Élection présidentielle 2022 Fragments de campagne - Temps de Lecture 6 min.
« Fragments de campagne ». Yaëlle Amsellem-Mainguy et Benoît Coquard, sociologues, analysent, dans un entretien au « Monde », le sentiment, exprimé par certains jeunes vivant loin des grandes villes, d’être invisibilisés.
Une jeune montre sur son smartphone la chaîne Youtube de l’influenceuse Magali Berdah, qui interviewe les candidats à la présidentielle. CLAIRE JACHYMIAK / HANS LUCAS POUR «LE MONDE»
C’est une population qui passe souvent sous les radars. Benoît Coquard, sociologue à l’Institut national de la recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), auteur de Ceux qui restent (La Découverte, 2019), a mené une enquête auprès des jeunes ruraux de milieux populaires du Grand-Est, dans des campagnes en déclin. Yaëlle Amsellem-Mainguy, sociologue à l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (Injep), autrice de Les Filles du coin. Vivre et grandir en milieu rural (Presses de Sciences Po, 2021), a enquêté sur les jeunes femmes de milieux populaires dans quatre régions. A l’aune de l’élection présidentielle, les deux chercheurs éclairent le sentiment, exprimé par certains jeunes ruraux, d’être invisibilisés.
Lire le récit : Article réservé à nos abonnés « Ce qui nous manque c’est des représentants qui nous ressemblent » : rester, partir ou revenir, le tiraillement des jeunes ruraux
Comment situez-vous les jeunes ruraux par rapport au reste de la jeunesse et comment expliquer qu’ils ne soient pas plus pris en compte dans les politiques publiques ?
Yaëlle Amsellem-Mainguy : La représentation de la jeunesse est très urbano-centrée : plutôt de classe moyenne supérieure, diplômée, connectée, blanche, rendant de fait difficile la construction d’un contre-modèle rural, dans lequel les classes populaires sont surreprésentées. Dans le même temps, les jeunes ruraux sont souvent définis par défaut, sous l’angle des manques, et largement homogénéisés. Pourtant, leurs situations diffèrent selon les milieux sociaux, le genre, les territoires – en déclin ou attractifs –, mais aussi l’histoire industrielle locale et les emplois disponibles.
Ce n’est pas seulement en tant que jeunes et en tant que ruraux qu’ils sont invisibilisés, mais parce qu’ils sont pour beaucoup issus de milieux populaires, travaillent dans des secteurs précarisés, se trouvant parfois sur des marchés du travail sur lesquels l’Etat n’a plus de prise. Ces jeunes grandissent avec la contrainte de se positionner par rapport à la ville, avec cette injonction à la mobilité pour faire des études ou réussir sa vie. Or, la grande majorité n’y aspire pas et ne vit pas comme un échec le fait de rester en ruralité. Il y a donc un véritable enjeu à aller voir qui sont ces jeunes ruraux dans leur diversité, ce qui les préoccupe, pour justement être à même de produire des politiques publiques qui leur soient adaptées.
« Ce qui nous manque, c’est des représentants qui nous ressemblent (…), t’as pas un seul petit péquenaud de notre milieu.» Que vous inspire cette phrase d’une jeune à propos de la présidentielle ?
Benoît Coquard : C’est un constat lucide, puisque les classes populaires rurales ne sont pas représentées dans le champ politique. Certains candidats cherchent à masquer leur éloignement d’avec ces populations en mettant en avant leurs origines rurales, et tenter ainsi de faire oublier la distance sociale entre les « élites » politiques et les ouvriers, les employés… Mais ce genre de « storytelling » ne trompe guère.
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