Connu / TG du 28/11/22 à 08:23 - Andris Piebalgs /Stock.Adobe.com
Mots-clés
crise énergétique ; sufficiency ; modération ; Consommation ; modèle du « Donut » ; Démocratie ; Inégalités ; transports ; justice sociale ; abondance ; Transition énergétique ; changement climatique ; gouvernements
Sophie Dubuisson-Quellier, sociologue, membre du Haut conseil pour le climat, revient pour CNRS Le Journal sur le concept de sobriété, ses objectifs et ses verrous.
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Il y a quelques mois encore, le terme était considéré comme tabou car il évoquait l’écologie punitive. La sobriété à laquelle les Français sont appelés aujourd’hui, et les Européens plus largement, s’est imposée dans un contexte particulier, qui est un contexte de crise énergétique lié à la guerre en Ukraine ; il s’agit d’une modération des consommations d’énergie, qui vise surtout le consommateur final et repose sur la responsabilisation des individus.
Mais en réalité, la notion de sobriété existe dans la recherche en sciences sociales depuis une vingtaine d’années déjà. Elle a fait l’objet de nombreux travaux, principalement chez les chercheurs anglo-saxons, sous le terme de « sufficiency » – un concept repris par le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) pour la toute première fois en 2022, et qu’on pourrait traduire par « ce qui est suffisant », « ce qui suffit ».
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la modération de la consommation, mais aussi, plus en amont, de nouvelles orientations de la production et des services. Elle pose la question de la soutenabilité de notre mode de vie, de ce qui est « suffisant » ou « assez » (« enough »), et suggère l’introduction de limites. Plusieurs modèles ont été développés en ce sens, comme le modèle du « Donut » proposé par l’économiste Kate Raworth. Avec des limites basses, qui sont le socle minimum correspondant à la satisfaction des besoins de l’individu et à une vie décente, et des limites hautes, qui figurent le plafond à ne pas dépasser afin de préserver les ressources et l’habitabilité de notre planète (voir schéma ci-dessous). Le « suffisant » se trouverait entre ces deux limites.
Le modèle du « Donut », avec sa forme de beignet, désigne l'espace dans lequel l'économie peut se déployer sans nuire à la planète, ni au bien-être des individus.
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redéfinir les niveaux de besoins et de bien-être, et pose la question des modalités à utiliser pour décider de ce qui est suffisant et de ce qui est de l’ordre du « trop ». Les questions de sobriété, on le voit, relèvent d’un problème d’organisation sociale avant tout – une notion absente de la réflexion actuelle en France. Elles posent aussi un vrai problème de démocratie : derrière, se profile la question de la juste répartition de ressources limitées, dans des sociétés déjà profondément inégalitaires.
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la recherche en sociologie montre bien que les contraintes qui pèsent sur chacun d’entre nous sont très inégales, et conditionnent fortement notre capacité à agir. C’est pourquoi les travaux sur la sufficiency insistent sur le fait que les dimensions de justice sociale doivent être au cœur des politiques de sobriété. Cela implique d’engager des actions structurelles comme la rénovation énergétique des bâtiments, notamment, afin que les changements de comportements soient véritablement accessibles à tous.
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... comment atteindre la sobriété dans nos sociétés dites « de consommation » ?
S. D.-Q. C’est ce qui s’appelle une injonction contradictoire : on nous demande d’être sobres dans une société qui est tout entière organisée autour de l’abondance.
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C’est le collectif qui mettra en mouvement les individus, en se donnant des objectifs clairs et des moyens pour les atteindre, pas l’inverse.
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Quel est le bon niveau collectif pour agir selon vous ?
S. D.-Q. Les autorités publiques – gouvernement, collectivités territoriales – ont un rôle crucial à jouer, en agissant sur le cadre réglementaire et en montrant une direction, en planifiant et en organisant la transition. Mais d’autres niveaux d’action sont possibles, dans les entreprises et les organisations professionnelles, dans les associations de quartier, les copropriétés, etc. Chacun de ces collectifs peut réfléchir à ses usages et produire de nouvelles normes.
