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Claude Alphandéry Président d'honneur du labo de l'ESS
Impossible de résumer la vie et la carrière de Claude Alphandéry : à vingt ans, il unifiait les réseaux de la Résistance et dirigeait les maquis dans le département de la Drôme. Il fut communiste, puis socialiste, énarque puis banquier. Actionnaire et administrateur de Libération, puis fondateur du Conseil national de l’insertion par l’économique (CNIAE), puis du président du conseil national de l’économie sociale et solidaire, créateur de France active, du Labo de l’ESS.
En 2019, il participe à la création du Conseil national de la nouvelle résistance… Lui-même déclare « un attachement passionné à la solidarité », et profite de son centième anniversaire pour lancer un retentissement « appel à la résistance » au monde éclaté de l’économie sociale et solidaire pour qu’il se regroupe afin de s’ériger en alternative au capitalisme financiarisé.
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Vous faites un bilan mitigé de votre action sur plusieurs décennies, mais vous appelez néanmoins à faire de l’ESS un contre modèle. Alors comment transformer un monde encore marginal, éclaté, difficile à coordonner, en quelque chose qui aurait l’ambition de supplanter le capitalisme ?
C. A : Par la coopération justement ! Ce qui a déjà permis de créer des initiatives sur des sujets précis, ici sur les économies partagées, là sur le recyclage, ou encore sur l’insertion. Une multitude d’initiatives ont prospéré. Certaines entreprises atteignent le millier d’emplois, ce qui n’est pas rien. D’autres ont fusionné ou ont mis sur pied des fonds de confiance pour faire émerger de nouvelles sociétés.
Tout cela existe, mais sur un même territoire ces acteurs ne se connaissent pas forcément, voire sont en concurrence pour répondre à des appels d’offres des collectivités locales ou de l’Etat. La coopération est très difficile. Or au-delà de la réussite de leurs missions propres qui visent à donner du travail ou à proposer des services que la puissance publique ne fournit pas, certains se disent que la société ne va pas bien.
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A Romans, Christophe Chevallier réunit tous les ans 1 200 entrepreneurs de la région Rhône-Alpes. Toutes ces personnes ne sont pas forcément économistes mais croient qu’on n’est pas forcés de vivre dans ce système de l’économie du profit, qu’on peut mettre en place autre chose. Néanmoins, ils s’aperçoivent que la coopération est compliquée car il y a des intérêts divergents.
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Il existe effectivement assez peu de travaux académiques sur ce sujet. Comment l’expliquez-vous ?
C. A : Il y a près de dix ans, lorsque j’étais président du Labo de l’ESS, j’avais lancé, sous l’égide de l’Institut de la Caisse des dépôts et consignations, un travail de recherche pour expliquer pourquoi les économistes s’intéressent si peu à l’économie sociale et solidaire.
Une nouvelle étude https://www.alternatives-economiques.fr/economie-sociale-solidaire-gagner-bataille-idees/00105107 est aujourd’hui menée sur le même sujet. Elle est pilotée par Camille Dorival, experte de l’ESS [ancienne DG d’Alternatives économiques, NDLR], Hugues Sibille, le président du labo de l’ESS et l’historien Timothée Duverger qui enquêtent auprès d’une trentaine d’économistes. Les conclusions de ces travaux seront toutes rendues publiques en juin prochain. J’espère bien qu’ils répondront à cette question.
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Fait-on entrer dans la planification uniquement les profits, ou intègre-t-on plutôt des paramètres bien plus intéressants : le bien-être des populations, l’accueil des immigrés, ou la sobriété, dont on sait qu’elle contrarie bien des intérêts ? C’est cela la différence avec la planification solidaire et la planification libérale.
Propos recueillis par Céline Mouzon et Hervé Nathan
Entretien Fabian Scheidler, Philosophe, dramaturge et journaliste
Comment la civilisation occidentale, qui se prétend animée par la raison, peut-elle être aussi destructrice ? Accumulation sans fin du capital, Etat fortement militarisé et mythe de l’Occident ont conduit à la catastrophe écologique, détaille le philosophe Fabian Scheidler, auteur de La Fin de la mégamachine. Sur les traces d’une civilisation en voie d’effondrement, (éd. Le Seuil, 2020 [2015]).
Qu’est-ce que « la mégamachine » ?
Fabian Scheidler : La civilisation dont nous sommes partie prenante a créé une situation qui n’a pas d’équivalent dans l’histoire humaine. Nous assistons aujourd’hui à la plus grande extinction d’espèces depuis 66 millions d’années. Et plusieurs méthodes sont actuellement « disponibles » pour mettre fin au monde tel que nous le connaissons : un dérèglement climatique rapide, une guerre nucléaire... Mon interrogation de départ fut celle-ci : pourquoi cette civilisation, qui se met en scène comme l’incarnation de la raison, possède-t-elle une telle force destructrice ?
La réponse peut être résumée par les structures de ce que j’appelle « la mégamachine », terme que j’emprunte à l’historien étasunien Lewis Mumford, auteur dans les années 1960 d’une magistrale histoire des systèmes de pouvoir apparus il y a 5 000 ans, Le mythe de la machine. Mumford y utilise ce mot pour décrire des sociétés qui ressemblent à des machines, des sociétés hiérarchiques telles que celles créées depuis l’âge des pharaons.
De mon côté, tout en reprenant ce projet d’une histoire du pouvoir, j’utilise le mot dans un sens différent : il désigne le système-monde capitaliste vieux de 500 ans, donc plus récent. J’ai choisi l’image expressive de la mégamachine pour...