Société - Laïcité et religion - Article abonné - Entretien
Pour avoir regretté que le Planning familial fasse disparaître de ses statuts son attachement à la laïcité, Matthieu Gatipon-Bachette a été démis de ses fonctions de porte-parole de l'Inter-LGBT. Auprès de « Marianne », il regrette que le militantisme LGBT actuel ne voie plus dans la loi de 1905 un principe de protection et d'émancipation, mais un outil raciste. Un témoignage qui illustre les profondes mutations à l'œuvre au sein des associations LGBT.
Elle a pourtant été pensée comme un principe protecteur. La laïcité ne fait plus recette dans les mouvements LGBT, où elle est désormais perçue comme un outil au service de l'extrême droite anti-musulmane. Pour l'avoir défendue publiquement, le porte-parole de l'Inter-LGBT, Matthieu Gatipon-Bachette, a été remercié, ainsi que le rapporte Charlie Hebdo. Interrogé par Marianne, il nous a expliqué pourquoi la loi de 1905 demeure plus que jamais un principe protecteur et indispensable à l'émancipation des personnes LGBT malgré les mécanismes politiques à l'œuvre au sein des associations, qui tendent désormais à le présenter comme une règle raciste.
Marianne : Pourquoi avez-vous quitté vos fonctions de porte-parole de l'Inter-LGBT ?
Matthieu Gatipon-Bachette : Charlie Hebdo a publié un article sur le Planning familial, expliquant que les instances avaient décidé de retirer le mot « laïcité » de certains de ses textes. Ce n'était pas un phénomène nouveau, ces débats internes sur la loi de 1905, la presse s'en était déjà fait l'écho maintes fois. Mais le papier de Charlie expliquait que de plus en plus de sections du planning étaient exclues dans certaines régions. Alors j'ai relayé l'article sur Twitter, ajoutant : « Je suis très inquiet de voir le Planning familial renoncer à la laïcité. Je persiste à penser que cette dernière protège les personnes LGBTQI+. » Là, plein de militants, surtout des Parisiens, se sont indignés à peu de frais de mon message. J'ai reçu une série de SMS de la coprésidente de l'Inter-LGBT Elisa Koubi pour me demander de retirer mon tweet.
📰🏳️🌈Cette semaine la journaliste @LaureDaussy revient sur les raisons de mon éviction de l'@InterLGBT dans @Charlie_Hebdo_ . Mon attachement trop démonstratif au principe de #laïcité étant le principal mobile. pic.twitter.com/9q2mHgEyji
— Matthieu Gatipon-Bachette (@GatiponMatthieu) December 21, 2022
Une fois ceci dit, ce qu'il faut comprendre, c'est la cabale politicienne interne typique de ce qui peut se passer dans une association de la taille de l'Inter-LGBT. On y retrouve plusieurs courants, dont certains sont proches des partis politiques comme Homosexualités et socialismes, proche du PS, la commission LGBT d’EELV et du PCF. Cette polémique relève finalement du débat idéologique qui peut se dessiner dans le mouvement LGBT entre des associations universalistes et d'autres associations plus proches de l'indigénisme politique.
Mais, la réalité, c'est qu'à Metz, la majorité municipale est LR et donc le financement des associations LGBT tient beaucoup à ces collectivités de droite. En tant que président d'une association locale, Couleurs Gaies, il m'arrivait d'apparaître aux côtés de ces personnalités LR, ce qui était difficile à accepter pour l'Inter-LGBT, financée par la mairie socialiste de Paris. Il faut bien comprendre que cette querelle sur la laïcité est surtout, selon moi, un prétexte politique pour m'évincer.
« Au fond, l'Inter choisit un peu les bonnes victimes… Et je pense que ça contribue à la montée du vote d'extrême droite chez les personnes LGBT. »
Pourquoi cet attachement à la laïcité ? Ce n'est plus vraiment à la mode dans les courants LGBT.