Dans le monde de la recherche, par exemple, nous sommes amenés à prendre régulièrement l’avion, pour assister à des colloques internationaux notamment. Est-ce à chaque chercheur de s’interroger sur ses pratiques, ou bien ne pourrait-on pas en discuter tous ensemble ? Réfléchir au niveau collectif ne signifie pas forcément édicter une règle unique pour tous : on pourrait ainsi considérer que de jeunes chercheurs en début de carrière ont davantage besoin de voyager pour rencontrer leurs pairs.
La société ne bougera que si nous sommes sur une trajectoire collective, dans laquelle chacun prend sa juste part. Aujourd’hui, les autorités peuvent avoir l’impression que les contraintes qu’exige le changement climatique sont trop lourdes pour les individus ; mais en réalité, certains groupes sociaux, comme les agriculteurs, sont déjà dans des situations difficiles et ont besoin dès maintenant de ce changement collectif.
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Les sciences du climat ont permis de comprendre les mécanismes et les impacts du changement climatique, mais ce changement climatique est dû aux formes matérielles et institutionnelles qu’ont prises nos organisations économiques : au caractère central qu’y tient le recours aux énergies fossiles, à la façon dont sont organisés les circuits financiers, aux choix d’aménagement des villes et des systèmes de transport, ou encore au mode de définition de nos objectifs de prospérité.
La transition passe par des changements profonds de nos organisations économiques, politiques et sociales, et nous avons besoin des sciences sociales – sociologie, science politique, économie, anthropologie... – pour la faire. ♦
Notes
- Directrice de recherche au CNRS, au Centre de sociologie des organisations (CNRS/Sciences Po Paris).
Clés : Agriculture Alimentation
Agriculteur bio en Charente-Maritime, actuel député écologique au Parlement européen, et conseiller régional de Nouvelle-Aquitaine – il en est à son deuxième mandat dans le groupe Radical de gauche –, Benoît Biteau assure que les régions peuvent constituer un outil efficace pour une transition écologique des territoires. Pour peu qu’elles fassent des choix clairs et cohérents ! L’exemple en Nouvelle-Aquitaine.
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La maquette financière [le plan budgétaire] de 2015 en Poitou-Charentes avait réservé une grosse enveloppe pour le développement de l’AB et de l’agroécologie. Et lorsque cette région a fusionné avec le Limousin et l’Aquitaine, il a été décidé de ne pas modifier cette maquette financière et d’en faire bénéficier la nouvelle grande région. C’est comme cela que des moyens substantiels ont été apportés à cette forme d’agriculture. C’est grâce à ça que la Nouvelle-Aquitaine a pu pallier en 2018 au désengagement de l'État en faveur des aides à l'AB, et maintenir une bonne dynamique de croissance de cette agriculture-là.
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On continue à engloutir des centaines de milliers d’euros pour des formes d’agriculture qui ne sont que le Canada Dry de l’agroécologie. On a des injonctions contradictoires en soutenant la transition écologique d'un côté et, de l’autre, des solutions agricoles qui lui tournent le dos. Prenons deux exemples : les outils d’épandage de pesticides et la politique de l’eau.
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en tant que cogestionnaire des finances publiques, nous avons une responsabilité sur la distribution de ces aides, nous sommes là pour donner des impulsions, en l’occurrence pour favoriser la transition agroécologique. Ainsi, nos Plans de Développement Rural Régional ne devraient plus mettre sous perfusion ce type de solutions techniques qui poursuivent une agriculture chimique.
