Jacinthes et laitues d'eau dans un ruisseau en Guyane. ©Getty - Bernard MAJZA
A la Une des sciences, Hervé Poirier, journaliste chez Epsiloon, nous raconte comment les plantes ont pris le pouvoir en envahissant la Terre.
Cela faisait des milliards d’années que la vie végétait dans l’eau, incapable d’envahir la terre ferme. Il y a 450 millions d’années, une de ces algues a acquis le pouvoir de conquérir la surface. Elle a été capable de résister aux radiations du soleil, aux microbes du sol, aux variations de température, à l’absence d’eau. Et la Terre est rapidement devenue toute verte – cette petite algue est l’ancêtre commun de tous les végétaux terrestres d’aujourd’hui.
Comment s’est passé ce petit miracle qui a changé la face du monde ?
Jusqu’ici, en bons disciples de Darwin, les biologistes imaginaient que ce fut à force d’évolution lente et laborieuse, de mutations génétiques hasardeuses, d’essais et d’erreurs, que les ascendants de notre algue ont patiemment forgé ce pouvoir miraculeux. Mais c'était loin d'être suffisant !
Notre algue a aussi profité de gènes clé en main, volés aux microbes, et intégrés directement dans son génome. Et cela n’a pas été pas un acte isolé : pendant trente millions d’années, des dizaines et des dizaines de fois, des vols comparables ont été commis par ses ascendants aux dépens de champignons et de bactéries. Et un beau jour, notre algue s’est vue doter du combo génétique parfait pour la conquête mondiale.
Des vols massifs de gènes ?
C’est assez difficile à croire, en effet. Une équipe de généticiens de l’Université de Toulouse a plongé dans le génome de l’hépatique des fontaines, une petite plante discrète, très peu étudiée, qui vivote en Europe et aux Amériques.
Leurs résultats ont été publiés hier : en screenant les génomes de 133 individus, ils ont repéré toute une famille de gènes de champignons que l’hépatique exploite encore aujourd'hui pour s’adapter au manque d’eau – des gènes qui sont aussi présents dans le génome des fougères ou des mousses, et donc aussi dans celui de notre petite algue ancestrale. Merci pour le cadeau !
Et c’est surtout l’ampleur du phénomène qui surprend, nous a confié Chloé Beau, l’une des autrices de l’étude. Cela fait trois ans que ces transferts génétiques massifs, qui ont permis à notre algue de se défendre contre les microbes ou de résister à l’oxydation, sont découverts.
C’était difficilement imaginable jusqu’ici. Et totalement hors de portée d’analyse. De tels transferts génétiques peuvent être le fruit d'un simple accident avec une fusion partielle de chromosomes entre la plante et un microbe qu’elle héberge, ou alors par saut de gène : des séquences d’ADN étrangers qui se baladent et viennent s’insérer dans le génome.
Dans l’arbre dessiné par Darwin, les transferts de gènes sont verticaux : de l’ascendance vers la descendance. Ces transferts horizontaux entre espèces, entre familles, entre groupes différents, sont un sacré raccourci pour l’évolution. Pas besoin de réinventer la poudre. Le vol de gène crée immédiatement un monstre, un OGM naturel. Et avec de la chance, ce monstre est prometteur. C’est l’évolution : soudain, une algue monstrueuse apparaît et la terre devient verte.
Publié le jeudi 2 janvier 2025 (première diffusion le vendredi 27 septembre 2024)
Du "Monde selon Monsanto", au monde des microbes, il n'y a qu'un pas, l'enjeu de préserver la biodiversité et du vivant. Depuis 1989, Marie-Monique Robin a réalisé une quarantaine de films d’investigation, s'intéressant aux dictatures, au brevetage du vivant, aux solutions pour demain.
Avec Marie-Monique Robin Journaliste d'investigation, réalisatrice, écrivaine
Quelles sont les racines profondes de ses convictions et les moments-clé qui ont forgé ses engagements ou ses actions ? Quelles ont été les expériences et les influences marquantes, les sources d’inspiration et les rencontres décisives qui ont construit sa vision du monde ? L’occasion de découvrir comment son histoire personnelle résonne avec les grands enjeux de notre époque.
