de SciencesPo
Convention citoyenne pour le climat, grand débat post-gilets jaunes, budgets participatifs, conseils de quartier, enquête publique, réunions publiques, panels citoyens… les dispositifs de démocratie participative se sont multipliés ces dernières années. Leur objectif : répondre à la crise de la démocratie représentative matérialisée par la progression de l’abstention. La participation des citoyens à la fabrique des politiques publiques est ainsi présentée comme un remède à leur désintérêt croissant pour le vote.
Ces dispositifs sont cependant largement critiqués par les chercheurs, à la fois en raison de leur fonctionnement et de leur instrumentalisation fréquente par les élus. Dans un ouvrage récent, Pour en finir avec la démocratie participative (Ed. Textuel), Manon Loisel et Nicolas Rio en appellent donc à mettre fin à la « fuite en avant participative ». A la fois chercheurs (ils sont politistes à Sciences Po) et acteurs de terrain (ils ont cofondé Partie prenante, une agence de conseil aux collectivités locales), ils déplorent les limites de la démocratie participative et plaident pour une démocratisation de l’action publique qui déborde largement le champ des élections.
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anti-redistributif ... sont surtout investis par ceux que qui sont parfois surnommés les « TLM » (Toujours les mêmes). Anciens élus, citoyens engagés, leaders associatifs… ces profils très marqués socialement s’emparent seuls de ces dispositifs. Je défie n’importe qui de trouver un abstentionniste dans une réunion publique ... renforcer la « présentocratie », le pouvoir de ceux qui peuvent se rendre disponibles pour débattre de questions politiques, et ne parvient donc pas à faire entendre les sans-voix. Pire, elle essentialise la parole « des citoyens » à partir de la participation de seulement quelques-uns d’entre eux, très minoritaires en nombre et très peu représentatifs ... générer de l’espoir chez les participants… et donc des désillusions lorsqu’ils n’ont pas de traduction politique ... L’impératif de participation a pris la forme d’une injonction bureaucratique. ... sont intrinsèquement dysfonctionnels, notamment parce qu’ils sont incapables de faire émerger la parole des sans-voix. Où entend-on ceux qui ne votent pas et qui ne prennent jamais la parole dans le débat public ? Souvent dans les mouvements sociaux spontanés comme les gilets jaunes. Parfois dans les manifestations ou dans des collectifs qui échappent largement aux autorités. Parfois aussi dans la presse. Mais jamais dans des dispositifs de démocratie participative. Il est difficile pour les élus d’écouter ces sans-voix dans la mesure où ils n’ont aucun crédit électoral à en tirer. ... La vraie démocratie, c’est l’existence de toute une série de contre-pouvoirs qui agissent comme des filtres successifs. La loi Immigration l’a montré récemment : le Parlement a joué un rôle, le Conseil constitutionnel aussi. D’autres filtres (syndicats, acteurs de l’éducation populaire, manifestants…) sont, ces dernières années, régulièrement évincés, voire réprimés, ce qui affaiblit dangereusement la démocratie en excluant du débat des publics qui n’existent que grâce à eux. Aujourd’hui, qui peut porter la voix des plus marginalisés si ATD Quart Monde n’est pas associée à la politique de lutte contre la pauvreté ? Cette association a une pratique très aboutie du recueil de l’expérience des sans-voix. Mais elle n’est pas sérieusement considérée au niveau national.
Comment faire émerger la parole de ces sans-voix ?