Vous n'êtes pas sans savoir qu'à Metz, la loi de 1905 ne s'applique pas puisque nous nous trouvons sous le régime du concordat, qui nous prive de la laïcité. Vous avez ici une Église catholique et des cultes très puissants, qui ont pu mettre des moyens de pression énormes pendant La Manif pour tous. C'est l'une des raisons pour lesquelles les militants LGBT d'ici sont extrêmement attachés à la laïcité. Parce que, quand vous n'avez pas cette neutralité, vous êtes dans un entre-deux qui laisse énormément de marge de manœuvre aux cultes. Ici, ils sont assimilés à des fonctionnaires, touchent des subventions de l'État, ils sont dans des écoles où ils ne font pas de l'enseignement du fait religieux, mais de la religion. Pendant la Manif pour tous, chaque église s'est transformée en bureau de recrutement de militants, vous aviez chaque chef des cultes qui y allait de son communiqué pour expliquer que le mariage pour tous était l'œuvre du diable… Ça nous a crispés, oui. Et ça nous a amenés à avoir une réflexion avec les autres membres de l'association, à aborder ces questions dans nos modules d'éducation populaire.
À Paris, ils sont davantage dans une lecture indigéniste, qui tend à assimiler la laïcité à du colonialisme ou à du racisme – ils ont cette lecture-là. Mais par ailleurs, je peux comprendre leur analyse. Je ne la valide pas, mais je comprends qu'aujourd'hui, on puisse voir dans la laïcité un outil utilisé par l'extrême droite pour stigmatiser les musulmans. Mais il faut pouvoir dire aussi que l'islam, comme les autres religions, peut être une source d'homophobie. Je le dis avec beaucoup de prudence mais, comme c'est le cas avec d'autres croyants, certaines personnes de culture musulmanes peuvent avoir un problème avec l'homosexualité et sa visibilité dans l'espace public. Ce qui gênait vraiment l'Inter-LGBT, c'est qu'en tant que militant, j'imputais l'éloignement de certaines personnes LGBT de la parole associative à cette négation de la violence causée par cette croyance-là. Au fond, l'Inter choisit un peu les bonnes victimes… Et je pense que ça contribue à la montée du vote d'extrême droite chez les personnes LGBT.
Enfin, en tant que porte-parole de l'Inter, j'ai eu la chance de voyager. J'ai été en Turquie ou en Pologne et je peux vous assurer qu'ils en rêveraient, de notre laïcité.
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Qui porte cette vision critique de la laïcité aujourd'hui dans les mouvements LGBT ?
Dès le départ, quand nous avons rejoint l'Inter-LGBT, nous avons bien senti qu'il y avait un hiatus entre nos positions et les leurs. Mais c'est une fédération et il est normal que nous ne nous trouvions pas toujours sur la même ligne, comme entre le FLAG (syndicat LGBT des forces de l'ordre) et le Strass (syndicat des travailleuses du sexe). Mais aujourd'hui, ce combat mené contre la loi de 1905 est principalement porté par les associations parapolitiques, liées à EELV ou LFI, mais aussi chez Homosexualités et socialismes, lié au PS qui était pourtant historiquement très carré sur la laïcité. Ce sont elles qui, par opportunisme politique, font le lien entre laïcité et racisme, avec une majorité de militants associatifs qui sont dans ce discours-là. Il n'y a plus d'équilibre sur ce sujet.
« Dire que l'intersectionnalité et l'universalisme sont incompatibles, c'est complètement faux : ce n'est pas parce que vous êtes universaliste que vous ne pouvez pas avoir une lecture intersectionnelle des discriminations. »
C'est-à-dire qu'il n'y a plus de débat possible sur cette question ?
C'est-à-dire que c'est devenu un sujet très sensible. En tant que porte-parole d'une inter-associative, j'essayais de porter les positions que j'estimais les plus consensuelles possibles, je ne pouvais pas me permettre de dire ce que je pensais vraiment. Mais le fait est que même en essayant d'arrondir les angles, je sentais très bien qu'il n'était plus possible de dire que la laïcité protège les personnes LGBT. Un exemple : avec l'association Couleurs Gaies, on a décidé de venir à la dernière Marche des fiertés avec une banderole disant exactement ça : « La laïcité protège les personnes LGBT ». Ce n'est quand même pas le slogan le plus subversif de l'histoire ! On a quand même eu des retours très négatifs, on a senti des tensions.