La journaliste Marie-Monique Robin reçoit le Prix Albert Londres en 1995 et le prix Rachel Carson en 2009. Elle est également l'auteure en 2008 du best-seller traduit en 22 langues, et du documentaire éponyme « Le monde selon Monsanto ».
Ses parents étaient des chrétiens de la JAC, un mouvement d’émancipation de la jeunesse rurale
"Mes parents se sont rencontrés dans ce cadre et j'ai toujours dit que la JAC était une énorme agence matrimoniale. Elle a très bien marché et donné beaucoup de militants de tout ordre. Mon père a créé une coopérative des CUMA ou troisième GAEC de France pour ce qui me concerne, c'est à dire un groupement agricole d'exploitation en commun. On était plusieurs familles sur la même ferme. Une vision assez communautaire"
Dans sa famille elle a toujours entendu qu'il était possible de changer le monde et a choisi le métier de journalisme pour cette raison-là. La journaliste est issue d'une famille de paysans (sur six générations) devenu exploitants agricoles. Puis en Allemagne, pendant ses études, elle est marqué par la figure de Petra Kelly, militante du mouvement de la paix qui a cofondé en 1979 le parti Vert allemand, Die Grunen.
À écouter
Toutes vos questions sur le microbiote / Grand bien vous fasse ! - 51 min
Les paysans victimes du système
Le père de Marie-Monique Robin le reconnaissait : "Les produits qu'on a mis dans les champs sur notre ferme avant qu'elle ne passe en bio, il n'était pas question de les mettre dans notre jardin potager". Mais la documentariste ne jette pas la pierre aux utilisateurs de pesticides : "Les paysans ont été véritablement embarqués dans un modèle où on leur a beaucoup menti, caché sur la toxicité des produits. Et puis ils se sont retrouvés endettés. Mon grand-père, il n'avait jamais emprunté 0,01 €. Et un jour, mon père me dit "Tu vois le premier tracteur qui est arrivé sur la ferme en 1953, ton grand-père a vendu deux vaches au marché de Parthenay." Puis on a calculé qu'il fallait 80 vaches... Ils travaillent de plus en plus, et sont très endettés. Je rappelle qu'un agriculteur se suicide tous les deux jours, donc c'est un beau désastre et ils en sont conscients. Mais c'est très difficile d'en sortir tout seul si on n'est pas accompagné."
"Vive les microbes !"
Marie Monique Robin a réalisé un documentaire sur les microbes : "Le point de départ, c'est une explosion de l'asthme, des allergies. On est passé de moins de 3 % de la population mondiale il y a 50 ans, à plus 35 %. Et l'OMS parle d'une personne sur deux. Les scientifiques ont cherché à savoir pourquoi. Ce qui a changé, c'est le contact des enfants des villes n’ont plus de contact avec les microbes de la ferme, notamment des fermes laitières, qui sont d'excellents protecteurs de ces maladies d'origine inflammatoires. Quand un enfant entre en contact avec les bactéries, les champignons… Cela enrichit son microbiote intestinal, et stimule son système immunitaire qui pour être bien éduqué, doit être confronté à plein de microbes. Grâce à cette confrontation, il fait la différence entre une molécule dangereuse et une molécule qui ne l’est pas".
À écouter
Marie-Monique Robin / L'humeur vagabonde
Après La fabrique des pandémies, Marie-Monique Robin enquête sur le rôle bienfaiteur de ces mal-aimés de la biodiversité, dont 99 % sont pourtant indispensables à la vie. Elle a réalisé « Vive les microbes ! » un documentaire sur Arte diff le Mardi 8 octobre 2024 à 20.55
« Vive les microbes. Comment les microbiomes protègent la santé planétaire » chez La Découverte. Autrice de « Ces animaux qui nous protègent » Rue de L’échiquier (livre illustré) sortie le 4 octobre.
À lire
Pourquoi il faut doper son microbiote
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à 20:10 "je militerai de plus en plus"
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