Entretien — Politique - Mis à jour le 25 mai 2023 à 08h11 - Durée de lecture : 6 minutes
Politique Climat Culture et idées
Alors que le gouvernement veut préparer la France à une hausse de +4 °C, pour le chercheur Thierry Ribault, le pays devrait plutôt stopper dès à présent « les délires technophiles responsables de la catastrophe ».
... le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, lance le 23 mai une consultation ouverte au public. Différents scénarios d’adaptation au réchauffement climatique en seront issus. Pour Thierry Ribault, chercheur en sciences sociales au CNRS et auteur de Contre la résilience — À Fukushima et ailleurs (L’Échapée, 2021), le gouvernement devrait plutôt agir et remettre en cause le capitalisme.
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La prise de conscience souhaitée par le gouvernement n’est en rien une manière de modifier la situation actuelle, c’est une façon de nous y soumettre, de la conforter. Il s’agit de perpétuer l’existant, de nous l’imposer, en culpabilisant les victimes.
Le gouvernement nous invite à mettre sous le boisseau des affects négatifs qui sont pourtant légitimes, il dit qu’il faut avoir peur, mais pas trop, car une fois en colère on peut se révolter. En bref, il mène une politique d’antirésistance et veut nous adapter à son capitalisme vert et à son cortège de fausses solutions : le nucléaire, les voitures électriques, l’agriculture de précision. Et ce faisant, il nous précipite dans des voies de non-retour qui aggravent encore la catastrophe.
Entretien — Culture et idées
Mis à jour le 17 mai 2023 à 15h36 - Durée de lecture : 7 minutes
Pour l’économiste Hélène Tordjman, les annonces d’Emmanuel Macron sur l’industrie verte ne changeront rien au système économique et aggraveront la destruction de l’environnement.
Hélène Tordjman est économiste, maître de conférence – HDR à l’université Sorbonne Paris-Nord. Elle est l’autrice du livre La croissance verte contre la nature, critique de l’écologie marchande] aux éditions La découverte (2021).
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déjà, dans l’Antiquité, les Grecs et les Romains ont partiellement décimé les forêts méditerranéennes pour construire des bateaux —, nous avons franchi une étape majeure avec la révolution industrielle qui a décuplé la puissance de l’action humaine.
Le capitalisme industriel est fondé selon moi sur deux piliers économiques, le marché et la technique. Le marché est une des institutions centrales du capitalisme, et tend à organiser un pan de plus en plus large des relations humaines à travers un mécanisme désincarné, celui des prix. Il s’attaque maintenant aussi à nos relations avec la nature.
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Jacques Ellul et Ivan Illich, comme une recherche effrénée d’efficacité et de rationalisation, au mépris de la sensibilité et de la recherche de relations harmonieuses avec les autres et avec la nature. Or ce que nous propose la croissance verte comme « solution », c’est encore plus de marché et de technique. Elle ne peut donc constituer une réponse au problème, elle est au contraire vouée à l’accroître.
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approfondissement du capitalisme industriel. Grâce à la croissance verte, le capitalisme s’étend désormais à de nouveaux domaines. Il conquiert de nouveaux marchés : les services écosystémiques, le carbone, la biodiversité, les génomes de tous les êtres vivants, etc. Dans sa nature profonde, le capitalisme cherche toujours à s’emparer de nouvelles ressources, il doit sans cesse être en expansion pour continuer.
Les forêts sont ainsi seulement vues comme des puits de carbone à rétribuer, l’eau se cote en bourse, des séquences génétiques sont brevetées et transformées en marchandises au profit de grands groupes agrochimiques. La biodiversité est progressivement financiarisée et les raisonnements économicistes s’appliquent aux relations entre les êtres humains et à nos relations avec la nature. Ce processus ne cesse aujourd’hui de s’intensifier.
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réfléchir collectivement à nos besoins, à notre rapport au temps et à l’espace, de réaménager le territoire pour limiter les déplacements, de relocaliser l’économie et de se désintoxiquer de la vitesse. Bref, de penser, de ralentir et de décroître.
Il faut avoir le courage politique de démanteler des grandes entreprises qui sont devenues depuis trente ans beaucoup trop puissantes, du fait de la concentration du capital. Ces entreprises, via leurs lobbies, bloquent aujourd’hui tout changement.
Théoriquement, nous avons les outils juridiques pour les démanteler — la législation anti-trust — mais l’Europe l’applique mal. Elle autorise au contraire la fusion entre Suez et Veolia et laisse Bayer racheter Monsanto. Les États-Unis font de même avec les Gafam
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ce que le sociologue Alain Gras appelle « les macro-systèmes techniques » ... La reconversion de l’agriculture pourrait être un premier chantier ... lutter efficacement contre le changement climatique ...
Thierry Gourvénec a fait sa thèse de psychiatrie sur les bouffées délirantes. Il a étudié à ce titre la propagation de rumeurs délirantes, en particulier celle d’Orléans qui voulait que des femmes disparaissent et soient livrées à des réseaux de prostitution, après avoir visiter des commerçants de la ville. Il a noté que la propagation de cette rumeur est intervenue au moment où De Gaulle allait quitter le pouvoir et laisser la France orpheline de son ange tutélaire. « La rumeur d’Orléans éclot en 1969 après que De Gaulle ait perdu son référendum et quitté le pouvoir. C’est une angoisse majeure, œdipienne… La mort politique du Grand Charles est un peu comme la mort du père…" Il s’appuie sur ce type de phénomène de croyance collective pour inscrire l’histoire du coronavirus dans la longue litanie des épidémies, dont très peu au final se révèlent réellement meurtrières à grande échelle.
On a nettement exagéré la portée et la violence de l’épidémie de Covid et nous nous sommes collectivement enfoncé dans une sorte de bouffée délirante collective (et médiatique) dès l’origine de l’épidémie sans pouvoir faire machine arrière: telle pourrait être résumée son hypothèse. « Les gens individuellement ne sont pas fous, c’est la communication collective qui est délirante, explique-t-il avant de faire un lien entre le contexte politique angoissant, la peur archaïque de toute épidémie, instrumentalisée ou pas, et la naissance d’un délire collectif. Denis Robert remonte avec lui le cours des histoires des délires collectifs: des sorcières brûlées au Moyen Age à la grippe aviaire (qui n’aurait fait qu’une seule victime humaine) en passant par épidémie allemande d'Escherichia Coli de 2011 dont la souche d'origine aurait été liée à l’ingestion de concombres bio originaires d’Espagne. Il note que la rumeur qui s’avèrera fausse est lancée quelques jours après Fukushima et que l’épidémie, dont tout le monde parle, fera une cinquantaine de victimes, pour qui la suspicion de recto-colites dues à du césium japonais ne peut être écartée: La très questionnante saga de l'Escherichia Coli Entéro-Hémorragique - AgoraVox le média citoyen ). « Chaque épidémie gérée de manière inconséquente est le fruit d’une peur panique et politique » conclut-il. La conversation roule et fait réfléchir. De la confrontation entre le raisonnement du psychiatre et le scepticisme affiché par son intervieweur nait une mise en abime qui brise certaines idées reçues et nous donnent à penser. C’est un des mérites de cette conversation pas si savante que ça, toujours sur un fil; « Et si l’épidémie que nous venons de vivre fonctionnait d’abord sur la transmission d’une peur ? » Bonne question…
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