M. L. : Je disais précédemment qu’il est fondamental que les élus accordent plus de crédit et d’attention aux expériences de vie des citoyens, en rééquilibrant leur poids par rapport aux experts. Le cas des zones à faible émission (ZFE) est un bon exemple2. Face à cette mesure, les citoyens les plus pauvres expriment un sentiment d’injustice. Il est très présent dans les médias locaux ou sur les pages Facebook locales qui ne sont pas gérées par des institutions. Mais au niveau politique, c’est l’expertise qui l’emporte. Il ne s’agit pas de dire qu’il ne faut pas faire les ZFE. Mais que les difficultés qu’elles rencontrent aujourd’hui [leur mise en place a été repoussée dans de nombreuses villes, y compris dans des métropoles à majorité écolo, NDLR] auraient pu être évitées en tenant davantage compte des ressentis des ménages modestes. ... écouter des acteurs au profil social différent. Par exemple, un actif périurbain modeste qui vient tous les jours travailler en voiture en ville. Ou encore une personne qui souffre d’asthme et vit proche du périphérique. Plutôt qu’avoir deux élus qui viennent à une réunion publique écouter d’une oreille les conclusions de 100 personnes déjà très investies dans la vie locale, mieux vaut 100 élus qui écoutent avec leurs deux oreilles les récits de vie de deux personnes qui n’ont jamais voix au chapitre. ... Prétendre écouter tout le monde sans distinction, c’est faire fi de tous les mécanismes de domination qui parcourent la société. Le combat pour la parité homme-femme en est l’illustration. C’est en objectivant et en contestant la surreprésentation des hommes que les féministes sont parvenues à la réduire. La parité montre que pour entendre l’ensemble des citoyens, il ne suffit pas de redoubler d’efforts pour aller vers les inaudibles. Il faut aussi restreindre la place accordée à ceux qui s’expriment déjà. ... Le problème de la transition écologique, c’est notre crise démocratique. Comme notre système met les classes populaires hors jeu, la transition devient technocratique et fait l’objet d’un retour de bâton important. Si notre démocratie était plus fonctionnelle, on peut penser que la redistribution des richesses serait plus importante. La mise en place d’une taxe carbone ou de ZFE serait alors beaucoup mieux acceptée puisque les plus riches seraient davantage mis à contribution.
Aujourd’hui, nombre de mesures écologiques apparaissent injustes, car elles ne frappent pas vraiment les riches qui peuvent facilement les contourner (en achetant une grosse voiture électrique pour s’adapter aux ZFE par exemple) ou les assumer (en pouvant se permettre de payer le carburant plus cher dans le cas d’une hausse de la taxe carbone).
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les lobbies ... l’administration. Cette dernière est souvent vue comme un espace « apolitique », où des techniciens appliquent les politiques décidées par les élus. En réalité, les deux millions d’agents publics qui travaillent dans les collectivités locales ont un poids politique important. C’est particulièrement vrai dans les plus petites d’entre elles, où les élus sont souvent des retraités bénévoles aux connaissances techniques limitées. Dans ces cas-là, il n’est pas rare de voir les techniciens choisir les orientations politiques, car ils considèrent que leurs élus ne font pas le travail. ... la technicité de certains dossiers est telle que les agents jouent forcément un rôle central. Sans parler des cabinets de conseil privés qui ont une influence de plus en plus importante mais ne rendent de comptes à personne ... Démocratiser l’action publique, c’est faire entrer dans l’arène politique tous ces acteurs. ... désacraliser la fonction de l’élu qui décide de tout. Le travail d’un élu, ce n’est pas que de décider, c’est d’écouter et de représenter tous les citoyens, et notamment les absents. Plutôt que de valoriser la figure de l’élu, il faudrait préférer la figure du représentant.
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utiliser le tirage au sort comme une réponse à la hausse de l’abstention électorale et à la baisse de la représentativité des élus. Si l’on se base sur les élections législatives de 2022, qui déterminent la composition de l’Assemblée nationale, on pourrait procéder de la façon suivante : 46 % des sièges seraient attribués à des élus, sur le modèle actuel. Cette proportion correspond au taux de participation lors de ce scrutin. Les 54 % des sièges restants seraient accordés à des citoyens tirés au sort, de quoi représenter mathématiquement les abstentionnistes. Ce tirage au sort serait corrigé des biais sociaux que l’on constate chez les élus.
