À propos de : Clive Hamilton, Requiem pour l’espèce humaine, Paris, Presses de Sciences Po, 2012, 266 p. Clive Hamilton, Les apprentis sorciers du climat. Raisons et déraisons de la géo-ingénierie, Paris, Seuil, 2013, 352 p. Alexandre Magnan, Changement climatique : tous vulnérables ?, Paris, Éditions Rue d’Ulm, 2013, 72 p. Edwin Zaccai, François Gemenne, Jean-Michel Decroly (dir.), Controverses climatiques, science et politique, Paris, Presses de Sciences Po, 2012, 254 p.
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Le doute intelligemment exploité entretient la confusion
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Le changement climatique est un processus global et complexe. Son analyse mobilise une multitude de disciplines scientifiques : climatologie, météorologie, glaciologie, hydrologie, géomorphologie, océanographie, agronomie, géographie, etc. Malgré le concours de l’ensemble de ces disciplines, l’existence d’incertitudes dues à cette complexité, aux limites des sciences et connaissances actuelles conjuguées à un processus imparfait de diffusion des informations produit et entretient une part de doute qui, en politique, peut rapidement être interprété comme une forme de faiblesse voire d’incompétence. Or, c’est bien aux décideurs politiques, qui « ont besoin de pouvoir justifier leur décision et de mesurer les risques encourus » (Controverses climatiques, science et politique, p. 82), qu’il appartient d’impulser et de soutenir le processus d’élaboration de solutions visant à répondre aux problèmes soulevés par les scientifiques du GIEC. Cette traduction politique constitue le ressort du débat autour de l’existence du changement climatique et du traitement de ses conséquences.
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La gestion de ce doute et ses implications constituent le sujet de l’ouvrage collectif Controverses climatiques, science et politique, qui s’intéresse à l’introduction du changement climatique dans la sphère politique. Les travaux explorent la vigueur du mouvement climatosceptique, ses motivations, productions, stratégies, aussi bien dans les pays industrialisés que dans les pays en développement. Sa dynamique repose essentiellement sur l’entretien de la confusion au sein de l’opinion publique et le discrédit des scientifiques par ces « marchands de doute » [2]
[2]Expression utilisée à l’origine pour désigner les lobbyistes de…
. La prise en compte du changement climatique est anxiogène, onéreuse, culpabilisante et appelle ni plus ni moins à une refonte totale de nos modes de vie, ce qui fait beaucoup pour un phénomène dont on peine à percevoir les effets. Ce simple constat, réel, est habilement exploité, enrobé d’accusations de catastrophisme, d’extrémisme ou même de communisme. À titre d’exemple, le mouvement climatosceptique américain qualifiait ses adversaires de « pastèques », les suspectant d’être vert à l’extérieur et rouge à l’intérieur, quand certains de ses porte-paroles déclaraient que les Américains n’avaient « pas gagné les guerres du XXe siècle pour rendre le monde plus sûr pour les légumes » [3]
[3]Phrase attribuée à Richard Darman, membre de l’administration…
. La maîtrise de la rhétorique et de la raillerie, excellents outils de promotion et de médiatisation, est bien du côté des climatosceptiques. L’analyse du phénomène à travers des études de cas (France, États-Unis, Chine, Union européenne) se révèle ainsi particulièrement riche d’enseignements. C’est d’ailleurs là chose étrange que de finalement observer des scientifiques toujours aussi peu à même de se défendre malgré l’expérience qu’aurait dû leur conférer l’accueil souvent houleux réservé à leurs productions. Aussi, le GIEC continue de pâtir de son refus d’investir, au moins partiellement, le jeu politique [4],
[4]Lire à ce sujet l’excellente contribution d’Olivier Godard,…
se contentant de répondre aux attaques et tentatives de déstabilisations en s’adressant à leurs auteurs – qu’ils soient scientifiquement compétents ou non – et non directement à l’opinion publique.
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L’entretien d’un doute dans l’esprit du public reste donc l’objectif premier de la communauté climatosceptique, sentiment que favorise la gestion embarrassée de l’incertitude par les pédagogues du changement climatique. Car la reconnaissance de cette incertitude – qui découle simplement de leur rigueur scientifique – peut être instrumentalisée et utilisée à leurs dépens. À ce sujet, la remarque de James Hansen, climatologue à la Nation Aeronautics and Space Administration (NASA), pour qui « les scientifiques sont davantage préoccupés par la crainte d’être accusés de “crier au loup” plutôt que par celle de “chanter quand Rome brûle” » (Requiem pour l’espèce humaine, pp. 14-15), semble parfaitement appropriée.
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Ndlr : cet exemple confirme la pertinence du concept d'instrumentalisation(s) par le doute en politique, réponse à https://my.framasoft.org/u/ind1ju/?BliFSA