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L'Inter-LGBT vous reproche de ne pas vous être suffisamment indigné d'un amendement jugé « transphobe » déposé par Aurore Bergé dans le projet de constitutionnalisation du droit à l'IVG. Qu'en est-il ?
Effectivement, on me reproche de ne pas m'être prononcé sur l'amendement qui a remplacé la phrase « nul ne peut être privé du droit à l’interruption volontaire de grossesse » par la formulation « nulle femme ne peut être privée du droit à l’interruption volontaire de grossesse ». Cet amendement, c'était une énorme connerie, je l'ai toujours dit. Mais par tactique militante et par malhonnêteté intellectuelle, on tente de m'assimiler à quelqu'un de transphobe. J'ai passé ma vie à militer pour l'autonomie des personnes transgenre, je considère, évidemment, que le genre est une construction sociale et il n'y a pas une feuille de papier à cigarette entre ce que dit l'Inter-LGBT et ce que je dis sur le sujet. C'est un procès facile, révélateur d'une certaine forme de pauvreté intellectuelle. ... tout ne se vaut pas.
Un autre tweet a posé problème, vous y écrivez : « Nul besoin d'avoir tous les codes de la culture woke pour avoir un engagement efficace en faveur des personnes LGBT. »
On a dit que je reprenais le vocabulaire de l'extrême droite… Le mot « woke » est devenu un mot épouvantail, qui veut pourtant simplement dire « éveillé ». Ce qui est drôle, c'est que vous commencez un débat sur le « wokisme », la plupart des gens n'en ont pas la même définition. Le fond du problème, c'est qu'aujourd'hui, vous avez des militants et des universitaires qui ont renoncé à l'éducation populaire. Certains préfèrent condamner d'emblée les positions adverses, sans expliquer leurs concepts et faire leur pédagogie. Il en va de même pour les tactiques militantes : elles ne sont pas expliquées. La non-mixité par exemple, elle peut être pertinente dans certains contextes, elle pourrait être utilisée dans beaucoup d'autres mouvements. Aujourd'hui, on assimile le fait d'utiliser ces concepts et ces tactiques au fait de lutter contre les discriminations. Mais en réalité, c'est le contraire même de l'éducation populaire.
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https://www.marianne.net/societe/laicite-et-religions/communautarisme-multiculturalisme-en-france-sommes-nous-prets-a-abandonner-la-laicite
Comment voyez-vous l'avenir du militantisme LGBT ?
Je suis d'un tempérament toujours optimiste. Mais je trouve aussi qu'il y a tellement de sujets importants aujourd'hui dans l'actualité – l'IVG, la fin de vie, etc. – qui nécessiteraient une mobilisation importante du tissu associatif LGBT, qu'il est vraiment dommage que nous soyons occupés à des querelles qui, je crois, n'intéressent pas les populations LGBT.
Politiquement correct
Professeur de biologie dans la très progressiste université d’Evergreen aux États Unis, Bret Weinstein a démissionné avec fracas en 2017 après que ses relations avec les étudiants et l’administration se sont dégradées. Son tort ? S'être opposé à l’organisation d’une journée « anti-Blancs ». Dans une interview au Figaro il analyse le pouvoir de cette nouvelle gauche identitaire.
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Il n'avait été soutenu que par des médias marqués à droite. Dans un long entretien au Figaro ce vendredi 18 décembre, le premier accordé à la presse française, il revient sur ce courant intellectuel, qu'on qualifie de "woke", et le danger qu’il représente pour les démocraties occidentales. Dans certaines universités élitistes d’Amérique du Nord, des étudiants ne toléreraient plus le débat et les remises en cause. Toute pensée alternative à « l’intersectionnalité » serait considérée comme déviante et les réfractaires incités à reconnaître publiquement leurs fautes. Une dérive totalitaire pour Bret Weinstein qui raconte que « les gens ne prennent pas ces mouvements au sérieux parce qu’ils sont ridicules ». Et d’ajouter, « mais quand ils s’y retrouvent confrontés, ils n’ont plus qu’un choix : soit se soumettre, soit être détruits ». ...