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Quant à la politique de l’eau, en 2011, en tant que vice-président de l'ancienne région Poitou-Charentes, je n’avais pas fermé la porte aux retenues d’eau et à un soutien par la Région. J’avais simplement demandé qu’on s’engage sur un financement à 100 % afin de garantir une gestion publique de ce stockage de l’eau – qui est un bien commun. Cela signifie à la fois une gestion écologique de la ressource et un soutien apporté à certaines productions écologiques et profitables pour tous les consommateurs de la Région. Ce n’est pas le cas de celles destinées à l’exportation, tels le maïs, que ces retenues abreuvent avant tout. En outre, cette ressource bénéficie essentiellement aux exploitations actuelles et historiques, qui peuvent s’agrandir grâce à l’irrigation, alors que de nouveaux arrivants, parfois en agroécologie, n’y ont de fait pas accès. Rien qu’en Poitou-Charentes, entre les 4 départements qui la composent, on dénombre quelque 200 projets de retenues d’eau, qui pourraient mobiliser entre 300 et 400 millions d’euros d’argent public (avec un financement à 70 %). Est-ce vraiment le choix que veulent faire les habitants de Poitou-Charentes ?
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les productions agricoles des zones entourant les métropoles de Nouvelle-Aquitaine sont très largement destinées à alimenter les vraquiers du port de La Palisse à La Rochelle, pour l’export, plutôt que les habitants de ces métropoles. Résultats, ces derniers sont nourris seulement à quelques 2 % par des productions locales… Il est temps d’assumer des choix politiques clairs, cohérents et courageux sur les priorités agricoles comme alimentaires.
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Il y a plusieurs leviers pour changer ces orientations agricoles et alimentaires, en plus de la volonté politique indispensable à avoir. J’en citerai juste deux. Les régions sont gestionnaires du deuxième pilier de la PAC, c’est-à-dire de son volet du développement rural (1). Or, ce second pilier concerne tout de même 25 % du budget de la PAC, soit un quart des 9,5 milliards d’euros d’aides agricoles perçues par la France chaque année de l’Europe (sur la période 2014-2020). C’est insuffisant par rapport aux aides directes à la production, mais ce n’est pas rien ! Et ça peut libérer un beau volume financier pour engager cette transition agroécologique.
L’autre levier pour réorienter les politiques agri-alimentaires est celui de la commande publique. Là encore, ce n’est pas négligeable lorsqu’on est une région, qui a par exemple la compétence des lycées, et donc de leurs cantines. Ses compétences peuvent être toutefois contrecarrées par des fonctionnaires d'État gestionnaires de la commande publique pour ces repas dans les cantines, sur lesquels la région n’a pas d’autorité... Par ailleurs, pour rester sur l’exemple des cantines des lycées, la Région n’est pas le seul opérateur, elle est en fait un simple partenaire auprès d’autres collectivités (agglos, métropoles…) et elle ne peut imposer ses choix. Dès lors, les régions constituent des leviers précieux pour orienter les politiques alimentaires, mais elles ne peuvent pas se substituer à ces échelons territoriaux où se conçoivent, notamment, les fameux plans alimentaires territoriaux (PAT) multi-acteurs. Or, on constate qu’au sein des PAT il y a d’énormes disparités entre acteurs pour avancer vers le bio et le local dans les cantines, par exemple. Pour le dire autrement, si tous ces échelons de décision n’avancent pas en cohérence autour de la même volonté, cette transition aura du mal à voir le jour.
Crédits: Romain delbuenofood, Unsplash
(1) Le second pilier de la Ia PAC concerne, entre autres, la “modernisation” des exploitations agricoles, certaines aides à l'installation, un soutien pour l’activité dans les zones à handicaps naturels (par exemple les zones de montagne) ou encore les aides à l'agriculture biologique et pour des mesures dites agro-environnementales.
Ndlr : il ne lui a pas été demandé son avis sur Néo Terra https://tools.immae.eu/Shaarli/ind1ju/?searchtags=N%C3%A9o_Terra ACT
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Alexis Corbière était interrogé, par téléphone, sur la gestion de la crise du coronavirus par le gouvernement mais aussi sur les propositions de la France insoumise pour y répondre.
Catégorie Actualités et politique
54 commentaires
Jacques BILLAUDEL il y a 1 jour
BRAVO ALEXIS !
Vive la VIe République; universaliste et sociale, écrite par l'assemblée Constituante.
NON au système MACRON : LA MONARCHIE Présidentielle.
NON à la dérive autoritaire du gouvernement et de la Présidence.