Entretien — Culture et idées
Mis à jour le 17 mai 2023 à 15h36 - Durée de lecture : 7 minutes
Pour l’économiste Hélène Tordjman, les annonces d’Emmanuel Macron sur l’industrie verte ne changeront rien au système économique et aggraveront la destruction de l’environnement.
Hélène Tordjman est économiste, maître de conférence – HDR à l’université Sorbonne Paris-Nord. Elle est l’autrice du livre La croissance verte contre la nature, critique de l’écologie marchande] aux éditions La découverte (2021).
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déjà, dans l’Antiquité, les Grecs et les Romains ont partiellement décimé les forêts méditerranéennes pour construire des bateaux —, nous avons franchi une étape majeure avec la révolution industrielle qui a décuplé la puissance de l’action humaine.
Le capitalisme industriel est fondé selon moi sur deux piliers économiques, le marché et la technique. Le marché est une des institutions centrales du capitalisme, et tend à organiser un pan de plus en plus large des relations humaines à travers un mécanisme désincarné, celui des prix. Il s’attaque maintenant aussi à nos relations avec la nature.
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Jacques Ellul et Ivan Illich, comme une recherche effrénée d’efficacité et de rationalisation, au mépris de la sensibilité et de la recherche de relations harmonieuses avec les autres et avec la nature. Or ce que nous propose la croissance verte comme « solution », c’est encore plus de marché et de technique. Elle ne peut donc constituer une réponse au problème, elle est au contraire vouée à l’accroître.
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approfondissement du capitalisme industriel. Grâce à la croissance verte, le capitalisme s’étend désormais à de nouveaux domaines. Il conquiert de nouveaux marchés : les services écosystémiques, le carbone, la biodiversité, les génomes de tous les êtres vivants, etc. Dans sa nature profonde, le capitalisme cherche toujours à s’emparer de nouvelles ressources, il doit sans cesse être en expansion pour continuer.
Les forêts sont ainsi seulement vues comme des puits de carbone à rétribuer, l’eau se cote en bourse, des séquences génétiques sont brevetées et transformées en marchandises au profit de grands groupes agrochimiques. La biodiversité est progressivement financiarisée et les raisonnements économicistes s’appliquent aux relations entre les êtres humains et à nos relations avec la nature. Ce processus ne cesse aujourd’hui de s’intensifier.
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réfléchir collectivement à nos besoins, à notre rapport au temps et à l’espace, de réaménager le territoire pour limiter les déplacements, de relocaliser l’économie et de se désintoxiquer de la vitesse. Bref, de penser, de ralentir et de décroître.
Il faut avoir le courage politique de démanteler des grandes entreprises qui sont devenues depuis trente ans beaucoup trop puissantes, du fait de la concentration du capital. Ces entreprises, via leurs lobbies, bloquent aujourd’hui tout changement.
Théoriquement, nous avons les outils juridiques pour les démanteler — la législation anti-trust — mais l’Europe l’applique mal. Elle autorise au contraire la fusion entre Suez et Veolia et laisse Bayer racheter Monsanto. Les États-Unis font de même avec les Gafam
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ce que le sociologue Alain Gras appelle « les macro-systèmes techniques » ... La reconversion de l’agriculture pourrait être un premier chantier ... lutter efficacement contre le changement climatique ...