Bien sûr, un tel changement nécessiterait un accompagnement et des moyens importants. Mais si l’on met un moratoire sur les démarches de démocratie participative et qu’on réalloue les moyens et les personnels qui y sont dédiés, cela peut se faire à moyens constants. On nous rétorquera que ces nouveaux représentants ne seraient pas compétents, mais la compétence technique est moins importante que l’existence de contre-pouvoirs. Pour qu’une discussion sur la relance sur le nucléaire soit démocratique, l’enjeu n’est pas que tous les députés soient des physiciens chevronnés, mais que leur délibération puisse s’appuyer sur des expertises contradictoires produites par plusieurs institutions et corps intermédiaires compétents sur le sujet. ... guérir la démocratie représentative, car elle est à notre avis le moins mauvais des systèmes ... La démocratie participative a de nombreux défauts, comme on vient de le voir. La démocratie directe, de son côté, n’évite pas non plus l’écueil du présentéisme, à l’image de l’expérience de « Nuit debout » il y a quelques années. La transformation de nos institutions ne viendra pas d’une autre démocratie mais d’une exigence renouvelée sur la mise en pratique de ses principes théoriques.
Le groupe INSA, composé de 7 instituts sur le territoire national, d’un INSA international au Maroc et de 6 écoles partenaires, s’est lancé dans une démarche prospective, pensée pour avoir encore sens d’ici à 2040. Elle s’appuie sur les enjeux de transformations climat-énergie, numériques et sociales et veut répondre à de nombreuses questions pour permettre aux écoles d’innover sur une offre renouvelée de programmes et de former les ingénieurs humanistes de demain, tout en favorisant une ouverture sociale, autour d’un modèle inclusif mais néanmoins sélectif avec un taux de croissance de candidats de plus de 4 % l’an dernier.
Au cœur de la démarche prospective du groupe INSA (14 écoles d'ingénieurs post-bac) qui doit permettre de repenser la formation d’ingénieur, figure son modèle inclusif, « où les sciences, les technologies et les humanités, mieux partagées, s’hybrident et servent une société moins fragmentée et une économie plus saine dans des territoires aux environnements préservés », explique Frédéric Fotiadu, directeur de l’INSA Lyon. Pour faire face aux mutations qui s’annoncent et qui posent la question des nouvelles compétences pour l’ingénieur et le docteur, dans ses exigences de maîtrise du sens et du progrès, le groupe pense le futur du profil INSA au travers de son Institut Gaston Berger (IGB).
L’ingénieur humaniste
... fierté à construire un profil d’ingénieur équilibré, où les technologies et les humanités s’entremêlent. Mais les transformations sociales, écologiques et numériques que l’on observe nous poussent à nous questionner : comment, aujourd’hui, nous, écoles d’ingénieurs, amenons nos élèves et nos doctorants à être force de proposition en termes de technologies, pour construire un monde plus durable ? L’épaisseur culturelle de l’ingénieur aujourd’hui n’est plus une option. »
... Une prospective imaginée et créée, en son temps, par Gaston Berger, philosophe et créateur des INSA, dont la grande spécificité est d’estimer « que ce sont les acteurs eux-mêmes qui doivent penser leur futur ». Ce sont donc tous les membres du personnel des écoles et les étudiants qui sont invités à s’impliquer dans cette démarche co-constructive. « Cette démarche, qui peut s’avérer complexe dans une période où notre agilité financière est moindre, ne peut être que vertueuse : elle nous oblige à prendre le temps de nous poser, d’analyser les grandes orientations à choisir dès aujourd’hui pour commencer à faire levier. C’est un outil politique puissant et structurant pour le groupe, qui nous permet de mobiliser nos communautés. Et ces dernières répondent à l’appel », poursuit Bertrand Raquet.
9 enjeux clés pour penser #INSA2040
Après l’INSA Lyon et l’INSA Toulouse, c’est donc le groupe dans son ensemble qui entame cette réflexion profonde et structurante. Elle mènera à un nouveau plan stratégique, à l’horizon 2021.
... cinq scénarios et neuf enjeux clés ont été retenus : articuler diversité, excellence et massification ; affirmer le modèle INSA dans la stratégie à l’international ; focaliser la recherche sur des enjeux sociétaux majeurs en synergie avec la formation ; préserver autonomie et liberté dans une dynamique d’alliances stratégiques ; partager avec les entreprises des valeurs sociales, environnementales et économiques ; réinventer la formation pour accompagner le changements de société ; incarner l’humanisme scientifique ; oser l’esprit pionnier ; mettre les personnels au cœur du projet #INSA2040. « Parmi les thématiques relevées, figure en premier lieu la question de l’articulation entre diversité, excellence et démocratisation